GÉNÉTIQUE CANINE
Article de synthèse
Auteur(s) : Marie Abitbol
Fonctions : Consultation de génétique
UMR 955 INRA-ENVA
Génétique fonctionnelle et médicale
ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
D’importants progrès en génétique permettent de mieux comprendre le déterminisme moléculaire de la transmission des couleurs de robe chez le chien et de sélectionner les reproducteurs afin d’obtenir des chiots de teintes désirées.
Les chiens modernes descendent de loups domestiqués il y a environ 15 000 ans [12, 18]. Les races actuelles, près de 400, sont le fruit d’intenses efforts de sélection et de croisement à façon effectués par l’homme. Aucune autre espèce ne possède une telle diversité morphologique et comportementale. Parmi les caractères morphologiques utilisés comme critères de sélection pour créer les races canines, les éleveurs ont souvent privilégié la longueur, la texture et la couleur du pelage, en parallèle de caractéristiques telles que la taille, la forme de la tête ou encore des oreilles. Certaines races, toutefois, ne présentent qu’un unique patron de coloration. Par exemple, les chiens dalmatiens possèdent de petites taches rondes foncées (noires ou brunes) sur un fond de robe blanche.
Le déterminisme de la couleur de la robe chez le chien est étudié depuis plus de 50 ans [9]. Si le mode de transmission d’un certain nombre de couleurs et de patrons est connu depuis de nombreuses années, leur déterminisme moléculaire n’a été élucidé que durant cette dernière décennie. Les récents progrès de la génétique canine ont permis d’identifier les gènes et les mutations gouvernant de nombreux phénotypes. Le chien s’est même révélé être un mammifère original concernant certains mécanismes moléculaires [1]. La découverte des mutations gouvernant les couleurs de robe canines a permis le développement de tests génétiques qui aident les éleveurs à planifier les accouplements de leurs reproducteurs de façon à obtenir les chiots de la couleur désirée(1).
Le support cellulaire de la pigmentation chez le chien est constitué des mélanocytes, des cellules pigmentaires présentes, entre autres, dans le derme, l’épiderme, les follicules pileux, la choroïde, l’épithélium pigmentaire de la rétine et la stria vascularis de l’oreille interne. Les mélanocytes renferment des lysosomes modifiés, appelés mélanosomes, qui contiennent les pigments : des eumélanines foncées (brunes à noires) et des phaéomélanines claires (jaunes à rouges). Ces pigments sont synthétisés dans les mélanosomes grâce à une enzyme clé qui catalyse trois des réactions de la voie de biosynthèse des mélanines : la tyrosinase.
La couleur des eumélanines, noires ou brunes, est déterminée par le locus B (brown). La couleur marron (chocolat) déterminée par l’allèle b est récessive par rapport à la couleur noire déterminée par l’allèle B (tableau 1 et photo 1). Le gène en cause, appelé TYRP1 (tyrosinase related protein 1), a été identifié en 2002 et trois mutations ont été détectées dans les différentes races canines, qui conduisent toutes à des eumélanines de couleur marron au lieu de noire [17].
Les proportions relatives des eumélanines et des phaéomélanines sont déterminées par trois locus : E (extension), A (agouti) et K (black).
Au locus E est situé le gène MC1R (melanocortin 1 receptor) qui a été identifié en 2000 [5, 10]. L’allèle e, responsable de la couleur fauve (absence d’eumélanines donnant une couleur fauve clair à roux intense, avec différentes appellations selon les races), a été identifié moléculairement [5, 10]. Il est récessif par rapport à l’allèle E qui permet la production d’eumélanines. Un deuxième allèle, EM, responsable du masque mélanistique, a été identifié en 2003 (photo 2) [16]. L’allèle EM est dominant sur l’allèle e et codominant avec E. Le masque est visible chez les chiens fauves et bringés, et invisible chez les chiens noirs, bruns ou bleus. Un troisième allèle a été identifié cette année [3]. Il gouverne les couleurs grizzle et domino, respectivement du saluki et du lévrier afghan (photo 3). Cet allèle, appelé EG, est dominant sur E et e, mais récessif par rapport à EM. Il ne s’exprime que chez les chiens homozygotes at/at (voir ci-dessous). Ainsi, les quatre allèles du locus extension se comportent donc de la façon suivante, par ordre de dominance décroissante : EM > EG > E > e.
Au locus Aest localisé le gène ASP (agouti signal peptide) identifié en 2004 [8]. Quatre allèles ont été recensés au locus A. Ils se comportent de la façon suivante, par ordre de dominance décroissante : ay > aw > at > a.
