Comment utiliser les ? morphiniques chez le chien et le chat ? - Le Point Vétérinaire n° 312 du 01/01/2011
Le Point Vétérinaire n° 312 du 01/01/2011

ANALGÉSIE CANINE ET FÉLINE

Dossier

Auteur(s) : Stéphane Junot

Fonctions : Unité ACSAI,
service d’anesthésie-réanimation
VetAgro Sup,
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat, BP 83,
69280 Marcy-L’Étoile
E-mail : s.junot@vetagro-sup.fr

L’apparition de morphiniques vétérinaires et l’accès facilité aux molécules disponibles en médecine humaine permettent au praticien d’optimiser le traitement en fonction du type de douleur rencontré.

Les morphiniques constituent une classe de médicaments connue depuis longtemps pour leurs propriétés analgésiques. Pour autant, les risques d’utilisation détournée, ainsi que la crainte d’effets secondaires ont rendu leur accès difficile et longtemps limité leur emploi en médecine vétérinaire. En 1999, le remplacement du carnet à souches par des ordonnances sécurisées a contribué à faciliter la prescription des médicaments humains disponibles en officines (1). L’arrêté du 7 février 2007 permettant l’accès à divers médicaments de la réserve hospitalière dont des morphiniques (arrêté abrogé et remplacé par celui du 29 octobre 2009), ainsi que la mise sur le marché vétérinaire du butorphanol et de la buprénorphine ont facilité l’emploi de cette classe médicamenteuse. L’objectif de cet article est de présenter les différents morphiniques à disposition en médecine vétérinaire, tout en se focalisant sur leur utilisation pratique dans le cadre de la douleur aiguë comme de la douleur chronique.

1 Différentes molécules à disposition en médecine vétérinaire

Les morphiniques agissent sur les récepteurs aux endomorphines (µ ou MOP, κ ou KOP et δ ou DOP, et, plus récemment identifiés, les NOP ou récepteurs à la nociceptine/orphanine), en élevant le seuil de déclenchement de la douleur (2). Plusieurs molécules peuvent être utilisées chez le chien et le chat : la buprénorphine et le butorphanol (qui rentrent dans la composition de médicaments indiqués dans ces deux espèces), la morphine, le fentanyl, le tramadol et la codéine, médicaments humains possiblement prescrits “hors RCP” (résumé des caractéristiques du produit) dans le cadre de la “cascade” (tableau 1). Les morphiniques peuvent être administrés par différentes voies, qui vont influencer leur efficacité et leur durée d’action (tableau 2).

