ENDOCRINOLOGIE CHEZ LE CHAT
Article de synthèse
Auteur(s) : Adrien-Maxence Hespel
Fonctions : University Veterinary Hospital
University College of Dublin
Dublin 4 Berfield, Irlande
Une fois le diagnostic d’hyperthyroïdie établi, le choix d’un traitement médical requiert l’information et l’implication du propriétaire du chat.
L’hyperthyroïdie féline, maladie endocrinienne diagnostiquée pour la première fois vers la fin des années 1970, est actuellement une des dysendocrinies le plus souvent mises en évidence en médecine vétérinaire du chat. Elle affecte environ 2 % de l’ensemble de la population féline [10].
Touchant en général le chat âgé, cette endocrinopathie est caractérisée par une augmentation de la quantité d’hormones thyroïdiennes produites et relarguées dans le flot sanguin.
Plus de 98 % des chats malades présentent une hyperplasie adénomateuse fonctionnelle d’au moins une des glandes thyroïdes (30 %), mais le plus souvent des deux (70 %). De manière plus rare (moins de 2 % des animaux atteints), le carcinome fonctionnel de la thyroïde peut également être la cause de l’hyperthyroïdie [6].
Aucune prédilection de sexe ni de race n’est rapportée. Cependant, les siamois et les himalayens, génétiquement liés, présentent une certaine résistance à la maladie [5].
À l’heure actuelle, l’étiologie sous-jacente reste incertaine.
Le degré d’atteinte clinique est variable, et dépend de la réponse de l’organisme à la thyrotoxicose, de la présence de maladies concomitantes et de la durée de l’affection. L’anamnèse rapporte classiquement une polyphagie prolongée associée à une perte de poids, une polyurie-polydipsie et des signes gastro-intestinaux intermittents (diarrhée, vomissements) (tableau 1).
Tous ces symptômes sont une conséquence de l’excès d’hormones thyroïdiennes circulantes.
L’examen clinique du chat permet de mettre en évidence, en général, une fréquence cardiaque pouvant dépasser les 240 battements par minute (bpm), parfois un souffle systolique et souvent une maigreur. La contention de l’animal peut révéler une hyperactivité, une agressivité notable, voire une intolérance au stress. En raison de l’augmentation du métabolisme du chat, et malgré la polyphagie, ce dernier est souvent maigre et un goitre est palpable dans plus de 90 % des cas (encadré).
Il a longtemps été admis que des paramètres tels que la densité urinaire ou l’examen du fond de l’œil permettaient d’établir un diagnostic de suspicion de l’hyperthyroïdie. Cependant, leur degré de non-spécificité et de non-sensibilité fait que, à l’heure actuelle, le diagnostic repose majoritairement sur la mesure des hormones thyroïdiennes.
Une augmentation des concentrations basales de T4 (thyroxine) ou de T3 (tri-iodo-thyronine) permet de confirmer l’hyperthyroïdie féline. Le dosage des hormones qui s’effectue sur tube sec ou hépariné présente une spécificité de 100 % (tableau 2). Dans environ 30 % des cas, la concentration de T3 est dans les normes (0,3 à 1,8 nmol/l ; 0,20 à 1,22 ng/ml) alors que la T4 est élevée. Les chats ne présentent alors que des signes modérés d’hyperthyroïdie. Dans ce cas de figure, il est probable que la T3 dépasse rapidement la norme si l’hyperthyroïdie n’est pas traitée [4].
C’est pourquoi le diagnostic d’hyperthyroïdie est établi dans 90 % des cas grâce à la seule concentration en T4 [4]. Pour les 10 % restants, où la concentration en T4 est dans les normes (thyroxine) malgré une suspicion clinique, il convient soit de refaire une prise de sang 3 à 6 semaines plus tard afin de contrer les effets d’éventuelles fluctuations hormonales, soit de mesurer la T4 libre, qui se révèle parfois plus sensible (tableau 3) [4]. Même si le mécanisme n’est pas encore clairement établi, il convient aussi de remarquer que, en présence de maladies systémiques concomitantes, les concentrations en T4 circulante ont tendance à diminuer, menant à des faux négatifs.
L’hyperthyroïdie induit en général une forme réversible de cardiomyopathie hypertrophique [3]. La population des chats de plus de 10 ans présentant des signes d’atteinte cardiaque devrait être testée pour une recherche d’hyperthyroïdie. En effet, une cardiomégalie est évidente dans plus de 50 % des cas sur une vue de profil du thorax. De plus, 70 % des chats hyperthyroïdiens présentent une hypertrophie des parois du ventricule gauche détectable à l’examen échocardiographique.
