Suspecter et établir un diagnostic de cancer : conduite à tenir - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

CANCÉROLOGIE

Démarche diagnostique

Auteur(s) : David Sayag

Fonctions : Service de cancérologie et de médecine interne,
Clinique vétérinaire Occitanie,
185, avenue des Etats-Unis
31200 Toulouse
oncologie.veterinaire@gmail.com

La suspicion d’une maladie cancéreuse est courante dans notre exercice quotidien. Il convient de?savoir comment l’explorer et de connaître les clés pour obtenir un diagnostic précis.

Les cancers sont la première cause de mortalite des animaux de compagnie âgés de plus de un an [5]. Ils représentent un groupe hétérogène de maladies génétiques entraînant une prolifération incontrôlée des cellules, avec un potentiel essaimage métastatique. Ils résultent de l’acquisition par la cellule d’une succession de capacités distinctives et caractéristiques favorisantes, l’affranchissant des signaux de croissance et d’anticroissance de l’organisme (figure 1) [6].

Face à une suspicion de cancer chez un chien ou un chat, la démarche diagnostique se décompose en deux étapes : le recueil des indices de suspicion à partir de l’historique de l’animal et de son examen clinique, et l’établissement du diagnostic de certitude, fondé sur les examens morphologiques. Une approche diagnostique rigoureuse doit permettre de definir le comportement biologique du cancer et permettre de “nommer” precisément la maladie en cause. Elle est complétée par la réalisation d’un bilan d’extension adapté(1) permettant de definir le stade clinique et de déterminer une stratégie thérapeutique rationnelle personnalisée à chaque cas (figure 2) [1].

ÉTAPE 1 SUSPECTER UN CANCER CHEZ UN CHIEN OU UN CHAT

Repérer et explorer toute anomalie

Les circonstances de découverte d’un cancer chez le chien ou le chat sont nombreuses. Tout symptôme, qui persiste ou s’aggrave malgré les traitements habituels ou qui s’accompagne d’une altération de l’état général, peut être la manifestation d’une maladie cancéreuse, particulièrement chez le chat de plus de 10 ans et chez le chien de plus de 8 ans.

Aucun changement, brusque ou d’installation progressive, de l’état général (poids, activité, comportement etc.) ni aucun signe clinique ne devraient être négligés. Il est important d’éviter des écueils tels que la mise en cause de l’âge pour expliquer une baisse d’activité ou d’appétit, ou de penser qu’un petit nodule cutané, sous-cutané ou mammaire ne peut être que bénin. L’attitude d’“attendre et voir”, consistant à simplement observer l’évolution d’une anomalie détectée doit être proscrite. Adopter une approche proactive, être alerté par tout changement, et établir un diagnostic précoce sont autant de clés aidant à une prise en charge optimale de l’animal atteint de cancer, donc à la réussite de tout traitement.

L’approche proactive est particulièrement nécessaire lors de prédisposition génétique connue [3].

À titre d’exemple :

– une boiterie chez un chien de race géante (particulièrement les greyhound, irish wolfhound, dogue allemand, et leonberg) incite à la recherche systématique d’une tumeur osseuse (principalement ostéosarcome) ;

– une baisse de l’état général, éventuellement associée à une hyperthermie et/ou à une anémie, chez un bouvier bernois engage à rechercher à un sarcome histiocytaire ;

– un collapse associé à une anémie chez un berger allemand ou un golden retriever incite à rechercher un hémangiosarcome viscéral. Une étude nord-américaine récente a mis en évidence qu’environ 1 golden retriever sur 5 développe un hémangiosarcome viscéral au cours de sa vie ;

– une masse cutanée chez un boxer ou un chien de race apparentée (bouledogues français et anglais, bull mastiff, boston terrier et carlin) engage à la recherche d’un mastocytome.