Agonistes complets des récepteurs µ

MORPHINE

La morphine est la molécule agoniste des récepteurs µde référence. Pour un coût de revient modéré, elle entraîne une analgésie dose-dépendante avec une marge de sécurité relativement large (2) (dose allant de 0,1 à 1 mg/kg chez le chien, de 0,1 à 0,4 mg/kg chez le chat). Son délai d’action est d’environ 5 à 10 minutes par voie intraveineuse pour une durée d’action moyenne (2 à 4 heures chez le chien, 4 à 6 heures chez le chat). Elle peut être administrée par différentes voies : intraveineuse, intramusculaire, sous-cutanée, orale, épidurale/intrathécale, intra-articulaire. La voie intraveineuse est préférable lorsqu’une action rapide ou une titration de l’effet est désirée, en prenant la précaution d’injecter le produit lentement et dilué pour limiter les risques d’histamino-libération et d’hypotension associée. L’administration en perfusion continue est une alternative efficace aux boli : à une dose de 0,1 à 0,2 mg/kg/h, elle optimise l’analgésie en obtenant une concentration plasmatique constante en morphine (photo 1). Utilisée en phase peropératoire, la perfusion continue de morphine permet une baisse des besoins en anesthésique volatil et peut être poursuivie en phase postopératoire au même rythme [16]. La voie épidurale constitue une autre voie d’administration intéressante : la morphine, choisie sans agent conservateur (0,1 à 0,2 mg/kg), présente en raison de sa faible liposolubilité une durée d’action pouvant aller jusqu’à 24 heures (photo 2). Elle peut aussi être associée à un anesthésique local comme la bupivacaïne (1 ml/5 kg de bupivacaïne 0,5 %). Cette technique procure un confort postopératoire optimal pour l’animal (affections et chirurgie de l’arrière-train et de l’abdomen caudal), mais elle est contre-indiquée en cas de trouble de la coagulation, de septicémie, de traumatisme de la région lombo-sacrée ou d’infection proche du site d’injection [24]. En marge de ces effets centraux, la morphine peut aussi présenter une action périphérique. Des récepteurs morphiniques µ ont en effet été isolés dans les articulations lors d’inflammation [22]. Cela explique l’efficacité constatée de la morphine par voie intra-articulaire, à la dose de 0,1 mg/kg, son pouvoir antalgique pouvant atteindre 18 heures chez l’homme [4]. Le recours à la voie orale est également possible, mais, en raison d’un premier passage hépatique important, la biodisponibilité de la morphine n’est que de 20 % environ chez le chien [5]. Cela, combiné à la faible production de métabolites actifs (morphine-6-glucoronide, explique la moindre efficacité de cette forme chez le chien, comparé à l’homme, et la nécessité de recourir à des doses élevées [11]. La forme orale n’a pas fait l’objet d’étude chez le chat, à notre connaissance.

Comme chez l’homme, l’effet indésirable le plus fréquent lié à cette voie est la constipation, mais des états nauséeux, des vomissements et une sédation ont aussi été rapportés [17].

FENTANYL

Le fentanyl est un morphinique agoniste µ, très lipophile, environ 100 fois plus puissant que la morphine (1). Il est essentiellement administré par voie intraveineuse (1 à 5 µg/kg), mais peut aussi être injecté par voie intramusculaire, sous-cutanée (5 à 10 µg/kg). Sa puissance, son action rapide (dans la minute qui suit son administration par voie intraveineuse) mais courte (une vingtaine de minutes environ) le rendent adapté pour le traitement des douleurs sévères aiguës notamment peropératoires (1 à 2 µg/kg par voie intraveineuse). En raison de son pouvoir sédatif et de ses faibles effets dépresseurs cardiovasculaires, il peut aussi être utilisé pour la prémédication des animaux critiques avant une anesthésie générale (1 à 5 µg/kg par voie intraveineuse), le plus souvent avec du midazolam (0,2 mg/kg) (photo 3). Ce cocktail réduit drastiquement les besoins en anesthésiques généraux et limite la dose d’agent d’induction, réduisant ainsi les risques d’hypotension associés à cette phase. Une bradycardie vagale, sans diminution de la contractilité myocardique, est souvent consécutive à l’administration de fentanyl intraveineux. Une dépression respiratoire dose-dépendante peut aussi survenir. C’est pourquoi il est préférable d’administrer ce médicament à un animal intubé lors d’anesthésie, ou, à défaut, avec le matériel d’intubation à disposition, pour pouvoir pratiquer une ventilation en cas d’apnée ou d’hypoventilation importante. Le fentanyl peut aussi être administré en phase peropératoire en perfusion continue au rythme de 1 à 10 µg/kg/h. Cette perfusion peut être continuée en phase postopératoire, en diminuant le rythme (1 à 2 µg/kg/h) pour limiter la survenue d’une sédation et/ou d’une dépression respiratoire trop importante. La forme la plus utilisée en médecine vétérinaire reste le fentanyl transdermique (photo 4, encadré 1). Les résultats des études sur l’effet analgésique du fentanyl transdermique ont globalement montré un effet antalgique similaire ou légèrement inférieur à d’autres morphiniques injectables pour une utilisation péri-opératoire, mais avec un passage transdermique aléatoire chez certains animaux nécessitant alors un traitement analgésique complémentaire [12, 13]. La disponibilité du fentanyl injectable rend moins attractive cette forme pour une analgésie péri-opératoire et la réserve à un usage postopératoire où elle peut être préférable à des bolus intermittents de morphiniques.

