Exemple de gestion multimodale de la douleur arthrosique chez une chienne - Le Point Vétérinaire n° 318 du 01/09/2011
Le Point Vétérinaire n° 318 du 01/09/2011

THÉRAPEUTIQUE ET ANALGÉSIE

Dossier

Auteur(s) : Gwenola Touzot-Jourde

Fonctions : 1, place Marin
14740 Bretteville-L’Orgueilleuse

Ce cas clinique permet d’apprécier, par une mise en situation, la synergie des différents traitements évoqués au cours de ce dossier.

En septembre 2006, une femelle labrador âgée de 8 ans et pesant 31 kg est présentée pour une boiterie, d’apparition aiguë, du membre postérieur gauche. Un diagnostic de rupture du ligament croisé cranial est établi, avec mise en évidence radiographique de signes d’arthrose fémoro-tibiale modérée.

1 Commémoratifs

La chienne a déjà été opérée en octobre 2002 pour la même affection mais sur le membre postérieur controlatéral. Un mois de physiothérapie et une mise au régime avec pour objectif la perte de 10 % de son poids ont permis un rétablissement rapide après la chirurgie, et la réalisation d’une saison de chasse sans souci.

2 Traitement

Comme pour le premier membre postérieur, l’affection est traitée avec une chirurgie TPLO (Tibial plateau leveling osteotomy). Une douleur aiguë marquée est présente durant la période postopératoire. La chienne reçoit du carprofène (Rimadyl®, à la dose de 2 mg/kg per os deux fois par jour, initialement pendant 3 jours pour gérer la douleur postopératoire, mais poursuivi 7 jours supplémentaires en raison de la boiterie et de l’inconfort persistants). S’y ajoute de la morphine en injections sous-cutanées à la dose de 0,5 mg/kg deux fois par jour pendant les premières 48 heures, à la suite desquelles elle paraît moins souffrir quand elle se lève et se couche. La morphine est alors remplacée par du tramadol, à la dose d’environ 2 mg/kg, soit 50 mg, deux à trois fois par jour pendant 5 jours, suivant le degré d’inconfort constaté par le propriétaire (encadré).

3 Suivi

Au terme du traitement, la chienne se déplace mieux, elle a retrouvé une bonne qualité de sommeil et commence à porter davantage l’appui sur son membre postérieur opéré. Le retour fonctionnel de l’articulation est plus tardif que pour le postérieur opposé, avec une boiterie persistante accompagnée d’une amyotrophie du postérieur droit. Le carprofène est poursuivi pendant 1 mois en adaptant la posologie pour aboutir à la dose minimale efficace, soit 2 mg/kg per os une fois par jour le matin pendant 10 jours, puis tous les 2 jours, puis suivant le confort de l’animal (par observation du degré de boiterie et de la difficulté à se lever et à se coucher). Elle marche au pas en laisse 30 à 40 minutes tous les jours, en adaptant la vitesse pour obtenir un appui normal du membre postérieur en question.

4 Deuxième épisode de boiterie

→ Deux mois après l’intervention, la boiterie postérieure et l’amyotrophie sont toujours présentes. La manipulation de l’articulation est encore douloureuse. La chienne n’a pas repris une activité normale. Elle court très peu lors de sa promenade quotidienne d’une vingtaine de minutes et a tendance très vite à repasser au pas.

→ L’administration de carprofène est poursuivie ponctuellement lorsqu’elle montre de l’inconfort après la promenade. Il est alors décidé de passer à une alimentation pour chien gériatrique contenant des chondroprotecteurs (glucosamine, chondroïtine) et des acides gras ω3. Un traitement à base de glycosaminoglycanes polysulfatés est commencé (Adequan®, produit non disponible en France, à la dose de 4,4 mg/kg par voie intramusculaire deux fois par semaine pendant 4 semaines, puis une fois par semaine pendant 1 mois, puis une fois tous les 15 jours pendant 1 mois, et enfin une fois par mois pendant 3 mois, soit 6 mois de traitement au total). L’activité quotidienne est continuée. Le poids de la chienne est surveillé. L’administration ponctuelle d’AINS est conservée pour gérer les phases de boiterie franche.

→ Au bout de 6 mois, la masse musculaire de la cuisse gauche est comparable à la droite. La chienne a repris une activité normale. La manipulation de l’articulation n’est plus douloureuse. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont administrés de façon ponctuelle si un inconfort survient après un effort plus important.

5 Troisième épisode de boiterie

→ En octobre 2009, la chienne est âgée de 12 ans et présente une boiterie marquée au pas et au trot du membre antérieur gauche, avec un engorgement et une distension articulaire du coude, une diminution de l’amplitude du mouvement articulaire et une douleur à la mobilisation passive.

