CARDIOLOGIE FÉLINE
Dossier
Auteur(s) : Jean-Louis Philippe*, Una Kelly**
Fonctions :
*Clinique V24,
108, rue Rivay, 92300 Levallois-Perret
echophil@yahoo.fr
Mort subite ou absence de symptôme : les cardiomyopathies du chat sont une entité protéiforme. Tri et étiologie sont les premières étapes de leur compréhension.
Les cardiomyopathies (CM) sont des maladies fréquentes chez le chat. Elles touchent près d’un chat sur sept, avec des répercussions cliniques variables, de l’absence de symptômes à la mort subite, en passant par des signes d’insuffisance cardiaque congestive (ICC) [8, 15]. Les progrès réalisés dans la connaissance des affections du myocarde chez le chat (notamment grâce au développement d’outils diagnostiques comme l’examen échographique), et la recherche étiologique et physiopathologique, justifient une présentation des données actuelles sur les différentes formes de cette affection.
Les cardiomyopathies forment un ensemble de maladies hétérogènes. Elles peuvent être définies comme « une atteinte du myocarde d’origine inconnue associée à un dysfonctionnement cardiaque » [18]. Sont distinguées classiquement : les cardiomyopathies hypertrophiques (CMH), restrictives (CMR), dilatées (CMD), arythmogènes du ventricule droit (ARVC) et les cardiomyopathies inclassées ou intermédiaires (CMI) (photos 1a à 1d). Cette classification mélange des dénominations anatomiques (cardiomyopathie hypertrophique et dilatée) et fonctionnelles (cardiomyopathie restrictive). La même maladie pourrait donc apparaître dans plusieurs catégories. Des affections myocardiques secondaires à des troubles valvulaires (sténose aortique), ischémiques ou inflammatoires (myocardite), peuvent avoir une présentation identique à celle d’une maladie primitivement musculaire. Des affections du myocarde de physiopathogénie différente peuvent en effet, par des mécanismes de compensation et de remodelage similaires, avoir une présentation semblable. Néanmoins, ces affections secondaires du muscle cardiaque ne répondent pas strictement à la dénomination de cardiomyopathie idiopathique. Il en est de même pour les modifications myocardiques secondaires rencontrées lors de dysendocrinies (hyperthyroïdie, acromégalie) ou d’hypertension artérielle systémique [8, 14].
Les différentes affections du myocarde peuvent conduire à une insuffisance cardiaque congestive (ICC), c’est-à-dire à une élévation des pressions veineuses et capillaires aboutissant à une congestion sanguine et à un œdème d’organes. Selon les lésions présentes, un dysfonctionnement myocardique en systole (lors de la contraction du cœur) et/ou en diastole (lors du remplissage du cœur) peut être constaté.
La contractilité du muscle cardiaque se comprend en envisageant l’unité contractile du cœur : les sarcomères, composés d’éléments protéiques (myosine, actine, troponine). Lors du couplage de ces filaments, une contraction est observée : plus ils se chevauchent, plus le muscle se contracte. Pour qu’une liaison s’établisse entre les filaments d’actine et de myosine, la troponine doit changer de conformation spatiale. Cela se produit grâce à une libération intracellulaire de calcium, autorisée par l’entrée de celui-ci dans les myocytes à travers des canaux calciques. Or la stimulation des canaux calciques, qui nécessite de l’adénosine triphosphate, se produit en diastole : plus le muscle est distendu en diastole par la précharge, plus le nombre de canaux calciques stimulés activement augmente. La diastole est une phase active, et non uniquement un remplissage passif, et la contractilité est étroitement liée à un bon fonctionnement du muscle en systole, mais aussi en diastole [12].
De plus, le cycle cardiaque dépend étroitement de la régulation neurohormonale du système cardiovasculaire.
La complexité du système cardiovasculaire est de mieux en mieux comprise. Le rôle de nombreuses hormones locales ou circulantes a été mis en évidence.
→ Les peptides natriurétiques sont des hormones synthétisées par les cardiomyocytes. Leur expression cytologique et leurs taux plasmatiques augmentent à la suite de nombreuses stimulations, dont l’étirement myocardique, l’ischémie, l’hypoxie et la régulation neurohormonale. Ils participent à la régulation de l’homéostasie électrolytique et de la pression artérielle en stimulant la diurèse, la natriurèse et la vasodilatation périphérique [2, 6]. Il a été démontré que l’expression du brain natriuretic peptide (BNP) augmente au niveau ventriculaire lors de CMH chez le chat. Il est possible que la synthèse des peptides natriurétiques et la stimulation sympathique soient des réponses précoces aux perturbations cardiaques et hémodynamiques quelle qu’en soit l’étiologie [22].