Morphiniques agonistes partiels des récepteurs µ

La buprénorphine constitue le principal représentant de cette catégorie. Elle présente un délai d’action d’environ 45 minutes par voie sous-cutanée ou intramusculaire, et une durée d’action de 4 à 10 heures selon la dose administrée [23]. La buprénorphine présente une puissance relative supérieure à celle de la morphine, à pondérer avec l’existence d’un effet plafond (toutefois supérieur à la dose recommandée), mais qui limite son administration à des douleurs modérées. Ces propriétés pharmacocinétiques particulières la rendent particulièrement intéressante pour le traitement de la douleur postopératoire. En revanche, sa forte affinité pour les récepteurs µpeut rendre difficile son antagonisation par la naloxone, d’où la recommandation de ne pas administrer de fortes doses, même si la dose classique peut être doublée sans risque majeur d’effet indésirable. Dans le même ordre d’idée, si l’analgésie procurée par la buprénorphine se révèle insuffisante, le recours à la morphine risque d’être inefficace, les récepteurs µétant déjà fortement liés à la buprénorphine. La dose classique est de 0,02 mg/kg par voies intraveineuse, intramusculaire et sous-cutanée, chez le chien et le chat. Les chats semblent particulièrement sensibles aux effets antalgiques de la buprénorphine, chez qui elle entraîne préférentiellement des effets euphorisants [20]. Dans cette espèce, elle peut aussi être administrée par voie transmuqueuse, avec une efficacité quasi similaire à celle de la voie systémique, ce qui permet une administration aisée à l’animal hospitalisé ou chez lequel les injections sont difficiles à réaliser (photo 5) [19]. Le pH alcalin de la bouche du chat est probablement responsable de ce phénomène, qui n’est pas retrouvé chez le chien.

Morphiniques agonistes-antagonistes

Cette catégorie est représentée par le butorphanol, agoniste des récepteurs k et antagonistes des récepteurs µ. Cet agent présente un effet plafond limitant son activité analgésique au-delà d’une certaine dose. Son pouvoir antalgique est modéré et de courte durée (1 à 2 heures). Il est ainsi recommandé pour des douleurs faibles à modérées, plutôt d’origine viscérale, à la dose de 0,1 à 0,4 mg/kg [15]. Son pouvoir antalgique somatique est limité et nécessite des doses plus élevée (0,4 mg/kg). Il possède des propriétés sédatives et une marge thérapeutique importante, et est de ce fait souvent utilisé en association avec des α2-agonistes (médétomidine par exemple) ou des phénothiazines (acépromazine), pour obtenir une neuroleptanalgésie afin de réaliser des gestes peu invasifs (examens d’imagerie médicale, otoscopie, etc.). Le butorphanol est aussi doté de propriétés antitussives et n’a que très peu d’effets digestifs (pas d’augmentation du tonus pylorique notamment). Il est donc à privilégier pour les endoscopies respiratoires et digestives. Enfin, en raison de son affinité et de son action antagoniste sur les récepteurs µ, le butorphanol peut aussi être employé pour atténuer, voire abolir, les effets indésirables des morphiniques agonistes µcomme la morphine.

Morphiniques antagonistes

Les morphiniques antagonistes sont principalement représentés par la naloxone, qui présente une forte affinité et un effet antagoniste sur les récepteurs morphiniques µ et κ. Son usage est recommandé en cas de survenue d’effets indésirables (comme une dépression respiratoire, une sédation trop intense ou une dysphorie, etc.) obtenus avec de la morphine, du butorphanol ou du fentanyl. La naloxone présente une affinité pour les récepteurs µ et une durée d’action moins importante que la buprénorphine, et est peu efficace pour contrer les effets secondaires de cette dernière. Les doses recommandées sont de 0,002 à 0,04 mg/kg, il est cependant préférable de l’administrer à dose faible en titration par voie intraveineuse pour obtenir juste l’arrêt de l’effet indésirable et espérer garder un minimum d’activité antalgique [17].