→ L’examen radiographique montre des remaniements périarticulaires importants et un amincissement de l’espace articulaire de l’articulation huméro-radiale gauche. L’autre coude est aussi douloureux et montre des signes radiographiques d’arthrose moins avancée (photos 1 et 2). La manipulation des deux membres postérieurs ne révèlent pas de douleur à l’examen, mais une réaction à la palpation dorsale est notée. Une radiographie de la colonne vertébrale de la jonction thoraco-lombaire au sacrum montre des signes de spondylose avancée s’étendant de L3 au sacrum.

→ La chienne est traitée avec du carprofène (à la dose de 2 mg/kg, deux fois par jour) lors de la visite. Initialement, une amélioration de la boiterie a été remarquée, mais les signes cliniques ne rétrocèdent plus aux AINS. Il est décidé de passer au méloxicam (Metacam®, à la dose de 0,1 mg/kg/j pendant 1 mois) après 1 semaine sans traitement anti-inflammatoire. Une amélioration est présente pendant les 3 premières semaines, puis une rechute survient. L’AINS est remplacé par du firocoxib (Previcox®, à la dose de 5 mg/kg par voie orale, une fois par jour, soit trois quarts de comprimé à 227 mg) après une semaine sans traitement. Une amélioration clinique est constatée en une semaine. La dose est maintenue à un demi ou trois quarts de comprimé par jour, suivant le confort de la chienne. Après 3 semaines (janvier 2010), la chienne présente une anorexie avec une douleur abdominale craniale aiguë, une élévation des enzymes hépatiques Asat (aspartate aminotransférase) et Alat (alanine aminotransférase) (> 300 UI/l). L’examen échographique est difficile à réaliser en raison de l’intensité de la douleur en région abdominale craniale, mais une hépatopathie et/ou une gastrite sont suspectées à la suite de l’administration prolongée d’AINS. Ces derniers sont arrêtés définitivement. La chienne se rétablit.

→ Le bilan clinique à la fin du mois de janvier 2010 est le suivant :

– une boiterie du membre antérieur gauche 3/5 avec ankylose marquée de l’articulation du coude ;

– une douleur à la manipulation des deux coudes, le gauche étant plus sensible que le droit ;

– une douleur lombaire avec amyotrophie ;

– une sensibilité bilatérale des muscles quadriceps, semi-membraneux et semi-tendineux à la palpation ;

– une activité tolérée réduite : une marche au pas lent de 10 à 15 minutes, meilleure sur le sable que sur terrain dur, des difficultés à sauter dans la voiture et parfois à se lever ;

– un moral versatile avec des jours sans motivation pour sortir ou bouger.

→ Le traitement instauré allie alors une thérapie locale, des analgésiques visant à traiter une douleur chronique et des méthodes analgésiques complémentaires :

– une infiltration intra-articulaire bilatérale des coudes avec du hyaluronate (Hyonate®, à la dose de 2 ml par coude) et de la morphine (à la dose de 0,1 mg/kg et par coude) sous sédation profonde (médétomidine à la dose de 5 µg/kg par voie intraveineuse et morphine à la dose de 0,2 mg/kg par voie intraveineuse) ;

– l’instauration d’un traitement au long cours avec de la gabapentine (environ 3 mg/kg per os, soit 100 mg, deux fois par jour) et la gestion des crises douloureuses avec une administration ponctuelle à la demande de tramadol (environ 2 mg/kg, soit 50 mg per os une à trois fois par jour au besoin) ;

– des séances d’acupuncture (une séance par semaine pendant 1 mois puis une séance tous les 15 jours pendant 1 mois puis une séance par mois ou tous les 2 mois) (photo 3) ;

– des massages des muscles douloureux par le propriétaire ;

– le changement du couchage pour un coussin bien mœlleux avec un dossier, pour supporter et maintenir le dos au chaud.

En 3 semaines, la chienne retrouve le moral et saute plus facilement dans la voiture. Le temps de promenade toléré s’allonge progressivement avec un pas allant (boiterie persistante mais moins marquée).

→ En juin 2010, l’état clinique se dégrade de nouveau sur 15 jours, la chienne ne veut plus descendre les escaliers et ne dort pas bien la nuit. Les infiltrations des coudes sont renouvelées, la posologie de la gabapentine est augmentée (à la dose de 6 mg/kg per os, soit 200 mg, deux fois par jour). Un traitement de tramadol pendant 8 jours est prescrit (environ 2 mg/kg, soit 50 mg per os deux fois par jour pendant 4 jours, puis une fois par jour le soir pendant 4 jours), les séances d’acupuncture sont rapprochées (trois séances sur 1 mois). Un aménagement des escaliers est conseillé avec la pose d’une surface antidérapante (moquette) sur les marches en bois pour faciliter la descente et la montée des marches et prévenir les risques de glissade.

