OPHTALMOLOGIE ET ONCOLOGIE
Article de synthèse
Auteur(s) : Sébastien Monclin*, Franck Ollivier**
Fonctions :
*Rutland House Referrals
Abbotsfield Road
WA9 4HU Saint Helens
United Kingdom
**Centre vétérinaire DMV
2300 54e Avenue
Montréal, QC, H8T 3R2
Canada
Les mélanomes présentent une assez grande polymorphie qui peut être liée à leur localisation. Leur prise en charge doit être précoce et bien organisée.
Les mélanocytes sont des cellules dérivées de la crête neurale présentes dans la peau, l’œil (principalement l’uvée) et divers organes tels que l’oreille interne, le cœur, les méninges et le système digestif. Ils sont responsables de la pigmentation de la peau et des poils (ou des plumes) via la sécrétion de mélanosomes (vésicules contenant la mélanine) qui sont captés par les kératocytes afin de protéger l’ADN de leur noyau des ultraviolets.
Les tumeurs mélanocytaires sont plus fréquentes chez le chien que chez le chat. Elles représentent ainsi 30 à 40 % des tumeurs de la cavité buccale canine et 5 à 7 % des tumeurs cutanées chez le chien contre 0,8 à 2,7 % chez le chat [16]. Elles sont plus courantes chez les animaux âgés (en moyenne 9 ans chez le chien et 10 à 12 ans chez le chat) dont la peau est fortement pigmentée [16]. Contrairement à ce qui se passe pour l’homme, ces tumeurs se développant, chez nos carnivores domestiques, principalement sur la peau densément protégée par les poils, dans la cavité buccale ou à la base de l’ongle, les radiations solaires ne sont pas considérées comme un facteur de risque [16].
La terminologie n’est pas toujours très cohérente d’une publication à l’autre, le vocable de mélanome faisant généralement référence à une tumeur maligne, celui de mélanocytome aux formes bénignes et la distinction entre les deux se fondant sur l’analyse histopathologique. Le comportement (malin ou bénin) des tumeurs mélanocytaires suit une tendance selon l’espèce impliquée et la localisation, dans les grandes lignes. Ainsi, la majorité des tumeurs mélanocytaires canines se développant dans la cavité buccale, aux jonctions mucocutanées (les paupières mises à part) et environ la moitié de celles de la base de l’ongle présentent un comportement malin. En revanche, les tumeurs cutanées (qui peuvent survenir sur l’ensemble du corps) se partagent entre malignité et bénignité [16]. Les tumeurs mélanocytaires oculaires ne se comportent pas de la même manière selon qu’elles se développent sur les paupières, la conjonctive, la sclère ou le limbe ou l’uvée, et aussi en fonction de l’espèce. De même, le diagnostic histopathologique et l’évolution clinique ne concordent pas toujours, ce qui est particulièrement valable chez le chat. L’objectif de cet article est de comparer les comportements, les pronostics et les traitements des tumeurs mélanocytaires oculaires chez le chien et le chat. Enfin, contrairement à l’idée reçue, la pigmentation n’est pas une caractéristique permanente des mélanomes. En effet, des mélanomes achromiques ont été décrits, particulièrement dans la cavité buccale chez le chien ou lors de développement intra-oculaire [16].
Les tumeurs palpébrales sont fréquentes chez le chien, les adénomes ou les adénocarcinomes des glandes de Meibomius et les mélanomes étant majoritaires [7]. Elles sont en revanche beaucoup plus rares chez le chat, les mélanomes n’en représentant que 2 à 8 %, soit bien moins que les carcinomes à cellules squameuses qui, eux, en constituent 36 à 65 % [11]. Le comportement des tumeurs mélanocytaires palpébrales est comparable chez le chien et chez le chat.