Morphiniques “atypiques”

Parmi les morphiniques atypiques, le praticien peut utiliser le tramadol et la codéine.

→ Le tramadol est un agoniste faible des récepteurs µ. Il présente en effet une très faible affinité pour ces derniers (environ deux cents fois moins que la morphine). Son action analgésique est pour partie liée à la présence de métabolites actifs (dont l’O-déméthyl-tramadol), qui est beaucoup plus affin pour les récepteurs µ (environ dix fois moins que la morphine), mais aussi à l’inhibition de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (similairement aux α2-agonistes). Deux présentations sont utilisables : les formes injectables et orales (encadré 2).

→ La codéine est également un morphinique faible. Chez l’homme, environ 10 % de la codéine est métabolisée en morphine et lui procure un pouvoir antalgique. Chez le chien et le chat, seulement 1,5 % est métabolisé en morphine, ce qui explique le modeste pouvoir antalgique de cette molécule dans ces espèces et donc sa faible utilisation pour cette indication [6].

2 Morphiniques et traitement de la douleur

En raison de leur efficacité antalgique et de leurs propriétés pharmacocinétiques, les morphiniques sont des agents de choix pour le traitement des douleurs modérées à sévères. Ils sont aussi utilisés avec une visée thérapeutique pour leurs effets antitussifs et antidiarrhéiques, mais ces aspects ne sont pas développés dans cet article. L’arbre décisionnel de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fondé sur la description de paliers de douleur a été élaboré initialement pour la douleur cancéreuse, mais il peut être utilisé par extension quel que soit le type de souffrance (aiguë ou chronique) et permet de guider le clinicien dans le choix de sa thérapeutique antalgique (figure 1 et figures 2 et 3 complémentaires sur www.WK-Vet.fr).

Utilisation des morphiniques dans le cadre de la douleur aiguë

La douleur aiguë est essentiellement inflammatoire, à la suite du trauma tissulaire. Elle peut dans certains cas être neuropathique lors de lésion nerveuse associée. L’objectif majeur de la prise en charge de ces douleurs est de limiter toute chronicisation ou mise en place d’une hypersensibilisation périphérique ou centrale (par sensibilisation respectivement des nocicepteurs ou des neurones de la corne dorsale de la moelle épinière) [14]. Les recommandations actuelles sont :

– d’instaurer des protocoles d’analgésie multimodale, c’est-à-dire avec plusieurs molécules agissant sur des cibles différentes, dont des morphiniques pour des douleurs de paliers II à III ;

– d’avoir recours à des anesthésies locorégionales, notamment dans le cadre des douleurs chirurgicales ;

– d’utiliser des antagonistes des récepteurs au N-méthyl-D-aspartate (NMDA) comme la kétamine, dont l’efficacité est maintenant connue contre les phénomènes d’hypersensibilisation.

Deux situations sont à distinguer dans le cadre de la douleur aiguë : les douleurs aiguës hors contexte chirurgical et les douleurs péri-opératoires.

LORS DE PHÉNOMÈNES ALGIQUES AIGUS NON OPÉRATOIRES

→ La traumatologie et l’abdomen aigu représentent deux situations pour lesquelles le traitement de la douleur est un élément clé de la prise en charge en améliorant significativement le confort de l’animal. Le traitement de la douleur doit ainsi être mis en œuvre précocement et intégré au plan de réanimation le cas échéant. Le choix du morphinique est guidé par l’origine de la douleur, son intensité, mais aussi l’état clinique de l’animal et les effets secondaires du morphinique.

