Reproduction par injection intracytoplasmique de spermatozoïde chez les mammifères - Le Point Vétérinaire n° 314 du 01/04/2011
Le Point Vétérinaire n° 314 du 01/04/2011

REPRODUCTION TOUTES ESPÈCES

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Auteur(s) : Laëtitia Faure*, Martine Chebrout**, Sylvie Chastant-Maillard***

Fonctions :
*UMR 1198 Biologie du développement et reproduction INRA/ENVA
7, avenue du Général de Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex
**UMR 1198 Biologie du développement et reproduction INRA/ENVA
7, avenue du Général de Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex
***Reproduction, ENVT, 23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex

Utilisée depuis des années chez les couples infertiles, en solution alternative à la fécondation in vitro, l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde est réalisable dans de nombreuses espèces animales.

Depuis la naissance de Louise Brown en 1978, la fécondation in vitro (FIV) a permis à de nombreux couples souffrant d’une infertilité d’origine maternelle de procréer. Cependant, les résultats de la FIV sont décevants dans les cas d’infertilité d’origine paternelle, qu’il s’agisse d’anomalies qualitatives (asthéno- ou tératozoospermie) ou quantitatives (oligozoospermie). Une technique de fécondation assistée, l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (intracytoplasmic sperm injection ou ICSI), a apporté une solution car elle nécessite 100 fois moins de spermatozoïdes que la FIV (encadré). C’est d’ailleurs pourquoi elle a été utilisée pour la semence sexée, les quantités de spermatozoïdes triés dans les débuts de la technique étant très faibles. Mise au point chez la souris, cette technique a été très rapidement employée dans l’espèce humaine, avant d’être appliquée chez les autres animaux. Mais les rendements, les intérêts et les enjeux diffèrent, en particulier pour les espèces de production.

Dans l’espèce humaine

Au début des années 1990, la mise au point de l’ICSI a révolutionné le traitement de l’infertilité d’origine paternelle (oligo- et/ou asthénozoospermie) [3, 4]. Depuis, elle est devenue la technique d’assistance médicale à la procréation (AMP) la plus pratiquée puisqu’elle concerne environ 38 % des enfants nés vivants après AMP (soit 7 659 individus en 2007), contre 21,5 % bébés nés par FIV et 29,9 % par insémination [5]. Le développement de cette méthode est lié à son taux de réussite élevé. Les centres français déclaraient ainsi en 2007 un taux d’accouchement par cycle de 22,4 %. Le coût d’une grossesse obtenue par ICSI est de l’ordre de 4 800 à 8 800 € [6].

La principale question éthique posée par l’ICSI est la normalité des individus nés grâce à cette technique. La fréquence des malformations majeures (2 à 3 %) chez les enfants conçus par ICSI est similaire à celle observée chez les enfants nés par fécondation in vitro, mais supérieure à celle notée en reproduction naturelle (de l’ordre de 1 %) [6-10]. Le risque semble cependant augmenter si les embryons obtenus par ICSI sont congelés avant leur transfert dans l’utérus [11]. Si l’infertilité paternelle est d’origine génétique, l’ICSI permet sa transmission à la descendance. En cas de microdélétion sur le chromosome Y (responsable de l’infertilité) chez le père, un nouveau-né garçon en est également porteur, avec augmentation du risque de syndrome du X fragile chez les filles. L’utilisation de l’ICSI à grande échelle peut donc être associée à une légère augmentation de l’infertilité dans l’espèce humaine. Actuellement, environ 1 % des enfants nés en France sont issus d’ICSI. Des suivis à long terme de cohortes d’enfants nés par ICSI sont en cours afin d’évaluer les éventuelles conséquences à long terme, dont celles sur la reproduction.

L’ICSI a également été extrapolée à d’autres espèces de mammifères, avec des rendements très variables (tableau complémentaire). Compte tenu de la lourdeur de la logistique qui lui est associée (collecte d’ovocytes, ICSI sous contrôle microscopique, culture in vitro, transfert chez une femelle synchronisée), le risque de diffusion à outrance de quelques mâles dans une espèce, donc d’appauvrissement génétique d’une population, est presque inexistant.