L’hématologie révèle communément une leucocytose et une éosinopénie, vraisemblablement en réponse au stress de la thyrotoxicose [3, 4]. L’hématocrite est augmenté dans la moitié des cas et une hémoglobinémie élevée est fréquente. Ces deux derniers paramètres reflètent l’effet inducteur direct des hormones thyroïdiennes sur la moelle hématopoïétique, ainsi que l’augmentation de la production d’érythropoïétine qu’elles entraînent.
L’analyse du sérum de 9 chats hyperthyroïdiens sur 10 révèle une élévation modérée d’ALT (alanine transaminase), d’ALKP (alkaline phosphatase), d’AST (asparte aminotransférase) et de LDH (lactate déshydrogénase) [3, 4]. L’origine de cette élévation n’est pas clairement élucidée à ce jour. Cependant, tout comme pour la cardiomyopathie, ces valeurs reviennent dans les normes lorsque l’hyperthyroïdie est traitée.
L’approche médicale de l’hyperthyroïdie est aisée à moduler, disponible et peu coûteuse à court terme (tableau 4). Cependant, c’est une solution réversible, donc non curative. Fonctionnant via l’inhibition d’une enzyme essentielle à la production d’hormone thyroïdienne, le méthimazole (Félimazole®) ne bloque pas le relarguage des hormones thyroïdiennes préalablement synthétisées. Un délai de 2 à 3 semaines est nécessaire chez 90 % des chats avant un retour à un état d’euthyroïdie [8, 10]. La réversibilité du traitement offre la possibilité, avant toute option définitive, de révéler une éventuelle insuffisance rénale jusqu’alors masquée. En effet, de par l’action des hormones thyroidiennes, le flux sanguin rénal est augmenté en cas d’hyperthyroïdie. Un retour à l’euthyroïdie entraîne une diminution de ce flux sanguin rénal, donc du débit de filtration glomérulaire, et une insuffisance rénale peut apparaître [2]. Le pronostic vital du chat est alors discuté avec le propriétaire. Un compromis peut être de réduire la dose de médicaments, pour essayer de diminuer le taux d’hormones thyroïdiennes circulantes tout en évitant le développement d’une azotémie.
Le principal inconvénient de ce traitement, en plus d’être non curatif, est l’importance de l’implication du propriétaire. La durée d’action des molécules est très courte, et une administration quotidienne, voire biquotidienne est nécessaire. En cas d’arrêt du traitement, la concentration en T4 repasse au-dessus de la norme en 24 à 72 heures [10]. À l’heure actuelle, une forme modifiée du carbimazole (Vidalta®(1)) a été développée pour permettre de prolonger les effets, mais elle n’est pas encore disponible sur le territoire français.
Des effets secondaires transitoires apparaissent chez 18 % des chats : vomissements, anorexie, dépression, lymphocytose et leucopénie, excoriation faciale, thrombopénie, hépatopathie [10]. Ils régressent parfois sans l’arrêt du traitement médical. Cependant, dans les cas les plus sévères ou lorsque ces effets indésirables ne disparaissent pas spontanément, une interruption de l’administration est nécessaire. Le traitement médical à long terme des chats hyperthyroïdiens est à conseiller aux propriétaires d’animaux d’un âge avancé, pour qui la balance entre les risques chirurgicaux et les gains potentiels est trop déséquilibrée, ou pour les individus dont l’hyperthyroïdie est une récidive postchirurgicale, ou encore en cas d’insuffisance rénale chronique. Dans cette hypothèse, une mesure de la T4 est effectuée toutes les 3 semaines après le début du traitement afin de déterminer la dose minimale efficace.
Il est aussi utile d’envisager le long terme avant de choisir un traitement médical. Tout d’abord, en raison de son mécanisme d’action, le méthimazole ne peut être employé si le recours à l’iode radioactive est prévu par la suite. En effet, il bloque l’enzyme de transformation de la T4, laquelle ne peut éventuellement plus remplir son rôle de transporteur de l’iode radioactive jusque la thyroïde, où celle-ci se concentre. Dans cette optique, il convient alors d’arrêter le traitement au méthimazole 2 semaines avant l’injection d’iode 131.
Le méthimazole, malgré sa courte demi-vie (6 à 8 heures), se concentre dans la glande thyroïdienne, permettant une fois le traitement démarré de se contenter d’une prise unique pour certains animaux [10]. Le Félimazole® (méthimazole) est le seul médicament qui possède une autorisation de mise sur le marché en France pour le traitement de l’hyperthyroïdie. Il doit donc être le premier choix du praticien à la dose de 2,5 à 5 mg/kg, deux fois par jour, pendant les 3 premières semaines.
