Contexte et technique de la néphrectomie chez les bovins - Le Point Vétérinaire n° 298 du 01/09/2009
Le Point Vétérinaire n° 298 du 01/09/2009

Chirurgie des ruminants

Mise à jour

CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Karl Nuss*, Ueli Braun**

Fonctions :
*Clinique des ruminants, faculté vétérinaire, Université de Munich (Allemagne)
**Farm Animal Department, Vetsuisse-Faculty, University of Zurich, Suisse

Avant de mettre en place un traitement lors de maladie rénale, il convient de déterminer la gravité de l’affection et si un seul ou les deux reins sont touchés.

Les affections rénales sont des découvertes fortuites chez le bétail. Une néphrectomie unilatérale est indiquée chez les bovins qui ne répondent pas au traitement médical d’une affection d’un seul rein. Il peut s’agir d’une pyélonéphrite, d’un rein polykystique et d’une hydronéphrose, parfois d’un uretère ectopique, d’une néoplasie, d’une urolithiase rénale ou urétérale [5].

Étape 1 : contexte

1. Contexte fréquent : la pyélonéphrite

La pyélonéphrite résulte d’une infection bactérienne affectant le rein, le plus souvent due à Corynebacterium renale. Cette bactérie est un agent pathogène facultatif, retrouvé dans le bas tractus urogénital du bovin sain. Escherichia coli, Actinomyces pyogenes et d’autres bactéries sont moins souvent en cause. La pyélonéphrite est généralement d’évolution chronique. Elle est caractérisée par une perte de poids, une hyperthermie, une pyurie et/ou une hématurie [2]. Elle affecte généralement des vaches, mais aussi des génisses, des veaux mâles et des taureaux reproducteurs.

Environ 75 % des cas surviennent après une infection puerpérale, mais la pyélonéphrite peut aussi survenir à la suite d’un cathétérisme urinaire ou d’une mise bas par les voies naturelles [5].

2. Signes cliniques

Les signes cliniques incluent un appétit réduit, une anorexie, une léthargie, des signes de colique sourde, de pyurie, de pollakiurie, une hématurie, un œdème des membres pelviens, une fréquence cardiaque ou respiratoire élevée [2, 6]. La miction est normale chez la plupart des animaux, mais l’urine présente un changement de couleur et contient du pus et des caillots sanguins. La bandelette urinaire révèle une augmentation des protéines, du sang et des leucocytes, chez la plupart des animaux affectés. En associant l’examen clinique et la bandelette urinaire, un diagnostic d’infection du tractus urinaire peut être obtenu dans 94 % des cas. Dans environ la moitié des cas, un rein ou un uretère dilaté peut être palpé à l’examen rectal.

3. Affection unilatérale ou bilatérale ?

Contrairement à ce que suggèrent de récentes données, nous avons pu diagnostiquer, du vivant de l’animal, une pyélonéphrite unilatérale dans environ 50 % des cas [2, 5]. Les techniques diagnostiques utilisées dans notre essai sont l’examen rectal (du rein, des uretères), l’examen macroscopique des urines, la bandelette urinaire, l’examen hématologique, l’endoscopie des orifices urétéraux sur la vessie et l’échographie des reins (transcutanée pour le droit, transcutanée et tranrectale pour le gauche). La pyélonéphrite unilatérale résulte la plupart du temps d’une infection ascendante et une dissémination hématogène est moins fréquente [7]. L’échographie des reins et des uretères ainsi que l’endoscopie des orifices urétéraux en cas d’écoulement anormal d’une urine modifiée aident à distinguer une pyélonéphrite unilatérale d’une pyélonéphrite bilatérale [1]. La concentration sérique en urée est significativement plus basse (p < 0,05) chez les animaux atteints d’une pyélonéphrite unilatérale (7,8 mmol/l, intervalle de confiance de 3,1 à 11,8 mmol/l) par rapport à ceux dont la maladie est bilatérale (19,3 mmol/l, intervalle de confiance de 6,9 à 35,9 mmol/l) [2]. Toutefois, chez des animaux atteints bilatéralement, l’élévation est modérée. Selon cette même étude, une concentration en urée strictement supérieure à 15 mmol/l s’est révélée un indicateur fiable de pyélonéphrite bilatérale. Un dysfonctionnement rénal ne survient que lorsque plus de 75 % des néphrons sont impliqués, ce qui oriente vers une affection bilatérale. Avant de commencer le traitement, il convient de déterminer la gravité de l’affection et si un seul ou les deux reins sont affectés.

Le rein gauche semble légèrement plus souvent affecté que le droit, l’uretère de ce côté étant plus court que l’autre [2].

Étape 2 : indication, préparation et anesthésie

1. Choix du traitement

Un traitement chirurgical n’est indiqué que lors d’une atteinte unilatérale grave, telle que l’hydronéphrose et la pyélonéphrite, en particulier pour les animaux qui n’ont pas répondu à une antibiothérapie préalable.

