Médecine interne féline
Pratique
CAS CLINIQUE
Auteur(s) : Denis Fritz*, Guillaume Derré**
Fonctions :
*Laboratoire vétérinaire
1, rue Salomon-Rachi
10000 Troyes
**Clinique vétérinaire
1, avenue Georges-Pompidou
13000 Marseille
Lors de piroplasmose chez le chien et le chat, le tableau clinique est de plus en plus souvent atypique. Le recours à la biologie moléculaire est alors nécessaire pour établir le diagnostic.
Un chat européen mâle âgé de 2 ans est référé pour l’exploration échographique d’une splénomégalie. Selon le vétérinaire référent, il vit à Marseille dans une maison avec un accès au jardin et sort beaucoup. Il a déjà été infesté par des puces et des tiques. Il reçoit environ tous les 2 mois un traitement antiparasitaire de type spot on.
Des analyses sanguines ont révélé une anémie peu régénérative, une leucocytose et une hyperbilirubinémie (tableau 1).
Les tests de dépistage rapide (type plaquette) des virus de la leucose (recherche d’antigènes), du virus de l’immunodéficience féline (FIV) et des coronavirus entéritiques (recherches d’anticorps) sont négatifs.
Le jour de la consultation, le chat est apathique et anorexique. L’examen clinique révèle une pâleur des muqueuses, une tachycardie (fréquence cardiaque de 180 battements par minute) et une splénomégalie à la palpation abdominale.
L’examen échographique confirme une splénomégalie modérée sans anomalie visible du parenchyme. La splénomégalie n’est pas explorée car le propriétaire refuse la cytoponction. Une dilatation de la vésicule biliaire avec présence de boue biliaire est observée. Le reste de l’examen est normal.
À ce stade, les hypothèses diagnostiques d’une anémie avec une hyperbilirubinurie sont :
– une anémie hémolytique auto-immune ;
– une anémie hémolytique dysimmunitaire associée à un agent infectieux (hémobartonellose par exemple) ;
– une hémopathie avec splénomégalie.
Un frottis sanguin est réalisé à partir d’une goutte de sang prélevé à l’oreille. Il montre une anisocytose modérée des hématies. Aucun parasite ni aucun rouleau hématique n’est visible. Néanmoins, afin de vérifier et de préciser ces premières constatations, ce même prélèvement est envoyé dans un laboratoire vétérinaire. De plus, une recherche des principales hémobartonelles du chat par amplification génique (PCR) ainsi qu’un test de Coombs direct sont demandés.
Les résultats de l’hémogramme confirment la présence d’une anémie (hémoglobine inférieure à 8 g/dl), macrocytaire (volume globulaire moyen [VGM] supérieur à 55 fl), normochrome (teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine [TCMH] comprise entre 13 et 17), hémolytique (TCMH supérieure à 17,5 pg/l) et régénérative (taux de réticulocytes supérieur à 80 x 109/l) avec une réticulocytose de 10 % (soit 207 x 109/l) (tableau 2).
Le test de Coombs, réalisé en première intention, n’a pu être interprété car sa lecture a révélé une autohémolyse. Quelques jours plus tard, il est à nouveau réalisé et se trouve fortement positif en IgG (1/2 048), moyennement positif en IgM/C3 (1/32). Ce test indique la présence d’anticorps antiérythrocytaire IgG en grande quantité à la surface des hématies, sans pouvoir affirmer s’il s’agit d’autoanticorps.
La recherche par amplification génique (PCR) en temps réel sur Mycoplasma haemofelis et Candidatus Mycoplasma haemominutum (nouvelles appellations des hémobartonelles maintenant classées dans les mycoplasmes) est négative.
Une anémie hémolytique auto-immune est alors suspectée. Néanmoins, la lecture du frottis sanguin, réalisée au laboratoire, met en évidence des inclusions dans les hématies. Celles-ci, de grosseur variable, peuvent être aisément confondues avec des corps de Howell-Jolly, mais semblent toutefois annulaires. Cet aspect est confirmé par l’observation au plus fort grossissement (photos 1 et 2). L’hypothèse de la présence d’inclusions parasitaires évoquant des sporozoaires, des piroplasmes (babésie de petite taille ou microbabésie) ou une theilérie, est alors retenue.
La recherche par PCR de piroplasmes du genre Babesia ou Theileria est positive. L’ADN a été purifié, isolé et séquencé. Dans Genbank(1), la comparaison de la séquence (1 200 paires de bases [bp]) a montré une homologie de 99 % avec celle d’un piroplasme appelé Spanish dog Babesia, 97 % avec Babesia microti. Le séquençage de ce parasite recouvre parfaitement les deux séquences de 214 bp (publiées dans Genbank) de Babesia annae encore appelé Theileria annea ou Babesia microti-like en raison de sa grande similitude avec le piroplasme Babesia microti habituellement retrouvé chez les rongeurs [2, 3, 19]. Il s’agit donc d’un cas de piroplasmose féline dû à une microbabésie : Babesia annae (ex. Theileria annae), associé à une anémie hémolytique dysimmunitaire.