L’administration d’iode radioactif est actuellement l’option thérapeutique la plus sûre et la plus simple. L’iode 131 (I131) est le radio-isotope le plus utilisé, avec une demi-vie de 8 jours, émettant des particules β, ainsi que des radiations γ, à l’origine de l’hospitalisation de l’animal. Son principal avantage est qu’il se concentre activement dans le tissu thyroïdien. De plus, les radiations β permettent une destruction des tissus dans un rayon de 2 mm. L’iode peut être administré par voie intraveineuse, sous-cutanée ou per os (non pratiqué en France). La voie sous-cutanée tend actuellement à être privilégiée car elle est tout aussi efficace que la voie intraveineuse tout en se révélant plus simple, et elle n’entraîne pas les signes gastro-intestinaux occasionnés par la forme orale. La dose de l’injection unique est généralement empirique (1,48 x 108 Bq) et peut être adaptée selon la gravité des signes cliniques, la concentration en T4 du sérum et la taille du goitre [1].
Par analogie avec le traitement chirurgical, un traitement réversible préalable est nécessaire afin de détecter d’éventuelles affections sous-jacentes.
Malgré tous ces avantages, l’utilisation de l’I131 nécessite l’hospitalisation de l’animal tant qu’il excrète des déchets contaminés. Cette hospitalisation de durée variable, en moyenne 15 jours, en fonction de la dose administrée et de la législation en vigueur dans le pays, et le coût du produit radioactif représentent des inconvénients majeurs.
La dernière option est l’exérèse chirurgicale. Elle entraîne peu de complications peropératoires, est irréversible et, de ce fait, nécessite un retour à un état euthyroïdien préalable.
Les principales complications postopératoires (pouvant être minimisées) sont la récidive de l’hyperthyroïdie et l’hypocalcémie, associées à l’hypoparathyroïdisme [1, 3, 7].
Deux techniques principales existent : les procédures intracapsulaire (ouverture de la capsule et retrait de la glande) et extracapsulaire (retrait en masse de la capsule et de la glande).
Aucune étude comparative n’a démontré la supériorité d’une de ces méthodes concernant les risques d’hypocalcémie postopératoire. Cependant, la technique extracapsulaire entraîne, en général, moins de récidives postopératoires [1].
Le choix du type de traitement repose sur la prise en compte de nombreux paramètres : individuels, souhaits du propriétaire, disponibilité des techniques, etc. (tableau 5).
L’intervention chirurgicale est choisie par défaut lorsqu’un traitement à l’iode radioactive n’est pas disponible, en cas de difficultés pour l’administration quotidienne d’un médicament (chat difficile, propriétaire âgé, etc.) et/ou lors de réactions secondaires au traitement médical. L’intervention chirurgicale doit s’effectuer chez un animal qui ne présente pas de maladies sous-jacentes révélées lors du retour à l’état euthyroïdien via un traitement médical préalable. Dans le cas où le chat ne supporte pas l’euthyroïdie, une approche au cas par cas est essentielle. Le propriétaire doit alors être prévenu que le pronostic vital de l’animal est très réservé.
Bien que l’hyperthyroïdie féline soit une maladie connue des vétérinaires, son traitement reste souvent fondé sur des automatismes, alors qu’une approche systémique globale (figure complémentaire sur www.WK-Vet.fr) associée à une démarche individualisée permettrait au praticien d’effectuer un choix thérapeutique plus adapté au cas. La voie pharmaceutique, la radiothérapie et la chirurgie offrent chacune leur lot d’avantages et d’inconvénients. Et si le traitement à l’iode radioactif est actuellement le gold standard, la chirurgie représente aussi, dans certains cas, une solution alternative définitive.
(1) Médicament humain.
→ Pour palper un goitre, le chat doit être maintenu assis, les pattes avant immobilisées par une main et la nuque légèrement tendue. Le pouce et l’index de l’examinateur de part et d’autre de la trachée progressent du larynx jusqu’au manubrium (photo). L’élargissement, quoique non pathognomonique, est facilement décelable et peut être la cause de signes de compression locale (dysphagie, dyspnée, toux, altération de la phonation) [8].
→ Il convient de prendre garde à l’hyperextension de la nuque, auquel cas les lobes thyroïdiens pourraient ne plus être palpables.
→ Le traitement par injection d’iode radioactif reste le traitement de référence de l’hyperthyroïdie féline. Cependant, son accès et son coût en sont des facteurs limitants.
→ Il convient d’éviter l’hyperextension de la nuque lors de la palpation, auquel cas les lobes thyroïdiens pourraient ne plus être palpables.
→ Un traitement réversible est requis avant toute intervention définitive.
→ Le Félimazole® (méthimazole) est utilisé à la dose de 2,5 à 5 mg/kg per os, deux fois par jour pendant les 3 premières semaines.
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