Chez le chien, il convient de faire la différence entre deux groupes de mélanomes palpébraux, qui apparaissent généralement sous la forme d’une ou de plusieurs masses très pigmentées sur une ou plusieurs paupières, car ils nécessitent des approches thérapeutiques légèrement distinctes [7]. Les tumeurs situées sur le bord libre de la paupière, à la jonction cutanéo-conjonctivale, sont souvent plus agressives que celles dont l’origine est cutanée. Les premières requièrent une excision large comprenant le bord palpébral. La technique d’excision simple (en triangle) ou, idéalement, l’excision à quatre côtés (« en forme de maison », qui permet une meilleure apposition des bords libres des paupières) suffisent pour les tumeurs dont la largeur est inférieure à un quart de la longueur totale de la paupière. Des méthodes reconstructrices plus complexes (telles que les procédures de Cutler-Beard, de Mustardé, les plasties en H, en Z, etc.) sont nécessaires lors de déficits plus larges. La cryothérapie permet de traiter les marges autour du tissu excisé et de diminuer le risque de récidive. Le pronostic est bon, même si une seconde intervention chirurgicale est parfois requise.
Le traitement des tumeurs impliquant uniquement la partie cutanée des paupières est comparable à celui des mélanomes cutanés. Toutefois, ce type de tumeurs palpébrales est plus fréquemment bénin, en comparaison des mélanomes cutanés non oculaires [7]. Chez les vizslas et les pinschers, particulièrement ceux dont la robe est diluée, les mélanocytomes du bord libre palpébral sont souvent multiples [4].
Les tumeurs mélanocytaires de la conjonctive sont relativement rares (photo 1). Ainsi, 2,6 % des tumeurs oculaires chez le chien et 0,9 % chez le chat sont des tumeurs mélanocytaires atteignant la conjonctive [16]. Elles sont principalement observées sur la troisième paupière [4, 7]. La plupart des chiens concernés présentent une pigmentation normale de la conjonctive [4]. Selon une seule étude portant sur 149 cas de tumeur mélanocytaire conjonctivale, les mélanocytomes seraient souvent très fortement pigmentés alors que les mélanomes présenteraient une pigmentation variable (pouvant même être totalement amélanotiques) [4]. Les braques de Weimar, les rottweilers et les cockers paraissent plus à risque que les autres races de développer ce type de tumeur [4, 7]. Les mélanomes conjonctivaux sont le plus souvent malins [4]. Une excision chirurgicale précoce associée à la cryothérapie semble le moyen le plus efficace de prévenir les récidives et les métastases [7]. L’énucléation transpalpébrale est à envisager en cas de récidive. Un suivi régulier est requis car la moitié des tumeurs environ récidivent localement [4].
Les mélanomes conjonctivaux sont relativement rares chez le chat [1, 4, 5, 7, 13, 14]. Ils se développent en majorité sur la conjonctive bulbaire et ont tendance à envahir la cavité orbitaire [4]. Leur comportement est comparable à celui des mélanomes cutanés décrits dans cette espèce, présentant en général un caractère malin (infiltration tissulaire locale et métastases) [4]. Seulement 2 des 6 cas décrits dans différents articles scientifiques ont eu une issue positive, avec un suivi postopératoire de 11 et 34 mois respectivement. Les autres animaux ont rapidement développé des métastases, après une première ablation locale et malgré l’énucléation dès que des signes de récidive ont été notés. L’intervention précoce est donc fortement recommandée [7, 14].
Contrairement aux mélanomes conjonctivaux, les mélanomes épibulbaires (ou limbiques) sont le plus souvent bénins et uniquement invasifs localement (photo 2) [6, 7]. Ils s’accompagnent rarement de manifestations de douleur et apparaissent sous la forme d’une élévation irrégulière du limbe, avec ou sans pigments sur la sclère, l’iris ou la cornée. Ils ont tendance à se développer plus rapidement chez les individus jeunes et beaucoup plus lentement (voire pas du tout) chez les animaux plus âgés [7]. Si leur évolution peut souvent être surveillée sans recourir à l’intervention chirurgicale chez ces derniers, chez les plus jeunes ou lors de progression rapide, l’excision lamellaire (suivie d’une photocoagulation au laser, d’une cryothérapie ou d’une radiation) et l’utilisation de greffes de diverses origines (sclère congelée ou non d’un donneur, matériel biosynthétique, cartilage de la troisième paupière, etc.) sont recommandées [3, 6, 15]. Les mélanomes limbiques doivent être différenciés des mélanomes conjonctivaux et intra-oculaires par l’échographie de l’orbite et l’évaluation de l’angle iridocornéen par gonioscopie. Les mélanomes épibulbaires ont plutôt tendance à “écraser” l’angle iridocornéen qu’à l’envahir alors que les tumeurs d’origine uvéale infiltrent plus fréquemment les structures environnantes, y compris l’angle.