De l’enrofloxacine est administrée per os à la dose de 5 mg/kg/j ainsi que de la prednisolone (1 mg/ kg/j) en attente des résultats des examens complémentaires. Selon les propriétaires, l’état général de l’animal s’est progressivement amélioré.
Cependant, l’animal a disparu après 1 mois de traitement, ayant repris sa vie semi-libre comme auparavant. L’efficacité objective du traitement n’a pas pu être évaluée par une nouvelle recherche de l’agent pathogène par PCR dans le sang du chat.
Les piroplasmoses sont dues à des protozoaires parasites intracellulaires obligatoires, appartenant aux genres Babesia ou Theileria. Ces infections parasitaires sont transmises par les tiques de la famille des Ixodidés, encore appelées tiques dures.
La classification est encore sujette à de nombreuses controverses (figure). À partir des caractères morphologiques, il est possible de distinguer deux types de piroplasmes :
– les piroplasmes de grande taille (Babesia canis, Babesia bovis, etc.) ;
– les piroplasmes de petite taille dont Babesia divergens, Babesia microti, Babesia gibsoni, Babesia conradae, etc., et les parasites du genre Theileria.
La classification des piroplasmes de petite taille ne cesse d’évoluer. Parmi ceux-ci, trois espèces morphologiquement très semblables sont reconnues : une espèce californienne (B. conradae), une autre asiatique (B. gibsoni), la troisième étant Babesia/Theileria annae, encore parfois retrouvée sous le vocable de Spanish dog Babesia, en raison de son premier isolement chez des chiens vivant en Espagne [2, 4, 8, 9]. Cette microbabésie serait susceptible de contaminer le chien, le chat et le renard [3, 4].
Ce cas répond parfaitement à la description morphologique de B. annae et le séquençage est conforme à ce qui est disponible dans la banque de données Genbank. La tique, potentiellement vecteur de B. annae, semble être Ixodes hexagonus.
Auparavant, le syndrome piroplasmique canin était classiquement décrit avec une hyperthermie, une hémoglobinurie, une anémie macrocytaire ou normocytaire hémolytique régénérative, et accompagné la plupart du temps par un abattement. Dans un nombre important de cas, une leucopénie et/ou une thrombopénie sont décrites, associées ou isolées [19]. Le tableau clinique du chat présenté correspond à cette description habituelle. Néanmoins, depuis plusieurs années, la clinique des piroplasmoses canines semble de moins en moins typique et le recours à la biologie moléculaire de plus en plus nécessaire. Le simple examen de frottis ne suffit plus pour éliminer l’hypothèse de piroplasmose, la recherche par biologie moléculaire devient donc incontournable [5, 6, 11, 19].
La notion de spécificité d’hôte n’est pas absolue. Plusieurs auteurs ont récemment remis en cause la notion de spécificité d’espèces des piroplasmes [5, 6, 7, 11]. Nos travaux (7, non publiés) sur la caractérisation moléculaire des espèces et de sous espèces de Babesia/Theileria chez 166 chiens et 111 chevaux en France (de mars 2006 à mars 2008) confirment cette information. En effet, nous avons pu démontrer, séquençage à l’appui, qu’environ 20 % des piroplasmoses canines sont dues à Theileria equi, et 10 % des piroplasmoses équines à Babesia canis canis. Cela est confirmé par différents auteurs [5, 6, 7, 11].
Chez le chat, les données sont plus restreintes, mais la possibilité de contamination par certaines souches de Babesia canis a été évoquée, d’où la proposition de créer une nouvelle espèce dénommée B. canis subsp. presentii [1, 5]. Les vecteurs restent incertains, et sont probablement les mêmes pour le chien, le renard, etc.
Le dépistage de différentes infections vectorielles chez le chat est désormais très utile. En effet, si des chats présentent des signes cliniques évoquant une piroplasmose, ils peuvent aussi exprimer des symptômes frustes (tout comme les autres espèces touchées par ses maladies tiques-dépendantes) tels qu’une apathie, une anorexie, une fièvre inexpliquée, avec des modifications biologiques variables, comme une anémie hyporégénérative, voire arégénérative, parfois une leucopénie, voire une thrombopénie isolées, etc.
Différents travaux mettent en exergue chez le chien, le cheval et désormais chez le chat qu’une multicontamination est souvent présente [5, 7, 11, 17]. Cela se traduit chez un même animal par l’association d’une ou de plusieurs bactéries ou protozoaires tels que Ehrlichia, Anaplasma, Rickettsia, Neorickettsia, Babesia, Theileria, différentes hémobartonnelles classées désormais parmi les Mycoplasma, avec M. haemofelis, M. haemominutum, M. haemocanis. Cela suppose aussi plusieurs morsures par des tiques de familles et de genres différents au cours du temps, avec des contaminations successives et des portages asymptomatiques avant que la sommation des agents pathogènes et leur multiplication n’entraînent des signes cliniques. Il est également possible que certaines de ces co-infections résultent d’une seule morsure car les tiques sont souvent porteuses de multiples agents pathogènes. Cela remet aussi en cause les idées reçues sur la localisation géographique de ces maladies vectorielles, faussement cantonnées sur le pourtour méditérranéen. En effet, plusieurs cas similaires dispersés sur le territoire français ont été rencontrés.