Chez la souris et les autres animaux de laboratoire

Malgré leurs imperfections en tant que modèle de l’espèce humaine, mais en raison de leur facilité d’étude, les rongeurs de laboratoire, comme la souris, le hamster, le rat ou encore le mastomy (Mastomys natalensis ) ont été utilisés comme modèles expérimentaux de l’ICSI. Ces espèces ont permis, en particulier, de tester des cellules mâles d’origines variées, et de démontrer qu’il est possible d’obtenir des naissances quels que soient le mode de conservation de la semence (fraîche, réfrigérée ou congelée), l’origine des spermatozoïdes (épididymaire ou testiculaire) et leur stade de développement (spermatides ou spermatocytes) [12-10-16]. Les spermatozoïdes injectés ne nécessitent pas non plus d’être normaux : des naissances ont été obtenues avec des spermatozoïdes de forme anormale, avec des têtes spermatiques entières ou même dépourvues d’acrosome, voire des noyaux isolés [17-19]. D’ailleurs, les critères de choix du spermatozoïde à injecter restent encore flous. Actuellement, les recherches évaluent l’intérêt d’une sélection morphologique par une observation du spermatozoïde à très fort grossissement (de × 6 600 à × 12 500 au lieu de × 1 000 avec les microscopes classiques) pour exclure les spermatozoïdes porteurs de volumineuses cavités [13]. Il s’agit alors d’IMSI, pour intracytoplasmic morphologically selected injection, qui semble permettre d’augmenter le taux de réussite [6].

Chez les ruminants

L’oligo(asthéno)zoospermie, indication fréquente de l’ICSI dans l’espèce humaine, est peu fréquente chez les ruminants, les mâles atteints étant rapidement écartés de la reproduction. Mais elle peut cependant être rencontrée chez les mâles transgéniques, dont il est important d’obtenir la reproduction pour transmettre le transgène à la descendance. L’ICSI permet d’utiliser du sperme lyophilisé, plus facile à conserver que les paillettes congelées dans l’azote liquide. Mais chaque veau né par ICSI vaut quelques milliers d’euros.

Chez les équidés

Chez le cheval, les taux de fécondation obtenus in vitro sont extrêmement faibles et inconstants avec des difficultés de pénétration du spermatozoïde dans l’ovocyte. Cela justifie le recours à l’ICSI, avec la première naissance d’un poulain en 1996 [20].

Dans cette espèce, il est intéressant de faire reproduire des mâles pourtant oligoasthénospermiques, en raison de leurs performances sportives, donc de la valeur de leur descendance. Des poulains naissent ainsi d’étalons infertiles en saillie ou en insémination grâce à l’ICSI [21].

De plus, le coût très élevé de certaines paillettes de sperme justifierait de mieux les valoriser grâce à l’ICSI. L’ICSI pourrait également être utilisée dans le cadre de la sauvegarde des équidés sauvages en voie de disparition, comme le cheval de Przewalski ou certains ânes sauvages, chez lesquels ovocytes et spermatozoïdes sont rares.

Chez le chat

Des naissances de chatons domestiques ont été obtenues par ICSI à la fois avec des ovocytes maturés in vivo et in vitro [22, 23]. Des embryons ont été produits à partir de semence épididymaire congelée et de spermatozoïdes testiculaires [24, 25]. Même si les rendements restent très faibles, ces expériences ont pour objectif de mettre au point la production d’embryons par ICSI chez les félidés sauvages, dont toutes les espèces sont actuellement en voie de disparition.

Chez le chien

Chez la chienne, l’ICSI se heurte à une difficulté spécifique qui est la rareté des ovocytes ayant atteint le stade métaphase II. En effet, les taux d’ovocytes fécondables produits par les systèmes actuels de maturation in vitro (MIV) sont de l’ordre de 10 à 20 % [2, 26]. Le seul essai d’ICSI dans cette espèce a été réalisé sur un très faible nombre d’ovocytes immatures [27]. Sous réserve de l’amélioration du rendement de la MIV chez la chienne, l’ICSI présenterait, dans cette espèce, l’intérêt de permettre la reproduction de chiens mâles oligoasthénospermiques, qu’ils soient champions de beauté ou de travail ou porteurs de mutations homologues de celles responsables de maladies génétiques humaines. Elle constituerait aussi une solution alternative puissante à la FIV qui génère dans cette espèce environ 50 % d’ovocytes pénétrés par plusieurs spermatozoïdes (jusqu’à 14 par ovocyte) [28].

Chez les espèces de la faune sauvage

Permettant de valoriser des spermatozoïdes rares, l’ICSI a également été tentée chez des espèces sauvages en voie de disparition. De plus, 70 % des espèces de félidés présentent un fort taux de tératozoospermie lié à une consanguinité importante (moins de 40 % de spermatozoïdes normaux dans un éjaculat), ce qui renforce l’intérêt de l’ICSI.

Des embryons ont ainsi été obtenus chez le lion (Panthera leo ), le jaguarundi (Herpailurus yaguarondi ), le wallaby d’Eugénie (Macropus eugenii ), la baleine de minke (Balaenoptera bonaerensis ) (chez laquelle ces travaux doivent être considérés comme l’alibi scientifique de la chasse) [29-32]. Mais, chez les espèces sauvages, la difficulté est non seulement d’obtenir des embryons, mais de disposer de femelles receveuses. Chez les félidés, des chattes domestiques (Felis catus ) ont ainsi été utilisées comme femelles receveuses pour des embryons produits par FIV chez le chat indien du désert (Felis sylvestris ornata ) [33]. Le même type de transfert d’embryons de jaguarundi produits par ICSI n’a donné lieu à aucune naissance [30].