→ Au dernier contrôle clinique en mars 2011, l’état de la chienne est stable. Son traitement se limite à la gabapentine, aux séances d’acupuncture une fois toutes les 5 à 10 semaines, aux massages des muscles douloureux deux à trois fois par semaine et à une marche quotidienne sur terrain souple entre 20 et 40 minutes en fonction de sa tolérance.

6 Discussion et conclusion

Ce cas clinique montre le suivi d’un chien arthrosique jusque dans sa période gériatrique et l’évolution de l’affection sur 5 ans. L’hygiène de vie (exercice régulier et contrôlé et une optimisation du poids de l’animal) associée au traitement de la douleur avec les AINS ont permis une gestion efficace des signes cliniques pendant les 3 premières années de suivi. L’aggravation de la maladie (atteinte multiarticulaire), le développement d’une douleur chronique avec des accès aigus et l’intolérance développée aux AINS ont nécessité la mise en place et l’association de thérapies différentes et alternatives. La douleur s’est installée dans la chronicité, avec un impact sur la qualité de vie de la chienne. L’instauration d’un traitement de fond (alimentation, modification de l’environnement, gabapentine, acupuncture) ainsi que la gestion des accès douloureux (infiltration intra-articulaire, tramadol) ont permis de maintenir une qualité de vie acceptable pour un vieux chien diminué physiquement, mais qui a retrouvé son enthousiasme de labrador.

ENCADRÉ
L’arsenal thérapeutique utilisé

Le traitement du chien arthrosique comprend plusieurs volets alliant des modifications de l’environnement et de l’hygiène de vie à des thérapies médicamenteuses et alternatives :

– optimisation du poids ;

– adaptation de l’exercice : activité contrôlée et physiothérapie ;

– modification de l’environnement (adaptation des sols, du panier pour le confort de l’animal et minimisation des efforts à fournir pour monter dans la voiture ou les escaliers) ;

– thérapies médicamenteuses, chirurgicales, complémentaires pour diminuer l’inflammation, apporter une analgésie et améliorer la fonction ;

– chondroprotecteurs.

→ Anti-inflammatoires non stéroïdiens et la douleur arthrosique

Les AINS constituent le traitement de première intention de la douleur arthrosique. Ils sont employés initialement en traitement ponctuel de quelques jours à quelques semaines puis lorsque la douleur est persistante et invalidante, ils sont utilisés au long cours avec une surveillance de l’apparition d’effets secondaires. Certains chiens ou certaines douleurs répondent mieux à une molécule qu’à une autre. Il est donc souvent indiqué d’essayer une seconde molécule si la première n’a pas été ou n’est plus efficace.

→ Opioïdes et la douleur arthrosique

Les opioïdes (morphine, tramadol) sont utiles dans le traitement des crises douloureuses de l’arthrose en association avec d’autres molécules comme les AINS. Le traitement se limite en général à quelques jours.

Le tramadol est un analgésique qui possède plusieurs mécanismes d’action : agoniste faible des récepteurs opioïdes et interférence avec la libération et la recapture de noradrénaline et de sérotonine sur les voies descendantes inhibitrices de la douleur. Cela explique son intérêt et son efficacité dans la gestion de la douleur chronique.

→ Chondroprotecteurs (hyaluronate, glycosaminoglycanes polysulfatés, glucosamine, chondroïtine). Ils exercent un effet anti-inflammatoire et favorisent les processus anaboliques de réparations du cartilage, de l’os et de la synoviale. Ils ralentiraient la progression de la maladie.

→ Acides gras ω3

L’apport d’acides gras ω3 dans la ration permet d’optimiser le rapport ω6/ω3 et a un effet anti-inflammatoire en réduisant la production de prostaglandines.

→ Gabapentine

La gabapentine est un antiépileptique à action centrale qui a prouvé être un bon analgésique dans le traitement des douleurs neuropathiques et chroniques chez l’homme.

EN SAVOIR PLUS

– Johnston SA et coll. Non surgical management of osteoarthritis in dogs. Vet. Clin. Small Anim. 2008; 38: 1449-1470.

– McLaughlin R. Management of chronic osteoarthritic pain. Vet. Clin. Small Anim. 2000; 30: 933-949.

– Whright B. Management of chronic soft tissue pain. Top Companion Anim. Med. 2010; 25: 26-31.

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