Lors de piroplasmoses canines dues à des microbabésies, certains auteurs proposent des thérapies associant simultanément per os clindamycine (25 mg/kg, 2 fois par jour), métronidazole (15 mg/kg, 2 fois par jour) et doxycyline (5 mg/kg, 2 fois par jour). L’imidocarb demeure pour certains la principale thérapie [16, 18]. L’association clindamycine/quinine a aussi été proposée ainsi que celle de l’atovaquone (Malarone®(2), 30 mg/kg, 2 fois par jour pendant 7 à 10 jours per os) et de l’azithromycine (Zythromax®(2), 10 mg/kg/j, per os) [12, 18, 20]. Les auteurs ont souvent noté une amélioration clinique, mais certains relatent la persistance du parasite après traitement [12]. Dans ce cas de figure, le parasite se raréfie suffisamment pour ne plus être visible sur le frottis, mais la recherche par PCR est toujours positive. La notion de portage chronique avec récurrence des signes cliniques semble clairement établie [16]. Enfin, quelques auteurs proposent l’usage de plantes médicinales, mais leur efficacité potentielle n’est démontrée qu’in vitro [10, 15].
En revanche, peu de précisions existent sur les traitements des piroplasmoses félines. Il semble possible d’utiliser l’imidocarb lors de babésiose féline. Toutefois son emploi n’est pas précisé par le laboratoire pour cette espèce.
Pour Babesia felis (Afrique du Sud), la buparvaquone, l’enrofloxacine, la danofloxacine seraient inefficaces [13]. Au contraire, l’association rifampicine/sulphadiazine-triméthoprime semblerait efficace. La primaquine serait active à la dose de 0,5 mg/kg per os ou par voie intramusculaire, sachant que le double de cette dose (soit 1 mg/kg) serait mortelle [14]. À notre connaissance, il ne semble pas exister de traitement spécifique de B. annae chez le chat. L’efficacité de l’enrofloxacine est à vérifier ultérieurement.
La mise en place du traitement selon les cas de multicontamination est en général suivie de l’amélioration clinique de l’animal. Ces étapes doivent être suivies par un contrôle PCR du nombre de copies encore présentes de chaque agent pathogène, afin de préciser si l’animal est toujours porteur malgré l’amélioration clinique. Ainsi, le traitement peut être adapté à chaque cas.
Les connaissances actuelles remettent en cause bien des dogmes. La piroplasmose est bien due à des parasites des genres Babesia et Theileria. Le terme “babésiose” est à réserver aux piroplasmoses à Babesia (theilériose pour les Theileria). Les nouvelles données sur la notion de spécificité d’espèce expliquent probablement en partie les “échecs” thérapeutiques. En effet, une piroplasmose canine à Theileria equi peut-elle être soignée de la même façon qu’une piroplasmose à Babesia canis canis ?
Les recherches PCR ont permis de découvrir et de confirmer la notion de multicontamination secondaire aux morsures de tiques. Il convient donc de ne plus traiter pour une babésiose ou une theilériose isolée, mais de prendre en compte l’association des autres maladies vectorielles dépistées simultanément.
La notion de guérison clinique se relativise au regard de la persistance biologique des agents pathogènes mis en évidence par la biologie moléculaire. Ces portages sont-ils aussi anodins que le retour à une situation clinique normale le laisserait penser ? Ne seraient-ils pas responsables de l’émergence à long terme de maladie rénale par dépôt de complexes immuns, de syndromes néphrotiques trop souvent idiopathiques ? Quelle conduite thérapeutique doit être alors adoptée ?
Née encore récemment sur la paillasse de chercheurs fondamentaux, la biologie moléculaire remet en cause notre approche quotidienne du diagnostic et du traitement des maladies à piroplasmes, et devient un outil indispensable et prometteur.
Comme le montre cet article, en ce qui concerne la piroplasmose, les vérités d’hier ne sont donc plus celles d’aujourd’hui, la biologie moléculaire ouvrant de nouveaux horizons.
(1) Banque internationale de dépôt de l’ensemble des séquences géniques connues tout règne confondu.
(2) Médicament humain.
• Les piroplasmoses félines sont méconnues, et doivent être intégrées dans le diagnostic différentiel des anémies, mais aussi des leucopénies et des thrombopénies.
• La répartition géographique des microbabésies ne se limite vraisemblablement pas au seul pourtour méditerranéen.
• Les traitements des piroplasmoses félines restent à préciser.
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