Conclusion

L’ICSI est donc une technique de reproduction assistée qui permet des naissances dans un grand nombre d’espèces, avec des rendements et des motivations très variés. Cette méthode n’a réellement pris d’importance, au point d’être utilisée en routine, que dans l’espèce humaine. Son intérêt dans les espèces de production est limité par l’éviction systématique des mâles infertiles des schémas de reproduction. Néanmoins, chez les espèces de compagnie, de sports ou de loisirs, aussi bien que dans des espèces en voie de disparition, la reproduction de tels animaux présente un intérêt et l’ICSI permettrait d’obtenir une descendance.

Références

  • 3. Palermo G, Joris H, Devroey P, Van Steirteghem AC. Pregnancies after intracytoplasmic injection of single spermatozoon into an oocyte. Lancet. 1992;340:17-18.
  • 5. Agence de la biomédecine. Rapport annuel 2009. (http://www.agence-biomedecine.fr/uploads/document/RA_Biomed_2009-B.pdf).
  • 10. Hansen M, Bower C, Milne E et coll. Assisted reproductive technologies and the risk of birth defects – a systematic review. Human Reprod. 2005;20(2):328-338.
  • 21. McKinnon AO, Lacham-Kaplan O, Trounson AO. Pregnancies produced from fertile and infertile stallions by intracytoplasmic sperm injection (ICSI) of single frozen-thawed spermatozoa into in vivo matured mare oocytes. J. Reprod. Fertil. Suppl. 2000;56:513-517.
  • 22. Pope CE, Johnson CA, McRae MA et coll. Development of embryos produced by intracytoplasmic sperm injection of cat oocytes. Anim. Reprod. Sci. 1998;53:221-236.
  • 27. Fulton RM, Keskintepe L, Durrant BS, Fayrer-Hosken RA. Intracytoplasmic sperm injection (ICSI) for the treatment of canine infertility. Theriogenology. 1998;48:366.
  • 35. Kimura Y, Yanagimachi R. Intracytoplasmic sperm injection in the mouse. Biol. Reprod. 1995;52:709-720.
  • 39. Horiuchi T, Emuta C, Yamauchi Y et coll. Birth of normal calves after intracytoplasmic sperm injection of bovine oocytes : a methodological approach. Theriogenology. 2002;57:1013-1024.
  • 40. Catt SL, Catt JW, Gome MC et coll. Birth of a male lamb derived from an in vitro matured oocyte fertilised by intracytoplasmic injection of a single presumptive male sperm. Vet. Rec. 1996;139:494-495.
  • 41. Wang B, Baldassare H, Pierson J et coll. The in vitro and in vivo development of goat embryos produced by intracytoplasmic sperm injection using tail-cut spermatozoa. Zygote. 2003;11:219-227.
  • 43. Fulton RM, Keskintepe L, Durrant BS, Fayrer-Hosken RA. Intracytoplasmic sperm injection (ICSI) for the treatment of canine infertility. Theriogenology. 1998;48:366.

Encadré
Technique

→ L’injection intracytoplasmique de spermatozoïde consiste à injecter un spermatozoïde dans le cytoplasme ovocytaire (figure, photo). Les spermatozoïdes sont placés dans une goutte de milieu de viscosité élevée afin de ralentir leurs mouvements et ainsi de permettre leur aspiration. Un seul spermatozoïde est aspiré dans la pipette d’injection puis injecté dans le cytoplasme. Les spermatozoïdes sont utilisés frais ou après cryoconservation, alors que les ovocytes ne peuvent l’être que frais. Comme lors de la fécondation en conditions physiologiques, l’injection doit s’effectuer dans un ovocyte au stade métaphase II. Chez l’animal, les ovocytes sont collectés après ovariectomie chez un animal vivant ou mort. Ils peuvent également être recueillis in vivo par ponction folliculaire (OPU pour ovum pick up ) chez les grandes femelles domestiques (vache, jument) et chez la femme. Les ovocytes sont alors immatures (prophase I) et il est nécessaire de procéder à une maturation in vitro (MIV) pour obtenir le stade métaphase II. Ce mode de prélèvement n’est donc envisageable que dans les espèces chez lesquelles la MIV présente un bon rendement (comme les ruminants) [1]. Chez les canidés, la MIV n’est pas au point et les ovocytes doivent être collectés dans l’oviducte [2].

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