→ En traumatologie, la morphine est souvent privilégiée en première intention car les animaux présentent parfois des douleurs sévères et cette molécule peut être titrée à effet, voire administrée en perfusion. De plus, ces animaux sont potentiellement hypovolémiques ou à risque d’hémorragie interne, et le recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens est alors contre-indiqué [10]. La sécurité cardio-vasculaire des morphiniques leur confère un réel intérêt. Leur potentiel effet dépresseur respiratoire ne doit pas constituer un frein car il est peu fréquent aux doses thérapeutiques et lorsqu’une douleur est présente. Il est classique de commencer par une dose de 0,1 à 0,2 mg/kg chez le chien, de 0,1 mg/kg chez le chat, et d’administrer une nouvelle dose en cas d’analgésie insuffisante constatée au bout d’une dizaine de minutes, jusqu’à obtention d’un effet satisfaisant. Si la douleur est sévère, une perfusion de morphine peut être mise en place ou, le cas échéant, une perfusion de fentanyl (après administration préalable d’un bolus), qui procure une analgésie plus puissante. Le trauma crânien constitue une exception où l’utilisation de morphine est susceptible de favoriser la survenue d’une hypertension intracrânienne par vasodilatation cérébrale (l’hypoventilation et l’accumulation de CO2 associée sont provoquées par la dépression respiratoire induite par le morphinique et induisent une vasodilatation cérébrale).

Le cas de l’abdomen aigu est plus délicat. Le butorphanol est intéressant si la douleur est modérée. En effet, des récepteurs κ peuvent être exprimés à la périphérie en cas d’inflammation viscérale [18]. Cela étant, si la douleur devient sévère, l’effet du butorphanol seul risque d’être insuffisant. La morphine a alors un meilleur potentiel antalgique, mais ses effets émétisants peuvent être un frein à son utilisation si une origine gastrique de la douleur est suspectée (notamment en cas de suspicion d’une dilatation-torsion de l’estomac). Le recours au fentanyl constitue alors une option intéressante car il est dénué d’effet émétisant, tout en étant doté d’un fort pouvoir antalgique. En revanche, sa faible durée d’action (une vingtaine de minutes) nécessite de prendre un relais à l’aide d’une perfusion (1 à 2 µg/kg/h).

DANS LE CADRE DE LA DOULEUR OPÉRATOIRE

Lors d’intervention chirurgicale, en phases pré- et peranesthésiques, le choix du morphinique dépend du palier de douleur anticipé, lié à l’intervention (encadré 3).

Pour la phase postopératoire, dès qu’une douleur modérée est anticipée, il est préférable de renouveler l’administration du morphinique à la fin de l’anesthésie ou après l’extubation (les morphiniques pouvant retarder le retour du réflexe de déglutition) (encadré 4).

Utilisation des morphiniques dans le cadre de la douleur chronique

→ La douleur chronique est définie par l’international association for the study of pain (IASP) comme une douleur ayant persisté au-delà du temps normal de cicatrisation. D’un point de vue physiopathologique, il s’agit souvent d’un phénomène multidimensionnel avec une sensibilisation périphérique et centrale des voies de la nociception, rendant l’animal hyperalgique et susceptible de présenter des réactions exacerbées à des stimulations non douloureuses (douleurs paroxystiques). Au-delà de cet aspect, la douleur chronique altère significativement la qualité de vie de l’animal et peut constituer un motif d’euthanasie pour le propriétaire. Avec le vieillissement et la médicalisation accrue des animaux de compagnie, le vétérinaire est de plus en plus fréquemment sollicité pour prendre en charge des douleurs chroniques (arthrosiques et cancéreuses en particulier). Ces douleurs sont le plus souvent d’origine multifactorielle et nécessitent une approche multimodale [7].