→ L’endothéline-1 est un vasoconstricteur puissant endogène. Sa concentration plasmatique augmente chez les chats atteints de CMH ou de thromboembolie artérielle (TEA), après l’augmentation des facteurs natriurétiques [17]. En plus de la vasoconstriction, elle induit la prolifération cellulaire, l’hypertrophie des myocytes cardiaques et l’activation de fibroblastes. Elle participe donc à la pathogénie du remodelage cardiaque lors de CMH, ainsi qu’à des mécanismes conduisant à l’ICC [17].
→ Le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) permet une régulation précise de la volémie en induisant une vasoconstriction périphérique lorsque les barorécepteurs de ce système sont stimulés par une baisse du volume d’éjection systolique (VES). Cela a pour effet d’augmenter la précharge et le stress subi par les parois du myocarde. Il stimule aussi le système nerveux sympathique qui accentue la vasoconstriction, augmente la fréquence cardiaque (FC) et la contractilité du myocarde [12]. De plus, l’activation du SRAA induit des mécanismes conduisant à une hypertrophie et à une fibrose du myocarde. Cette activation du SRAA lors d’atteinte myocardique se produirait de manière assez tardive, peu de temps avant le développement d’une ICC [22].
De nombreuses lésions peuvent diminuer la capacité du muscle à se relaxer. L’ischémie, la fibrose et l’hypertrophie myocardique abaissent la compliance (capacité à s’étirer). Lors de CMH, le nombre de myocytes n’augmente pas (il ne s’agit pas d’une hyperplasie), c’est celui de sarcomères qui s’élève avec la masse musculaire. En revanche, la quantité de coronaires qui irriguent le muscle est constante, ce qui peut contribuer à expliquer les lésions ischémiques observées lors de CMH [12]. De plus, l’effet même de l’hypertrophie contribue à réduire le volume du ventricule gauche (VG) en diastole. Lors de CMR, le dysfonctionnement diastolique est dû à la fibrose, à l’infiltration ou à la scarification de la surface endomyocardique [8]. C’est le dysfonctionnement diastolique, et non systolique, qui est primairement responsable des manifestations cliniques de CMH et de CMR [1]. Enfin, dans toutes les formes de CM, la tachycardie peut accentuer le dysfonctionnement diastolique en diminuant le temps pendant lequel le ventricule se remplit et le temps de perfusion du myocarde [8, 9].
La première conséquence d’un défaut de remplissage du VG est une augmentation de la charge en amont : dans l’atrium gauche (AG). Il se dilate jusqu’à un point de compliance maximale, après quoi, est observée une hausse de la pression dans l’AG et les veines pulmonaires. Cela entraîne une hypertension pulmonaire veineuse ou une ICC (épanchement pleural ou œdème pulmonaire) [1, 9].
La pathogénie d’apparition d’un épanchement pleural lors d’une insuffisance cardiaque gauche chez le chat demeure imprécise. Elle semble en relation avec une particularité anatomique : le feuillet pleural viscéral est mince et drainé par les veines pulmonaires. Une augmentation de pression dans les veines pulmonaires entraînerait donc une hausse de pression dans les veines pleurales et l’apparition d’un épanchement.
D’autres modifications morphologiques ou cinétiques du cœur peuvent contribuer à augmenter la pression dans le VG et l’AG (obstruction dynamique de la chambre de chasse du ventricule gauche [ODVG], mouvement systolique antérieur [SAM] du feuillet septal mitral, régurgitation mitrale [8]).
Un défaut de fonctionnement du cœur pendant sa contraction est induit par un déficit de contractilité du muscle en raison de lésions sévères. Le muscle est alors remplacé par un autre tissu qui n’est pas contractile : ischémie ou remplacement fibreux (CMD, CMR, CMI) ou fibro-adipeux (ARVC) [5, 8, 11]. Le dysfonctionnement systolique va se traduire par une augmentation du volume résiduel dans le ventricule, donc par un accroissement du diamètre ventriculaire. La fraction d’éjection systolique et la fraction de raccourcissement (FR) vont alors diminuer, induisant à terme une ICC. Chez les chats atteints de CMH, la fonction systolique apparaît le plus souvent comme normale à hyperdynamique, étant donné la masse musculaire capable de se contracter. Une dysfonction systolique peut être néanmoins objectivée chez certains animaux, notamment par un examen Doppler tissulaire, toujours en rapport avec des lésions ischémiques et de fibrose intéressant certains segments musculaires [1].