Les mélanomes épibulbaires partagent le même comportement chez le chien et le chat [7, 9, 13].
Les mélanomes intra-oculaires sont les tumeurs intra-oculaires primaires les plus fréquentes et concernent principalement les animaux âgés [4, 7]. Le berger allemand, le labrador et le golden retriever sont des races prédisposées, une origine familiale ayant été mise en évidence pour les deux dernières [2, 8]. Ces tumeurs ont pour origine l’iris, les corps ciliaires et, plus rarement, la choroïde (photo 3). En effet, selon les études, environ 80 à 95 % des mélanocytomes intra-oculaires et quelque 95 % des formes malignes se développent à partir de l’uvée située dans le segment antérieur. Environ 80 % des tumeurs mélanocytaires intra-oculaires sont bénignes chez le chien [4, 8]. Les mélanomes intra-oculaires sont majoritairement bénins chez le chien. Cependant, ils peuvent être localement invasifs et évoluer vers la forme maligne [4]. Ils doivent être différenciés des pigmentations bénignes, « physiologiques » de l’iris, ou nævi (photo 4). Contrairement au chat, chez lequel les mélanomes envahissent les tissus de manière diffuse, dans l’espèce canine, ils apparaissent comme un épaississement focal de l’iris ou de multiples masses irrégulières, les tumeurs malignes ayant tendance à être moins (voire non) pigmentées. Les signes cliniques sont très variés, la consultation étant parfois motivée par la visualisation d’une masse (dans l’iris ou derrière la pupille), un changement de couleur de l’iris ou une déformation de la pupille, sans autre symptôme. Dans des cas plus avancés, la présence de la masse entraîne une hypertension intra-oculaire ou une uvéite, et l’examen clinique peut révéler un blépharospasme, une hyperhémie des conjonctives, un œdème cornéen, une néovascularisation cornéenne, un hyphéma, un effet Tyndall positif, une dyscorie/anisocorie, une (sub)luxation de cristallin, un décollement de rétine, une cécité, etc. Le recours à la transillumination (technique qui consiste à pratiquer un examen par transparence à l’aide d’un fin faisceau lumineux), l’échographie oculaire et la gonioscopie permettent de mieux préciser la nature des structures impliquées et de distinguer les tumeurs d’origine intra-oculaire (encadré 1). En fonction de la taille et du degré d’extension, l’ablation locale, l’énucléation ou l’exentération (excision chirurgicale du contenu de l’orbite) doivent être envisagées. Selon une étude, lors de l’énucléation, la plupart des tumeurs ont envahi la sclère, mais sans extension extrasclérale (51 % des mélanocytomes et 61 % des tumeurs malignes) [8]. Cet essai a également mis en évidence une différence significative entre l’espérance de vie moyenne des animaux contrôles ou atteints de mélanocytome et celle des individus présentant un mélanome (malin). Le taux de métastases des mélanomes de l’uvée est compris entre 4 et 10 %. Ce faible pourcentage et le fait qu’il n’est pas avéré que l’énucléation réduise le risque de dissémination rendent difficile la décision de retirer un œil visuel et non douloureux. Il était également considéré que la manipulation du globe lors de la chirurgie augmentait le risque de dissémination par voie hématogène, mais cela semble n’être le cas que si l’animal est simultanément immunodéprimé [12]. Le risque de métastase augmente lors de glaucome ou d’infiltration extrasclérale. Enfin, dans la mesure où des métastases intra-oculaires à partir d’un mélanome cutané (doigt) ou buccal sont décrites, un examen clinique général et approfondi est indiqué [5, 7].