→ Les douleurs arthrosiques sont le plus souvent traitées efficacement en première intention par une approche multimodale incluant une perte de poids, une réhabilitation physique, des chondroprotecteurs et des AINS. Le recours aux morphiniques constitue une solution dès lors que les anti-inflammatoires ne sont plus efficaces ou tolérés. Le tramadol constitue un choix pertinent en première intention ; malgré la variabilité de sa biodisponibilité, son action multimodale se révèle intéressante. En cas de douleur sévère, la dose de tramadol peut être augmentée dans un premier temps. La morphine par voie orale est possiblement prescrite comme solution alternative, mais son absorption est aléatoire chez le chien (peu étudiée chez le chat). Dans cette situation, le recours à des adjuvants de l’analgésie améliore souvent significativement le confort de l’animal ; l’amantadine et la gabapentine constituent deux molécules très intéressantes pour compléter un protocole antalgique à l’aide de morphiniques, aussi bien chez le chien que chez le chat. L’acupuncture a donné également de très bons résultats pour cette indication [21].

→ Les douleurs d’origine cancéreuse ont souvent plusieurs causes :

– inflammatoire, en raison de l’inflammation liée à la tumeur et à sa croissance ;

– neuropathique, par les lésions nerveuses occasionnées par la tumeur, ses métastases (compression nerveuse, désafférentation) ou encore en raison du traitement instauré.

Dans ce cadre, la stratégie thérapeutique des paliers de douleur est souvent mise en œuvre. Le recours aux morphiniques n’intervient que pour les douleurs de paliers 2 et 3 (modérées et sévères). Le tramadol est préféré en première intention : il présente l’avantage d’avoir une marge thérapeutique large et la posologie peut être doublée en cas d’analgésie insuffisante. Dans ce cas, il convient de surveiller l’apparition de signes de léthargie, de sédation ou, à l’inverse, d’agitation, voire de dysphorie (surtout chez le chat). Il est intéressant à ce stade de l’associer avec d’autres traitements ou mesures de soutien (anticonvulsivants comme la gabapentine, antidépresseurs tricycliques comme l’amitriptyline, antagonistes NMDA comme l’amantadine), surtout si une origine nerveuse est suspectée. Ces combinaisons permettent d’améliorer significativement le confort des animaux pendant parfois quelques mois. Le recours à la morphine per os est envisagé lors de douleurs sévères constatées ou d’insuffisance d’effet du tramadol après mise en place d’une thérapie multimodale. L’inconvénient majeur de la morphine par voie orale est le risque de constipation qui peut nécessiter le recours à un laxatif et/ou une diète riche en fibres. Les états nauséeux et sédatifs sont, somme toute, peu fréquents. Il est très probable, même si cet aspect est peu documenté, que des phénomènes de dépendance physique se développent lors d’emploi prolongé. C’est pourquoi lors d’arrêt d’un traitement prolongé à base de morphinique, il convient de diminuer progressivement les doses ou d’espacer les prises du médicament afin de prévenir la survenue d’un syndrome de sevrage.

3 Plusieurs morphiniques peuvent-ils être associés ?

Le recours à des morphiniques différents peut être envisagé, notamment lors de douleur aiguë péri-opératoire. Il convient alors de choisir de façon judicieuse les molécules à associer pour en tirer le meilleur parti.

Deux morphiniques agonistes complets des récepteurs µcomme la morphine et le fentanyl sont utilisables concomitamment. Le fentanyl peut ainsi être administré en bolus ou en perfusion lorsque la titration de morphine s’avère insuffisante. À l’inverse, de la morphine peut être administrée en relais d’un traitement à base de fentanyl ou en attente de la mise en place d’une antalgie à base de fentanyl transdermique.

Un agoniste complet et un agoniste partiel des récepteurs µpeuvent être administrés ensemble. La buprénorphine est souvent utilisée en relais d’un traitement à base de morphine. À l’inverse, la morphine supplémente difficilement une analgésie insuffisante à base de buprénorphine en raison de l’affinité de cette dernière pour les récepteurs µ. La buprénorphine est ainsi employée parfois pour diminuer les effets secondaires néfastes de la morphine, tout en conservant une action analgésique.