L’allèle sauvage aw (w pour wild) permet la présence de poils agouti avec une bande de phaéomélanines intercalée entre deux bandes d’eumélanines, ces poils étant généralement localisés en région dorsale. Cet allèle est identique à celui qui est identifié chez le loup et le coyote [15]. L’allèle a, responsable du noir récessif (photo 4), est rencontré uniquement dans certaines races telles que les bergers allemand et belge (groenendael), le shetland, ou le puli [8]. En revanche, l’allèle ay (y pour yellow = jaune) est très fréquent dans de nombreuses races canines (photo 5). Il est dominant sur les trois autres allèles de la série et est responsable des couleurs fauve et fauve charbonné. La robe des chiens homozygotes ay/ay est composée soit de poils fauves (phaéomélanines), soit de poils fauves (phaéomélanines) à pointe foncée (eumélanines), avec, dans certaines races, des poils uniformément pigmentés foncés (eumélanines) entremêlés. Le dernier allèle, at (t pour tan = marqué de fauve), n’a pas été identifié moléculairement. Il est responsable du patron “marqué” (black and tan et brown and tan en anglais) observé chez le doberman ou le rottweiler noir marqué de feu (fauve), par exemple (photo 6).
Au locus K, identifié en 2007, est localisé le gène CBD103 codant pour la beta-defensin 103, qui n’avait jusqu’alors jamais été impliquée dans un phénotype de pigmentation chez aucun mammifère, contrairement aux gènes identifiés auparavant [1, 7]. L’allèle KB (B pour black = noir), dominant, est responsable de la synthèse d’eumélanines foncées (robes noire, brune et toutes modifications de ces deux couleurs de base). Ainsi, il est responsable du noir dominant, précédemment attribué au locus agouti. L’allèle kbr (br pour brindle = bringé), récessif par rapport à KB, est responsable du patron bringé (photo 7). Enfin, l’allèle ky (y pour yellow = jaune), récessif par rapport à KB et kbr, est responsable d’une robe fauve. Seuls les allèles KB et ky ont été identifiés moléculairement [1].
Ainsi, selon les races, la couleur fauve peut être due au locus E, au locus A ou au locus K.
Les trois locus E, A et K interagissent pour déterminer la couleur de base du poil.
La production d’eumélanines foncées n’est possible qu’en présence d’un allèle KB, ay ou at et d’un allèle fonctionnel au locus extension (E, EM ou EG). Ainsi, tous les chiens homozygotes e/e sont fauves. En résumé, les allèles “noir” au locus agouti (a et at) sont épistatiques (prennent le pas) sur l’allèle “jaune” au locus K (ky), et les allèles “noir» au locus K (KB et kbr) sont épistatiques sur les allèles “jaune” au locus A (ay et aw). De plus, les allèles ay et KB sont épistatiques sur l’allèle EG (grizzle et domino). Notons également que les chiens E/-, at/at et kbr/kbr ou kbr/ky ont des bringeures restreintes aux parties qui seraient fauves en l’absence de kbr. Un tel chien est donc noir marqué de feu bringé. Les interactions entre les trois locus E, A et K sont résumées dans le tableau 2.
La dilution de la couleur de base est gouvernée par le locus D (dilution)qui comporte deux allèles. D dominant est responsable de l’absence de dilution et d récessif, de la dilution. Seuls les chiens homozygotes d/d sont donc dilués. Le gène MLPH, codant pour la mélanophiline et situé au locus D, a été identifié en 2005 chez le chien et l’allèle d a été caractérisé en 2007 [4, 11]. Le noir est dilué en bleu, le marron en beige et le fauve en sable (photo 8). La dilution d’un fauve pâle est parfois difficile à apprécier. La couleur semblerait cependant plus mate qu’un fauve non dilué.
Dans certaines races, et seulement chez quelques individus, la dilution de la couleur du pelage s’accompagne d’une alopécie et d’une inflammation chronique de la peau appelée CDA (color dilution alopecia) ou BHFD (black hair follicular dysplasia). Le déterminisme moléculaire de la CDA n’a pas encore été caractérisé.
La couleur merle, rencontrée dans plusieurs races canines telles que le berger australien, le border collie, le shetland, le colley ou encore le teckel, est caractérisée par des plages de décoloration entremêlées avec des plages de coloration normale (photo 9). Le patron merle se transmet sur le mode autosomique dominant à pénétrance incomplète(2). Le gène responsable, SILV (silver), a été identifié en 2006 chez le chien [2]. La mutation causale est complexe et permet d’expliquer que certains chiens possédant une copie de cette mutation (hétérozygotes M/m) ne sont pas merles. Ces animaux sont dits merles cryptiques. Les chiens homozygotes pour la mutation (M/M) sont appelés doubles merles et présentent un pelage majoritairement blanc (photo 10). Le patron merle est associé à des anomalies auditives et visuelles chez certains chiens, principalement chez les doubles merles [2].
Chez les chiens fauves e/e, le patron merle est indétectable.
La panachure est un phénotype extrêmement variable chez le chien. Historiquement, l’hypothèse de quatre allèles au locus S (spotting) a été formulée par Little en 1957 pour expliquer cette variabilité [9]. L’allèle S dominant serait responsable de l’absence de panachure, les allèles si (irish), sp (piebald) et sw (white) récessifs seraient responsables, respectivement, d’une panachure limitée, moyenne et envahissante (photos 11a, 11b et 11c). En 2007, le gène MITF (microphtalmia-associated transcription factor) a été identifié au locus S chez le chien et des polymorphismes complexes, candidats pour les allèles sw, sp et si, ont été mis en évidence [6].
