Gestion d’un pyogranulome de l’oreille moyenne chez la tortue - Le Point Vétérinaire expert canin n° 309 du 01/10/2010
Le Point Vétérinaire expert canin n° 309 du 01/10/2010

OTOLOGIE DES NAC

Conduite à tenir

Auteur(s) : Frédéric Vlaemynck*, Émilie Tessier**, Gwenaëlle Chevigny***

Fonctions :
*Clinique vétérinaire du Caducée
57, rue Salvador-Allende
59120 Loos
**Clinique vétérinaire du Caducée
57, rue Salvador-Allende
59120 Loos
***Clinique vétérinaire du Caducée
57, rue Salvador-Allende
59120 Loos

L’abcès ou pyogranulome de l’oreille moyenne est un motif de consultation fréquent chez les tortues, et plus particulièrement chez les tortues dulçaquicoles. Cette affection est à mettre en relation avec leurs conditions de maintenance.

Les chéloniens ne possèdent pas d’oreille externe à proprement parler. Une membrane tympanique cutanée située caudo-ventralement à l’œil obture la cavité tympanique constituant l’oreille moyenne. Cette dernière est connectée à la cavité buccale via les trompes d’Eustache, qui ont leur importance dans la physiopathologie de la maladie (figure) [8 -11]. L’anatomie auriculaire et les facteurs environnementaux sont à prendre en compte pour la prophylaxie et le traitement de cette affection [9, 12].

ÉTAPE 1 RECUEIL DES COMMÉMORATIFS

Les conditions de maintenance des tortues sont indissociables de leur état de santé. le recueil des commémoratifs est essentiel pour toute consultation de reptile.

Un questionnaire, rempli par le propriétaire préalablement à la consultation, permet de cerner l’environnement quotidien de l’animal. Toutes les caractéristiques zootechniques doivent être prises en compte : type d’habitat, aménagement, températures de l’air (gradient de température) et de l’eau, systèmes de chauffage, de filtration, d’éclairage (lampes ou néons ultraviolets adaptés ?, derniers changements ?, distance d’éclairage efficace ?), fréquence de nettoyage et produits utilisés, alimentation et supplémentations vitaminiques ou minérales éventuelles, etc. (encadré).

À la lecture de cette fiche informative, des anomalies peuvent déjà être mises en évidence. il convient d’en faire part au propriétaire et de le conseiller afin de prévenir les répercussions sur l’état général de son reptile.

Lors de pyogranulome, le propriétaire a le plus souvent déjà observé la déformation typique induite par l’abcès, et rapporte fréquemment une léthargie, une anorexie et une perte de poids associées.

ÉTAPE 2 EXAMEN CLINIQUE

Un examen clinique complet de la tortue est indispensable pour évaluer son état général et rechercher une éventuelle atteinte systémique.

Le diagnostic de pyogranulome de l’oreille moyenne est aisé. Il repose essentiellement sur l’observation d’une déformation convexe de la membrane tympanique. Parfois très volumineuse, elle est uni- ou bilatérale (photo 1). L’abcès est plus ou moins ferme, et peut présenter une coloration légèrement jaunâtre, résultat de l’accumulation de matériel caséeux dans la cavité tympanique.

Ce signe est le plus visible et facilite le diagnostic. Cependant, il n’est pas le plus délétère pour la tortue. Lui est généralement associé un écoulement de pus et de débris inflammatoires dans la cavité buccale. Cet écoulement peut être visualisé lors de l’inspection physique rapprochée et de l’ouverture de la cavité buccale (photo 2) [8, 9, 11].

La dysimmunité engendrée par les mauvaises conditions de vie, et notamment l’hypovitaminose A, favorise l’atteinte d’autres organes. Ainsi, un blépharœdème bilatéral (par métaplasie squameuse) et une anasarque (gonflement des creux axillo-cervicaux et inguino-fémoraux) sont souvent présents chez les tortues aquatiques (rares chez les tortues terrestres). Il convient également de rechercher d’éventuels troubles respiratoires : jetage nasal, respiration “bec” ouvert et/ou cou tendu, bruits respiratoires audibles, auscultation pulmonaire anormale (technique délicate en raison de l’irrégularité de la surface d’écoute, mais pouvant être facilitée par l’interposition d’un linge humide entre la carapace et le stéthoscope) [1, 11].