Place du dépistage systématique ciblé

Le dépistage est la mise en œuvre d’examens spécifiques permettant le diagnostic d’un cancer à un stade précoce avant tout signe clinique. Actuellement en médecine vétérinaire, si de nombreuses études sur les biomarqueurs du cancer rapportent des résultats préliminaires intéressants, très peu possèdent un haut niveau de preuve autorisant une application systématique à large échelle [7, 9].

L’utilisation de biomarqueurs sériques, telles la thymidine kinase 1, la protéine C-réactive et/ou l’haptoglobine, dans le diagnostic du cancer a fait l’objet de plusieurs publications [11].

Le dépistage ciblé revêt une importance chez les races particulièrement à risque de développer un cancer, comme chez le flat-coated retriever, le léonberg, le bouvier bernois, le golden retriever ou le boxer [3].

Des tests génétiques sont actuellement disponibles. L’exemple le plus avancé de ces tests concerne la recherche de prédisposition au développement de sarcome histiocytaire chez les bouviers bernois (test applicable uniquement à la conduite d’élevage, et non dans la démarche diagnostique).

Cependant, leur validation demeure incomplète et nécessite une prudence dans l’interprétation des résultats [10]. Au-delà du dépistage initial, la réalisation d’examens biologiques et d’imagerie répétés revêt une importance capitale dans le suivi post-thérapeutique de l’animal atteint de cancer.

Par exemple, le suivi des concentrations sériques en thymidine kinase 1, couplé aux examens cliniques et aux bilans d’extension réguliers, peut être particulièrement intéressant dans la surveillance de la rémission clinique des lymphomes canins(2) [2]

Repérer les signes cliniques du cancer : syndromes paranéoplasiques

La présentation clinique initiale d’un animal atteint de cancer peut être plus ou moins évocatrice de la maladie, variant de la présence de signes généraux frustes, par exemple un abattement ou une perte d’appétit, à des signes plus caractéristiques, comme la présence d’une masse cutanée ou d’une polyadénomégalie périphérique (photos 1a à 1d, tableau 1).

Une attention particulière doit être donnée aux signes cliniques frustes, qui permettent de détecter de manière plus précoce l’éventuelle maladie cancéreuse, donc d’optimiser les chances de réussite de traitement.

Les manifestations cliniques du cancer peuvent être le reflet direct de la tumeur, ou la conséquence d’un syndrome paranéoplasique, c’est-à-dire de la manifestation à distance non directement liée à l’envahissement par la tumeur ou ses métastases.

Les syndromes paranéoplasiques sont de véritables marqueurs du cancer, qui peuvent révéler la présence d’une tumeur, et qui disparaissent en général avec le traitement curatif de la maladie et réapparaissent en cas de récidive. Ils ne reflètent pas systématiquement la gravité du cancer sous-jacent.

La connaissance des principaux syndromes paranéoplasiques est importante dans la détection précoce de certains cancers et le suivi clinique (tableau 2, encadré 1) [4, 12].

ÉTAPE 2 CONFIRMER UN DIAGNOSTIC DE CANCER

Établir un diagnostic présomptif

La synthèse des données épidémiologiques, anamnestiques et cliniques permet d’établir les hypothèses diagnostiques principales, et de déterminer ainsi les examens complémentaires nécessaires à la confirmation ou à l’infirmation de chacune des hypothèses, parmi lesquelles figure fréquemment un cancer.

Lors de présence de signes cliniques généraux non spécifiques, une approche diagnostique ouverte est nécessaire afin d’éviter toute erreur de diagnostic.

→ L’historique de l’animal (anamnèse complète incluant la durée des signes cliniques rapportés, la vitesse de croissance d’une lésion etc.) et un examen clinique complet, incluant une évaluation des nœuds lymphatiques périphériques, revêtent une importance capitale dans la recherche d’un processus néoplasique primaire. La palpation minutieuse des chaînes mammaires, quel que soit le statut sexuel de l’animal, doit être réalisée. En cas de changement de comportement, de troubles alimentaires et de fatigue importante, un examen neurologique minutieux est recommandé. L’examen cytologique de toute lésion suspecte doit être réalisé. Il est peu invasif et facile à réaliser sans anesthésie, même si le standard diagnostique reste sans conteste l’examen histopathologique(3).