Le résultat de l’association d’un agoniste et d’un agoniste-antagoniste dépend essentiellement de l’affinité relative des molécules pour les récepteurs morphiniques. Il est relativement difficile à anticiper, ce qui limite l’intérêt de ce type de combinaison. Par exemple, le butorphanol, plus affin que la morphine sur les récepteurs µ, va antagoniser les effets de cette dernière s’il est administré simultanément. À l’inverse, l’association buprénorphine-butorphanol est moins prévisible. Elle a été étudiée chez le chat, en comparaison avec le butorphanol seul et la buprénorphine seule, et aucun bénéfice antalgique n’a été montré. Les auteurs ont néanmoins noté une grande variabilité individuelle dans les effets analgésiques procurés par les trois protocoles [9].

Conclusion

Les morphiniques constituent des molécules clés dans le traitement des différents types de douleur (aiguë ou chronique). Ils permettent de gérer efficacement des douleurs modérées et sont indispensables au traitement des douleurs sévères, même s’il est souhaitable de les associer, dans un protocole d’analgésie multimodale lors de douleur, avec d’autres spécialités antalgiques. Le vétérinaire dispose dorénavant d’un arsenal thérapeutique antalgique complet, dont l’utilisation judicieuse doit permettre d’optimiser le confort des animaux, tant lors d’interventions chirurgicales qu’en cas de douleurs chroniques.

(1) Voir l’article “Approvisionnement, détention, prescription et délivrance des analgésiques centraux” de H. Pouliquen et E. Vandaële, dans ce numéro.

(2) Voir l’article “Les propriétés pharmacologiques des morphiniques utilisés chez le chien et le chat” de M. Gogny, dans ce numéro.

Références

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ENCADRÉ 1
Utilisation du fentanyl transdermique

→ La dose recommandée est de 2 à 4 µg/kg/h, les timbres disponibles étant de 12, 25, 50, 75, 100 µg/h.

→ Le timbre est préférentiellement positionné sur le thorax. La peau doit être tondue, nettoyée sans alcool et séchée avant application.

→ Le timbre est alors appliqué et le manipulateur doit s’assurer que toute la surface est collée. Il est préférable de maintenir une pression sur la surface du timbre pendant 1 minute environ.

→ Si l’animal est rendu à son propriétaire avec le timbre en place, il est préférable de lui faire signer un consentement éclairé, notamment par rapport au risque de passage transcutané lors de la manipulation du timbre ou d’ingestion accidentelle par un enfant ou l’animal.

ENCADRE 2
Le tramadol, morphinique atypique

Le tramadol est classiquement administré par voie orale pour le traitement des douleurs postopératoires, en relais d’un traitement à base de morphinique fort, ou de douleurs chroniques. Sa biodisponibilité par voie orale est relativement bonne puisqu’elle avoisine les 75 %. La dose est de 2 à 5 mg/kg deux à quatre fois par jour chez le chien, de 1 à 4 mg/kg deux fois par jour chez le chat. Sa forme injectable, à la dose de 2 mg/kg par voie intraveineuse, a été évaluée pour une utilisation péri-opératoire chez le chien et le chat, avec des résultats intéressants puisque l’analgésie obtenue s’est révélée similaire à celle de la morphine en cas de chirurgie de convenance [2, 3].

→ Précaution d’emploi : le tramadol offre une marge de sécurité élevée, mais il peut engendrer des effets dysphoriques, notamment chez le chat. Il possède une action proconvulsivante en médecine humaine chez le patient prédisposé et est, par extension, évité chez les ? animaux enclins à ce type de trouble. Enfin, eu égard à ses effets sur la sérotonine, il est recommandé de ne pas l’administrer concomitamment à un inhibiteur de la recapture de la sérotonine (amitriptyline, clomipramine, sélégiline, fluoxétine), au risque de voir se développer un syndrome sérotoninergique (dysphorie, hyperthermie, convulsions notamment).

ENCADRÉ 3
Utilisation des morphiniques en phases pré- et peranesthésique

Douleur sévère anticipée

→ Le choix pertinent : les agonistes pleins des récepteurs µ(morphine, voire fentanyl injectable) sont les plus intéressants en première intention.