ÉTAPE 3 EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

À défaut d’être une aide dans le diagnostic du pyogranulome de l’oreille moyenne, les examens complémentaires ont pour objectif d’évaluer l’état de santé du chélonien et d’établir un pronostic.

Un prélèvement de matériel caséeux par aspiration à l’aiguille fine peut être réalisé en vue de différentes analyses (mise en culture bactérienne, antibiogramme). Cependant, l’agent pathogène en cause est rarement identifiable de cette manière. En effet, il est le plus souvent emprisonné au centre de la masse caséeuse, constituée principalement de débris inflammatoires et nécrotiques. Le traitement étant toujours chirurgical, il convient de conserver le pyogranulome dans son ensemble, ainsi que les produits de curetage afin de pratiquer ces examens.

Un bilan sanguin permet d’évaluer l’atteinte systémique (ponction sanguine à la veine jugulaire droite ou au sinus nuchal). La formule et la numération sanguines se réalisent manuellement en raison de la nucléation des hématies chez les reptiles (tableau 3). Cette particularité conduit à des résultats erronés sur les automates traditionnels. Un bilan biochimique permet d’appréhender les grandes fonctions de l’organisme, et notamment l’état d’hydratation (urée, protéines totales), le métabolisme calcique (calcium, phosphore), les fonctions rénale (acide urique, urée) et hépatique (glucose, aspartate aminotransférase [Asat], cholestérol) (tableau 4). Les automates biochimiques courants peuvent être utilisés.

Selon les conclusions de l’examen clinique, d’autres examens (clichés radiographiques pulmonaires, coproscopie, etc.) peuvent être pratiqués [9, 11].

ÉTAPE 4 TRAITEMENT

Lors de pyogranulome de l’oreille moyenne chez une tortue, le traitement de choix est chirurgical. En effet, les particularités inflammatoires des reptiles vouent à l’échec une antibiothérapie par voie parentérale dans la mesure où les médicaments ne peuvent diffuser au centre de l’abcès. Les cellules exfoliées de l’épithélium couplées à la colonisation par les bactéries et les cellules de l’inflammation forment un pus caséeux solide s’accumulant dans la cavité tympanique. Lors d’atteinte chronique, une coque fibreuse se met en place et le centre de l’abcès est avasculaire [9]. Le granulome ne peut donc pas être traité médicalement ni par simple ponction.

Par définition, le traitement antibiotique est également inutile dans le cas d’une métaplasie squameuse carentielle primaire non surinfectée.

La tortue doit pouvoir supporter l’anesthésie générale. Si les premières étapes ont mis en évidence une atteinte de l’état général, l’intervention peut être reportée et un traitement de soutien est alors instauré pendant quelques jours (antibiothérapie, fluidothérapie, mise à la chaleur, nourrissage, etc.).

Le protocole anesthésique le plus sûr pour cette intervention reste l’injection intraveineuse de propofol (Rapinovet(r)), à la dose de 10 à 14 mg/kg, ou d’alphaxalone (Alfaxan(r)), 2 à 5 mg/kg, dans le plexus veineux sous-nuchal ou la veine jugulaire droite [14, 15]. L’induction et le réveil sont rapides, et la durée d’action est de l’ordre d’une demi-heure.

Il est aussi possible de réaliser une anesthésie fixe par voie intramusculaire (biceps brachial) à l’aide, par exemple, d’un mélange de médétomidine (Domitor(r)), à la dose de 0,1 mg/kg, et de kétamine (Imalgene(r)), 5 à 10 mg/kg [14]. L’induction et le réveil sont alors allongés.

Un protocole antidouleur peropératoire à base d’opioïdes est nécessaire (tableau 5). Les apnées étant fréquentes à l’induction, l’intubation endotrachéale est une sécurité (sonde de diamètre adaptée et sans ballonnet car les anneaux trachéaux sont complets chez les reptiles). Lors d’une anesthésie, tous les reptiles présentent une dépression respiratoire caractérisée par une bradypnée, voire une apnée. Par conséquent, une ventilation manuelle ou mécanique est nécessaire (mouvements respiratoires par minute : 4 à 8/pression maximale d’insufflation : 10 à 15 cm H2O/durée maximale d’inspiration : 1 à 2 secondes) [3, 11, 13].