→ La réalisation d’une analyse hémato-biochimique adaptée aux signes cliniques observés (par exemple : numération et formule sanguines, paramètres biochimiques d’évaluation de la fonction rénale et hépatique, glycémie, analyse d’urine et ionogramme complet incluant la mesure du calcium ionisé et de la protéinémie totale chez un animal présentant un syndrome polyuro-polydipsique) est recommandée.

→ Si les examens de première intention ne permettent pas d’orienter le diagnostic, des examens complémentaires de première ligne ciblés (échographie abdominale, et radiographies thoraciques) sont ensuite recommandés. L’absence d’anomalie détectée à l’issue de ces examens, associée à la persistance des signes cliniques, doit inciter le clinicien à réaliser des examens complémentaires plus poussés et adaptés à la démarche clinique rationnelle (encadré 2).

Référer à un spécialiste en cancérologie ou en médecine interne doit également être envisagé afin d’éviter toute errance diagnostique et/ou thérapeutique.

Établir un diagnostic de (quasi-)certitude

Le diagnostic présomptif est établi au regard des résultats des différents examens complémentaires, et ne peut, à lui seul, servir de base à un traitement à visée curative. En effet, seule la détermination du diagnostic définitif autorise la mise en place d’un plan de traitement adapté et l’évaluation du pronostic de la manière la plus juste. Le diagnostic morphologique est toujours complété du diagnostic clinique, qui inclut systématiquement le bilan d’extension(1).

Apport de la cytologie dans l’établissement du diagnostic

L’établissement du diagnostic présomptif repose dans nombre de situations sur l’examen cytologique de cytoponctions à l’aiguille fine de la lésion observée.

La cytologie consiste à examiner des cellules isolées au cours d’un prélèvement des sécrétions naturelles (frottis vaginal, lavage broncho-alvéolaire, etc.) ou au cours de ponction à l’aiguille fine d’une membrane séreuse (épanchement pleural, ascite) ou d’une lésion solide (masse cutanée ou sous-cutanée, foie, rate). C’est un examen simple, utile pour le diagnostic d’une lésion et le dépistage d’autres sites d’infiltration d’un cancer déjà connu, mais qui présente des limites (encadré 3).

Analyse histopathologique

L’examen anatomo-pathologique est l’acte essentiel que rien ne remplace pour obtenir la certitude du diagnostic (gold standard). Il comprend l’examen direct de la lésion, suivi de l’examen microscopique.

L’aspect macroscopique de la lésion est évident si l’accès à la tumeur est possible (peau, muqueuses par vision directe ou endoscopique, pièces opératoires), mais lorsque la tumeur n’est pas visible, seuls des examens complémentaires (comme la tomodensimétrie) permettent de connaître son origine ou le degré d’envahissement.

Les objectifs de l’examen histopathologique microscopique sont :

– d’affirmer le diagnostic de cancer (anomalies cellulaires et de structure du tissu) ;

– de préciser son type histologique (adénocarcinome ou carcinome épidermoïde, sarcome, lymphome) ;

– de définir certains caractères évolutifs et pronostiques tels que le degré de différenciation (de bien différencié à indifférencié), l’index mitotique (nombre de cellules en cycle cellulaire par rapport à la population globale), le grade histologique (grade de Patnaik ou de Kiupel dans les mastocytomes, grade de Trojani dans les sarcomes des tissus mous) ;

– de déterminer l’extension microscopique dans les diverses couches de tissus : c’est un élément pronostique essentiel dans de nombreuses localisations car l’atteinte d’un certain niveau d’extension conditionne en partie l’évolution locorégionale et métastatique. La présence d’emboles vasculaires lymphatiques ou sanguines est un critère pronostique péjoratif, déterminant dans la recommandation de la mise en place d’une chimiothérapie adjuvante lors de tumeurs mammaires, chez la chienne par exemple. L’état des marges histologiques est un élément essentiel dans l’évaluation du geste chirurgical ;

– de réaliser d’autres examens indispensables à la caractérisation de la tumeur et la définition du traitement : immunophénotypage des lymphomes, recherche de récepteurs hormonaux lors de tumeurs mammaires etc.