L’obstruction dynamique du ventricule droit (ODVD), l’ODVG et le SAM sont des perturbations (accélération et turbulences) du flux d’éjection du VG (ou droit) pouvant provoquer un souffle [8, 19]. Il s’agit de phénomènes multifactoriels [4]. L’ODVG et le SAM sont présents chez près de la moitié des chats atteints de CMH et plus souvent chez les chats asymptomatiques [9, 16]. Ils ne sont pas pathognomoniques de CMH. Ces troubles sont mis en évidence parfois même chez des chats sans atteinte du myocarde. Il est possible que l’accélération du flux d’éjection soit sous dépendance sympathique, ce qui contribuerait à expliquer le caractère inconstant de cette observation [15]. S’il s’agit d’un processus dynamique et labile, cela peut rendre moins pertinente la dichotomie entre les formes obstructives et non obstructives de CMH [1]. Ces phénomènes pourraient participer aux modifications du myocarde, notamment hypertrophiques, ou alors être une conséquence de l’atteinte du myocarde.
L’ODVG peut être définie comme une accélération tardive du flux systolique provoquée par un gradient de pression inhabituel dans la chambre de chasse du VG. L’origine de ce gradient de pression peut être un SAM, mais ces deux observations échographiques ne sont pas toujours associées [1, 15]. Un SAM est envisagé lorsque la valvule mitrale septale vient s’affronter au septum interventriculaire en milieu de systole (photos 2a à 2c) [10]. Cela rétrécit la chambre de chasse, gêne le flux d’éjection dans l’aorte, crée des turbulences et empêche une fermeture étanche de l’anneau mitral [1, 8]. Le SAM serait lié soit à une anomalie anatomique, soit à l’état hyperdynamique du VG hypertrophié [1]. Les anomalies provoquées par le SAM (ODVG et régurgitation mitrale) entraînent une augmentation des pressions de remplissage, une perfusion coronaire altérée, donc le développement d’une fibrose myocardique [1]. En augmentant le gradient de pression systolique, il contribue également à l’hypertrophie du myocarde.
La présence d’un thrombus dans une cavité cardiaque et la TEA qui en résulte souvent sont des conséquences graves et relativement fréquentes de toutes les formes de CM (photos 3a et 3b) [8, 12, 23]. Ces complications seraient présentes dans 17 % des CMH [21].
La formation de thrombus serait liée à la stase sanguine intracardiaque, à une coagulation altérée et à des lésions endothéliales secondaires à la libération de TNF (tumor necrosis factor)-α [20, 13]. Un élargissement des cavités du cœur pourrait être un facteur de risque d’une TEA [21, 23]. Les races ragdoll et birmane seraient prédisposées [23].
L’embole vient se loger le plus souvent au sein de la trifurcation aortique, conduisant à une parésie ou à paralysie bilatérale (71 % des cas [23]) ou unilatérale (12,5 % [7]) des postérieurs. Une autre localisation peut conduire à une atteinte des membres antérieurs, des quatre membres, des organes abdominaux, du système nerveux central ou du parenchyme pulmonaire, notamment si les thrombus se forment dans l’atrium ou le ventricule droits [3, 23].
La TEA peut avoir pour conséquence une hypothermie, liée au choc hypovolémique (deux tiers des cas des TEA), ou une tachypnée, en rapport avec la douleur présentée. Elle ne s’accompagne pas nécessairement d’une ICC. Les CM constituent la cause la plus fréquente de TEA (66 %), mais tous les chats avec des signes de thrombus intracavitaires n’en développent pas une [8, 23]. Enfin, le diagnostic différentiel des TEA doit envisager d’autres causes : néoplasies, troubles endocriniens (hyperthyroïdie, diabète sucré, acromégalie), hypertension artérielle systémique (HTAS), cardiopathies congénitales ou troubles du rythme idiopathiques [8].
De nombreux aspects des affections myocardiques chez le chat sont encore mal précisés. Une meilleure compréhension de leur physiopathogénie pourra modifier, à l’avenir, les critères de leur classification et apparaît être un préalable au développement d’applications diagnostiques (dosages hormonaux) et thérapeutiques.
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