Alors que, chez le chien, les mélanomes de l’iris se développent comme des masses bien distinctes, les chats présentent souvent une pigmentation progressive et diffuse de l’iris, et les métastases sont assez fréquentes (photos 5 et 6). Cliniquement, il est parfois difficile de faire la différence entre un mélanome irien et le développement d’une pigmentation diffuse bénigne (il s’agit de mélanose lorsque la pigmentation est confinée à la surface de l’iris) (photo 7) [4]. Lors de mélanome diffus, le changement de couleur de l’iris peut prendre plusieurs mois, voire plusieurs années, concerner une ou plusieurs zones de celui-ci, et s’accompagner de réflexes pupillaires anormaux (lents, asymétriques), de dyscorie (forme irrégulière de la pupille) et/ou de glaucome, par invasion de l’angle iridocornéen (photos 8 à 10) [7]. D’autres animaux connaissent une évolution beaucoup plus rapide. Les symptômes associés à ce genre de tumeurs sont les mêmes que ceux décrits précédemment chez le chien. Certains mélanomes qui se développent à partir de l’uvée postérieure provoquent des exophtalmies par envahissement de la cavité orbitaire au travers de la sclère (photo 11). Pas loin des deux tiers des chats concernés présentent des métastases asymptomatiques, susceptibles de proliférer encore entre 1 et 3 ans après l’énucléation et dont la localisation est plus fréquemment abdominale que pulmonaire [4, 10]. Des paramètres ont été établis afin de pouvoir déterminer le pronostic et si l’œil atteint doit être énucléé ou non (encadré 2). Ainsi, selon la rapidité de progression de la surface irienne anormalement pigmentée, et si la pression intra-oculaire est élevée, la pupille dyscorique, l’angle iridocornéen infiltré par des cellules (ou une masse) pigmentées ou que les réflexes pupillaires sont anormaux, le clinicien décide de l’option thérapeutique [7]. L’évaluation de ces paramètres doit être méthodique et donner lieu à une discussion (prenant en compte l’âge de l’animal, son confort, etc.) avec le propriétaire. L’histopathologie permet également d’affiner le pronostic : le temps de survie de l’individu énucléé se réduit si l’épithélium postérieur de l’iris est envahi par les cellules tumorales, si l’index mitotique est élevé ou si le plexus veineux scléral est envahi (photos 12 et 13). Les chats atteints, mais n’ayant pas développé de glaucome secondaire et dont l’infiltration tumorale est limitée à l’iris lors de l’énucléation ont une espérance de vie comparable à celle des animaux sains (tableau) [4, 10]. Enfin, une forme rare et atypique de mélanome félin a été décrite. Elle se caractérise par la présence de nombreuses masses très pigmentées observables à tous les niveaux de l’uvée, mais non centrées sur l’iris [4].
Si les mélanomes sont le plus souvent relativement faciles à diagnostiquer, il n’est pas toujours évident d’en définir les caractéristiques sans avoir recours à une lampe à fente, à l’ophtalmoscopie indirecte, à la gonioscopie, à la tonométrie ou à l’échographie. Les résultats de ces examens, ainsi que la localisation de la tumeur et l’espèce atteinte déterminent la conduite à tenir. L’attitude à adopter face à ces tumeurs devrait donc être systématique, voire stéréotypée, afin d’éviter l’évolution souvent inéluctable vers la perte de l’œil ou le développement de métastases.
Le mélanome intra-oculaire est à distinguer :
– des autres tumeurs (primaires ou métastases) ;
– des kystes iriens (ou des corps ciliaires) ;
– des staphylomes ;
– des mélanocytomes épibulbaires ;
– de la mélanose.
→ Des métastases peuvent survenir des années après l’énucléation chez le chat atteint de mélanome de l’uvée.
→ Lors de mélanome intra-oculaire, le pronostic est mauvais chez le chat à la fois pour l’œil et pour la vie de l’animal, alors qu’il ne l’est que pour l’œil chez le chien.
→ Un examen approfondi est nécessaire pour déterminer l’origine et le traitement lors de mélanome oculaire.
→ En raison du nombre fréquent de récidives et de leur agressivité, les mélanomes conjonctivaux requièrent une surveillance continue après l’ablation locale.
→ Le pronostic des tumeurs mélanocytaires est différent selon l’espèce et la région impliquée.
Des paramètres sont à étudier pour déterminer le pronostic, et si l’œil atteint doit être énucléé ou non :
– la pression intra-oculaire ;
– la forme et la taille de la pupille ;
– les réflexes pupillaires ;
– l’angle iridocornéen (gonioscopie) ;
– l’évolution dans le temps (à l’aide de photos).
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