Après asepsie, une incision ventrale semi-lunaire de la membrane tympanique est réalisée. Le pus doit être ôté, en un seul morceau si possible (par exemple à l’aide d’une aiguille verte de 21 G). Il a souvent une forme circonvolutionnée (photo 3) [12]. Il convient de préserver les structures avoisinantes lors du curetage et en particulier la columelle.

L’ensemble de la cavité tympanique est ensuite exploré afin de ne pas laisser de débris à l’intérieur et de réaliser un rinçage sous pression de la trompe d’Eustache avec une solution saline tiédie. Cette mesure est fréquemment négligée, ce qui entraîne des récidives (photos 4 et 5). La tête de l’animal doit être penchée pour prévenir toute fausse déglutition.

Un lavage de la cavité à base de chlorhexidine diluée à 0,05 % est effectué avant de la remplir avec un topique antibiotique (par exemple Ophtalon(r) intéressant pour ses principes actifs : le chloramphénicol, indiqué lors de surinfection bactérienne, et la vitamine A, adaptée aux causes prédisposantes métaboliques). Une suture est préférable, mais une cicatrisation par seconde intention avec un nettoyage et des soins locaux pendant environ 10 jours est également possible (photo 6).

Une antibiothérapie est recommandée en cas d’atteinte systémique : par exemple, enrofloxacine (baytril(r)) ou marbofloxacine (marbocyl(r)), à la dose de 5 à 10 mg/kg/j, per os ou par voie intramusculaire pendant 10 à 15 jours. l’analgésie postopératoire ne doit pas être omise. un anti-inflammatoire non stéroïdien est conseillé pendant 2 jours [9, 11 -13].

ÉTAPE 5 RECHERCHE ET CORRECTION DES CAUSES

Après le traitement chirurgical de l’affection aiguë, en cernant ses mécanismes d’apparition et en s’appuyant sur le recueil des commémoratifs, les causes prédisposantes doivent être déterminées et corrigées afin de prévenir toute rechute.

La température du milieu, l’hygiène de l’habitat et l’alimentation sont les facteurs d’ambiance souvent mis en cause dans l’étiopathogénie du pyogranulome de l’oreille moyenne chez une tortue [5, 8, 9]. ces trois éléments agissent la plupart du temps de façon concomitante.

Conclusion

L’observation d’un abcès de l’oreille moyenne chez une tortue doit inciter le praticien à en rechercher les causes et à les éradiquer. la bonne compréhension du schéma étiopathogénique de la maladie, couplée à la vérification et à la correction des conditions de maintenance de l’animal, permet la gestion globale du cas. même si une prise en charge chirurgicale est la seule possible lors de pyogranulome, en cas d’atteinte systémique, un traitement médical doit être instauré.

Références

  • 1. Boyer TH. Hypovitaminosis A and hypervitaminosis A. In: Mader DR. Reptile medicine and surgery. 2nd ed. Saunders Elsevier, Saint Louis. 2006:831-835.
  • 2. Brown JD, Richards JM, Robertson J et coll. Pathology of aural abscesses in free-living eastern box turtles (Terrapene carolina carolina). J. Wildl. Dis. 2004;40(4):704-712.
  • 3. Carpenter JW. Exotic animal formulary. 3rd ed. Elsevier Saunders, Saint Louis. 2005:564p.
  • 4. Joyner PH, Brown JD, Holladay S et coll. Characterization of the bacterial microflora of the tympanic cavity of eastern box turtles with and without aural abscesses. J. Wildl. Dis. 2006;42(4):859-864.
  • 5. Klingenberg RJ. Reptiles, bacterial diseases. In: Kahn. The Merck veterinary manual . 9th ed. 2005:1602-1607.
  • 6. McArthur S, Meyer J, Innis C. Anatomy and physiology. In: McArthur S, Wilkinson R, Meyer J. Medicine and surgery of Tortoises and Turtles. 2nd ed. Blackwell Publishing. 2004:46.
  • 7. McArthur S, Barrows M. General care of Chelonians. In: McArthur S, Wilkinson R, Meyer J. Medicine and surgery of Tortoises and Turtles. 2nd ed. Blackwell Publishing. 2004:91.
  • 8. Moraillon R, Legeay Y, Boussarie D. Reptiles, otite. In: Moraillon R. Dictionnaire pratique de thérapeutique. Chien, chat et NAC. 6e ed. Elsevier Masson. 2007:890.
  • 9. Murray MJ. Aural abscesses. In: Mader DR. Reptile medicine and surgery. 2nd ed. Saunders Elsevier, Saint Louis. 2006:742-746.
  • 10. Schilliger L. Système nerveux et organes sensoriels. In: Schilliger L, Bour R, Cadi A. Atlas de la terrariophilie. Vol. 2 : Les tortues terrestres et aquatiques. Animalia Éditions. 2002:26-27.
  • 11. Schilliger L. Guide pratique des maladies des reptiles en captivité. Editions Med’com, Paris. 2004:224p.
  • 12. Schilliger L. Maladies de la sphère ORL. In: Schilliger L. Les tortues “de jardin”. Guide des soins et des maladies. Animalia Éditions. 2007:102-104.
  • 13. Schumacher J, Yelen T. In: Mader DR. Anesthesia and analgesia. Reptile medicine and surgery. 2nd ed. Saunders Elsevier, Saint Louis. 2006:442-452.
  • 14. Tessier E. Gestion pré-, per- et post-opératoire des NAC. Dans: Proceedings des cours de base du GENAC. 2009:43-53.
  • 15. Ziolo MS, Bertelsen MF. Effects of propofol administered via the supravertebral sinus in red-eared sliders. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2009;234(3):390-393.