De nombreux locus et allèles de pigmentation n’ont pas encore été caractérisés moléculairement.
La couleur crème à blanc rencontrée chez le golden et le labrador retrievers, le berger blanc suisse, l’akita, le samoyède ou encore le puli, a été étudiée en 2007, et les gènes TYR (tyrosinase, locus C) et SLC45A2 (solute carrier family 45, member 2) ont été exclus pour ce phénotype [14]. De façon remarquable, tous les chiens crème à blanc analysés de ces races étaient homozygotes e/e, suggérant que la couleur crème résulterait d’une interaction entre le locus E et au moins un autre locus non encore identifié. De plus, chez ces chiens e/e, la couleur crème se transmet sur le mode autosomique récessif [14].
L’albinisme vrai est rare. Dans de nombreuses espèces animales, de l’albinisme vrai lié au locus tyrosinase a été décrit. Chez le chien, aucune mutation responsable d’albinisme n’a été identifiée dans le gène TYR à ce jour.
Un allèle appelé chinchilla a été supposé [13]. Cet allèle, appartenant au locus tyrosinase, diluerait les phaéomélanines et les eumélanines. Il pourrait expliquer la couleur crème clair de certains caniches. Son existence n’a pas été prouvée à ce jour.
Enfin, un locus appelé I, pour Intense, serait responsable de la dilution des phaéomélanines, sans dilution des eumélanines. Il serait rencontré chez le lévrier afghan et le berger belge tervueren, par exemple. Chez le lévrier, il provoquerait un éclaircissement de la robe jusqu’au blanc sans atténuation du masque, qui resterait bien noir. Chez le tervueren, il éclaircirait le fauve de la robe en sable sans atténuer les nuances foncées. L’existence de ce locus n’a pas encore été confirmée à ce jour [13].
Les chiots kerry blue terriers naissent noirs et acquièrent progressivement leur teinte grise (appelée à tort bleue) à l’âge adulte (photo 12). Ce gris est composé d’un mélange de poils noirs et de poils blancs. Le grisonnement se transmet sur le mode autosomique dominant.
Le patron arlequin rencontré chez le dogue allemand résulte de l’interaction du locus merle et d’un locus appelé harlequin (H), non encore identifié. Au locus H, deux allèles existeraient : l’allèle H dominant et responsable du patron arlequin chez les chiens merle (M/m) ou doubles merles (M/M), et l’allèle h, récessif, qui ne modifierait pas le patron merle.
Le patron tacheté (ticking en anglais) est caractérisé par la présence de petites taches pigmentées dans des plages de pelage blanc, qui apparaissent dans les semaines suivant la naissance du chiot. Ce patron se rencontre dans différentes races de chiens de chasse telles que l’épagneul breton ou le grand bleu de Gascogne (photo 13).
La couleur rouanne se caractérise par la présence de poils pigmentés mélangés à des poils blancs. Cette couleur est présente, entre autres, dans les races présentant le patron tacheté. Le déterminisme de la robe tachetée et rouanne reste inconnu à ce jour.
Chez le siberian husky et l’alaskan malamute, de nombreux animaux présentent une sorte de masque blanc sur la face (photo 14). Ce masque ressemble au masque des saluki grizzle et des lévriers afghans domino, mais il n’est pas gouverné par l’allèle EG. Son origine moléculaire et son déterminisme restent à explorer [3].
La robe seal, qui, à distance et sous éclairage naturel, peut apparaître chocolat foncé, est en fait composée de poils noirs et de poils fauves. Elle est décrite, par exemple, chez le shar pei, le petit lévrier italien et le boston terrier. Son déterminisme reste inconnu à ce jour.
De nombreux allèles de pigmentation, décrits de façon théorique depuis plusieurs dizaines d’années, ont été confirmés par les données récentes de la génétique moléculaire. Les progrès de génétique canine ont également permis d’attribuer des allèles à de nouveaux locus, comme le locus K, et d’élucider des données de croisement qui n’avaient pu l’être par la génétique classique. Cependant, certaines couleurs restant inexpliquées à ce jour, de nouveaux gènes impliqués dans la couleur du poil seront certainement identifiés dans les années à venir.
(1) En France, les tests sont disponibles auprès des laboratoires Antagene, www.antagene.com, et Genindexe, www.genindexe.com.
(2) Lorsque la pénétrance est incomplète, un chien n’exprime pas toujours son génotype (dans le cas du patron merle, un chien M/M qui n’est pas merle).
→ Les récents progrès de la génétique canine ont permis d’identifier de nombreux gènes et mutations gouvernant les couleurs des robes canines.
→ Des allèles ont pu être attribués à de nouveaux locus (K par exemple).
→ Les nombreuses interactions entre locus expliquent la grande variété de couleurs.
→ Ces découvertes ont permis le développement de tests génétiques utilisables par les éleveurs pour sélectionner les reproducteurs et obtenir des chiots de la couleur désirée.
→ Plusieurs locus restent encore à caractériser moléculairement.
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