En général, le choix de traitement est adapté aux lésions observées sur le rein et à l’évolution clinique de l’animal. En cas de lésions sévères sur un rein (pyélonéphrite marquée, hydronéphrose), une intervention immédiate est indiquée.

Si une amélioration est constatée pour un rein, un traitement médical est indiqué pendant plusieurs jours, voire, en cas de succès, plusieurs semaines.

Une culture bactérienne peut être réalisée en première intention pour sélectionner l’anti-biotique le mieux adapté. Elle doit être répétée lors de fièvre ou en l’absence d’amélioration clinique, pour décider d’un éventuel changement d’antibiotique.

Notre choix de première intention est souvent la pénicilline sous une forme administrable par voie intra-veineuse, puis l’amoxicilline, l’oxytétracycline ou les sulfamides.

Certains bovins traités uniquement par antibiothérapie ont reçu en complément trois administrations ponctuelles d’une association nitrofurantoïne et métamizole (Urofur®, laboratoire Chassot, hors AMM) par voie orale, réparties sur une période de 3 à 20 jours [2].

2. Préparation

La néphrectomie est généralement réalisée chez un animal debout, même si une anesthésie générale peut faciliter la procédure [4]. Une néphrectomie unilatérale peut être réalisée dans des conditions de terrain [6]. Au sein de notre clinique, le rein droit est retiré par un abord paralombaire droit et le rein gauche par un abord paralombaire gauche (figure 1) [2]. Toutefois, l’exérèse des deux reins par un abord droit a été décrite [4]. Pour retirer le rein gauche par le côté droit, l’incision doit être plus caudale que celle qui est décrite dans cet article. Avant une néphrectomie par le flanc gauche, les animaux sont mis à la diète hydrique pour réduire la taille du rumen (24 à 36 heures), avec éventuellement un apport nutritionnel par perfusion si besoin. Un cathéter intraveineux est mis en place pour les perfusions et les injections d’antibiotiques, d’analgésiques et d’anti-inflammatoires.

Nous privilégions une sédation légère de l’animal, afin de réduire son anxiété et ses réactions agressives (xylazine, à la dose de 0,01 mg/kg, par voie intraveineuse).

Le bovin est placé dans un travail. Les pattes postérieures sont entravées pour prévenir les coups de pied pendant l’administration de l’anesthésique local. Nous pratiquons une anesthésie paravertébrale proximale des nerfs de la treizième vertèbre thoracique, et des première et deuxième vertèbres lombaires pour les abords paralombaires gauche et droit [4, 6]. Nous préférons la lidocaïne à la procaïne pour l’anesthésie locale, car la première a un meilleur rapport efficacité/coût.

Étape 3 : néphrectomie

1. Incision cutanée

Pour l’approche par la fosse paralombaire gauche, l’incision cutanée débute quelque 5 cm distalement aux processus vertébraux des vertèbres lombaires et s’étend sur 25 cm dans le sens vertical. Pour le rein droit, l’incision est pratiquée au plus proche de la dernière côte, et une résection de celle-ci permet un meilleur accès au rein. Cette résection osseuse requiert d’anesthésier également le nerf spinal de la douzième vertèbre thoracique. Pour le rein droit, la préparation et l’exérèse depuis l’espace rétropéritonéal sont possibles car celui-ci est situé dans le rétropéritoine. Cela permet de laisser ouverte la plaie pour un drainage et une cicatrisation par seconde intention. Dans un cas de retrait d’un rein polykystique de l’espace rétropéritonéal avec fermeture primaire, nous avons observé une importante collection séreuse (photo 1). Le hile du rein droit est situé médialement ; par conséquent, les vaisseaux et les uretères ne peuvent être identifiés qu’après avoir libéré le rein des tissus graisseux qui l’entourent.

Pour le rein gauche, situé dans la cavité péritonéale, l’exérèse doit être effectuée à travers cette même cavité. La plaie est donc laissée ouverte dans la cavité abdominale [3]. Des complications en lien avec ce positionnement n’ont pas été mises en évidence ni décrites.

Le hile du rein gauche s’ouvre dorsalement et les vaisseaux sont plus longs, comparés à ceux du rein droit.

2. Infiltration anesthésique périrénale

Après l’ouverture de la cavité abdominale, une infiltration locale du tissu périrénal est utile. Une canule est reliée à une prolongation de perfuseur et l’anesthésique est injecté via une seringue depuis l’extérieur de la cavité abdominale.

La zone de ligature des vaisseaux est infiltrée, ainsi que celle proche de la vessie, où l’uretère est ligaturé. Le rein gauche ayant une longue attache, il peut être récliné du côté gauche du rumen assez facilement. Pour l’abord par le flanc gauche, le côlon descendant ne perturbe pas trop la préparation des structures rénales, comme cela est souvent le cas pour l’abord par la droite.

La ligature des vaisseaux est aussi plus facile et peut être effectuée sous contrôle visuel.

3. Dissection mousse

Le rein, l’artère et la veine rénales sont libérés des tissus graisseux qui les entourent par une dissection mousse. D’éventuelles adhérences liées à une inflammation de la capsule rénale ou à un abcès peuvent être évitées en rompant le tissu graisseux plus loin du tissu rénal.