ENCADRÉ Facteurs d’ambiance à vérifier lors de pyogranulome de l’oreille moyenne

→ Éclairage

Il convient de demander les caractéristiques des dispositifs d’émission des spectres ultraviolets : type de néons ou de lampe, date de mise en service, durée d’utilisation par jour, distance d’exposition.

→ Température

Les tortues sont des animaux poïkilothermes (à température corporelle variable) et ectothermes (maintien de la température du corps par celle du milieu de vie). Leur système immunitaire est affaibli et lutte moins bien contre les infections en cas de température environnementale inadaptée (trop basse le plus souvent).

Ainsi, la température du milieu de vie doit être ajustée aux besoins de l’espèce détenue (obtention des plages thermiques physiologiques optimales selon un gradient de température dans le terrarium). Pendant l’hospitalisation et la convalescence, il convient de placer l’animal dans un environnement maintenu à sa température moyenne préférentielle (TMP) maximale (tableau 1).

→ Hygiène de l’habitat

Les excréments sont une source de bactéries incriminée dans les infections de l’oreille moyenne. Les agents pathogènes les plus souvent rencontrés sont Pasteurella spp., Aeromonas spp., Pseudomonas spp., Proteus spp., Enterobacter spp., Bacteroides spp. [4]. La fréquence de nettoyage de l’eau de baignade et de boisson est primordiale. Lors d’ingestion d’une eau souillée, les organismes pathogènes ont potentiellement accès à la cavité tympanique par la remontée des trompes d’Eustache.

Une hygiène stricte est mise en place et plus particulièrement sur les points d’eau (surfaces facilement lavables, eau régulièrement changée, filtration optimale pour les tortues dulçaquicoles, etc.).

→ Alimentation

Une alimentation inadaptée contribue à l’affaiblissement de l’organisme, et, très souvent, à un apport insuffisant en rétinol et en provitamine A, à l’origine d’une hypovitaminose A. Celle-ci entraîne une métaplasie squameuse de l’épithélium de l’oreille moyenne, facilitant ainsi sa colonisation par des germes (commensaux de la cavité buccale ou fécaux) qui remontent par la trompe d’Eustache [2].

Un régime alimentaire varié, source de vitamine A et de ses précurseurs, doit être proposé à la tortue (tableau 2). Une supplémentation raisonnée peut être apportée (2 à 8 UI/g de matière sèche de nourriture) [1, 2, 11]. Cependant, les risques d’hypervitaminose iatrogène sont à mesurer.

Contrairement à une idée reçue, le régime des tortues dulçaquicoles (tortue de Floride par exemple) est omnivore. Ces animaux sont fréquemment atteints d’un pyogranulome de l’oreille moyenne lors d’une alimentation carnée exclusive (dés de jambon, de surimi, crevettes séchées, etc.), engendrant une hypovitaminose A. Pour prévenir ces carences, une solution alternative consiste à leur fournir une nourriture complète sous la forme d’une préparation ménagère broyée et gélifiée contenant des sources végétales et animales de vitamine A.

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