→ En cas d’insuffisance d’effet constaté (animal réactif aux stimulations chirurgicales) :

– la morphine peut être redosée (délai d’action de 5 à 10 minutes environ) ;

– le recours au fentanyl peut être préférable : action très rapide, un bolus de 1 à 2 µg/kg est en général bien toléré et peut être suivi d’une perfusion continue ;

– solution alternative : administrer de la morphine en perfusion intraveineuse (0,1 à 0,2 mg/kg/h), éventuellement associée à d’autres molécules adjuvantes de l’analgésie comme la kétamine et/ou la lidocaïne (“MLK” ou “milk”, 2 à 10 µg/kg/min et 30 à 50 µg/kg/min respectivement, à ne pas utiliser chez le chat en raison de sa sensibilité à la lidocaïne) [16]. Des combinaisons similaires sont possibles avec le fentanyl (“FLK”) [1].

Douleur modérée anticipée

→ Le choix pertinent : le butorphanol, la buprénorphine, voire le tramadol, peuvent être utilisés (attention à la courte durée d’action du butorphanol et du tramadol et au délai d’action de la buprénorphine).

→ En cas d’insuffisance d’effet : le butorphanol peut être réadministré, mais il existe un risque d’effet plafond. La buprénorphine est difficile à réadministrer si un effet rapide est souhaité (sinon risque d’effet plafond également). Dans ces cas, la morphine ne pouvant être utilisée (risque d’inefficacité), le recours à d’autres molécules antalgiques comme les AINS, les α2-agonistes (médétomidine, dexmédétomidine) est alors nécessaire, sous réserve que l’état clinique de l’animal le permette (volémie, stabilité cardiovasculaire, etc.).

Le tramadol peut être redosé ou supplémenté par de la morphine.

Palier de douleur difficile à anticiper

→ Le choix pertinent : la solution la plus simple et la plus efficace dans ce cadre est d’opter pour la morphine.

→ En cas d’insuffisance d’effet : réadministration de la morphine, en perfusion au besoin, ou recours à des α2-agonistes si l’état clinique de l’animal le permet.

ENCADRE 4
Utilisation en phase postopératoire

Douleurs postopératoire sévères anticipées

→ Le choix pertinent : morphine ou fentanyl administrés en bolus ou de préférence en perfusion pendant les 24 à 48 heures postopératoires, tout en évaluant régulièrement le confort de l’animal. Lors de recours prolongé (plus de 24 heures) aux perfusions de morphiniques, et plus spécialement de morphiniques puissants comme le fentanyl, il est souvent préférable d’adjoindre une perfusion de kétamine à dose faible (1 à 2 µg/kg/min), afin de prévenir la survenue d’une hyperalgésie induite par les morphiniques, qui rendrait le traitement antalgique de l’animal délicat à mener [8].

→ Les solutions alternatives : les timbres de fentanyl transdermiques en raison de leur durée d’action longue. Après 3 jours chez le chien, 4 à 5 jours chez le chat ou en cas de constatation d’une diminution des effets antalgiques du timbre, celui-ci peut être remplacé et il est alors conseillé de changer de site, afin notamment de limiter les risques de réaction à la colle du timbre (effet indésirable fréquent de ces dispositifs).

Douleurs postopératoires modérées

→ Le choix pertinent : la buprénorphine présente un intérêt particulier en raison de sa longue durée d’action (4 à 10 heures environ). Elle permet donc de gérer des douleurs postopératoires modérées en limitant le nombre d’injections. La buprénorphine peut aussi être administrée par la bouche chez le chat (absorption transmuqueuse). Le produit, qui ne doit pas être dégluti, est déposé dans le creux de la joue.

→ Les solutions alternatives : le butorphanol, la morphine à faible dose. Si le butorphanol a été choisi comme morphinique lors de l’anesthésie, il peut être poursuivi en phase postopératoire, mais sa courte durée d’action requiert des injections fréquentes (toutes les 1 à 2 heures) ou le recours à une administration en perfusion (0,1 à 0,2 mg/kg/h).

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