4. Ligatures vasculaires et urétérale

L’artère et la veine rénales et l’uretère sont identifiés et ligaturés. L’artère est ligaturée en premier pour arrêter l’apport sanguin et réduire quelque peu la taille du rein. Deux ligatures au minimum sont mises en place sur l’artère rénale, en prévention du risque hémorragique postopératoire. La première suture est située près de l’aorte et arrête le courant sanguin. La deuxième, lorsqu’un contrôle visuel est possible, est transfixiante pour prévenir tout glissement de la suture. Une troisième suture ou une pince hémostatique est placée près de l’entrée de l’artère dans le rein, et la section est réalisée entre la deuxième et cette troisième ligature (pince hémostatique) (photo 2). Nous utilisons un fil non résorbable, de décimale 2 (5 métrique), mais d’autres matériaux non réactifs avec une bonne sécurité au nœud sont appropriés. Des nœuds spéciaux comme le nœud de Miller peuvent être mis en place (figure 2). Les nœuds classiques ont toutefois prouvé une efficacité suffisante dans ce contexte. Nous nous assurons que la distance entre la ligature et la zone de section est d’environ 1 cm, pour prévenir le risque de glissement d’une suture. Après ligature de la veine, les vaisseaux sont sectionnés entre deux ligatures et le rein est extrait par l’incision cutanée (photo 3).

L’uretère est libéré des tissus qui l’entourent et son trajet est suivi jusqu’à la proximité de la vessie, où il est sectionné entre deux ligatures. Aucun autre vaisseau ne doit être pris dans la ligature. En cas d’inflammation purulente des uretères, il est difficile d’éviter que ce contenu purulent ne se déverse (photo 4). Les avis des auteurs divergent sur le fait que le moignon urétéral puisse être laissé ouvert pour cicatriser par seconde intention (grâce à son insertion oblique dans la vessie, l’uretère s’obstrue naturellement pendant la miction) ou bien ligaturé.

La plaie de laparotomie est fermée classiquement, sauf dans les cas où une cicatrisation par seconde intention de l’espace rénal droit est souhaitée : la plaie est alors seulement partiellement suturée, et des compresses stériles sont mises en place et suturées à l’extérieur pour protéger l’orifice de drainage.

Les soins périopératoires comportent une antibiothérapie (le plus souvent de la pénicilline par voie intraveineuse, si disponible), l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (par exemple kétoprofène, ou flunixine-méglumine) et la poursuite de la perfusion intraveineuse (à base initialement de NaCl et de glucose 5 %, complétés selon les résultats du laboratoire, sachant que de sévères anomalies hydrominérales sont généralement signes de décompensation rénale et d’affection bilatérale).

Lorsque la cicatrisation se déroule normalement, dans notre contexte hospitalier, les animaux sont gardés 14 jours avant de rejoindre leur troupeau [7]. La fonction urinaire est suivie cliniquement et à l’aide de la biochimie sérique (urée, créatinine, potassium).

De bons retours en production peuvent être obtenus après néphrectomie unilatérale (dans notre étude : environ 80 à 90 % des animaux).

Parmi les complications possibles, l’hémorragie arrive au premier plan (la plus redoutable et la plus fréquente d’après les données publiées).

Nous n’avons jamais observé de péritonite, même dans les cas de reins et d’uretères remplis de pus, ni de mort subite. Une vache traitée a dû être euthanasiée car l’autre rein s’est révélé affecté (par la suite ou préalablement, mais de façon indétectable avant et pendant l’intervention).

Références

  • 1 – Braun U, Rutten M, Germann S et coll. Colic in a cow caused by lymphoma of the urinary bladder. Vet Rec. 2004;155:777-778.
  • 2 – Braun U, Nuss K, Wehbrink D et coll. Clinical and ultrasonographic findings, diagnosis and treatment of pyelonephritis in 17 cows. Vet. J. 2008;175:240-248.
  • 3 – Budras KD, Wünsche V. Atlas der Anatomie des Rindes. Hannover, Schlütersche GmbH et Co KG, Verlag und Druckerei. 2002.
  • 4 – Fubini SL. Surgery of the kidney. In: Fubini S, Ducharme N, eds. Farm Animal Surgery. Saunders, St. Louis. 2004;419-422.
  • 5 – Gründer H-D. Krankheiten der Harnorgane. In: Dirksen G, Gründer H-D, Stöber M, eds. Innere Medizin und Chirurgie des Rindes. Parey/Blackwell, Berlin und Wien. 2002;697-736.
  • 6 – Miesner MD, Anderson DE. Unilateral nephrectomy of cattle. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2008;24:497-500.

EN SAVOIR PLUS

– Lallemand M. Cas néphrectomie. Point Vét. 2005;256:56-60.

– Quentin X. Chirurgie de l’appareil urinaire chez les bovins. Point Vét. 2008; 39(n° spéc. “Chirurgie et anesthésie des bovins en pratique”): 75-82.

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