Conclusion

Lors de cancers, les signes cliniques d’appel peuvent être généraux, ou plus spécifiques. Face à une suspicion de cancer, une approche diagnostique systématisée permet de confirmer le diagnostic, afin de définir le comportement biologique de la tumeur, de réaliser un bilan d’extension adapté, et de déterminer la stratégie thérapeutique la plus adéquate.

  • (1) Voir l’article “Clés pour obtenir un bilan d’extension” de A Lejeune, dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article “Suivi clinique de l’animal cancéreux” de F. Floch, dans ce numéro.

  • (3) Voir l’article “Conduite à tenir lors de masse cutanée et sous-cutanée” de C. Robat, dans ce numéro.

Références

  • 1. Biller B, Berg J, Garrett L et coll. AAHA Oncology guidelines for dogs and cats. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2016;52(4):181-204.
  • 2. Bryan JN. The current state of clinical application of serum biomarkers for canine lymphoma. Frontiers in Veterinary Science. 2016;3:87.
  • 3. Dobson JM. Breed-predispositions to cancer in pedigree dogs. ISRN Veterinary Science. 2013;2013:941275.
  • 4. Dyer Inzana K. Paraneoplastic neuromuscular disorders. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2004;34(6):1453-1467.
  • 5. Fleming JM, Creevy KE, Promislow DE. Mortality in North American dogs from 1984 to 2004: an investigation into age – size and breed – related causes of death. J. Vet. Intern. Med. 2011;25(2):187-198.
  • 6. Hanahan D, Weinberg RA. Hallmarks of cancer: the next generation. Cell. 2011;144(5):646-674.
  • 7. Henry CJ. Biomarkers in veterinary cancer screening: applications, limitations and expectations. Vet. J. 2010:185:10-14.
  • 8. James H. Meinkoth, Rick L et coll. Cell types and criteria of malignancy. In: Cowell and Tyler’s diagnostic cytology and hematology of the dog and cat. 4théd. 2014:20-47.
  • 9. Mukaratirwa S. Prognostic and predictive markers in canine tumours: rationale and relevance. A review. Vet. Quarterly. 2005:27(2):52-64.
  • 10. Nielsen LN, McEvoy F, Jessen LR, Kristensen AT. Investigation of a screening programme and the possible identification of biomarkers for early disseminated histiocytic sarcoma in Bernese Mountain dogs. Vet. Comp. Oncol. 2012;10(2):124-134.
  • 11. Selting KA, Ringold R, Husbands B, Pithua PO. Thymidine kinase type 1 and C reactive protein concentrations in dogs with spontaneously occurring cancer. J. Vet. Intern. Med. 2016;30(4):1159-1166. doi:10.1111/jvim.13954.
  • 12. Turek MM. Cutaneous paraneoplastic syndromes in dogs and cats: a review of the literature. Vet. Dermatol. 2003;14:279-296.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Importance de la détection des syndromes paranéoplasiques en pratique quotidienne

→ Certaines anomalies sont évocatrices de certains types de tumeurs, et aident au diagnostic précoce (biomarqueur diagnostique).

→ Ils peuvent aider à évaluer la réponse à un traitement (biomarqueur de suivi).

→ Ils peuvent aider à évaluer la progression tumorale ou l’apparition de récidive (biomarqueur de récidive).

→ L’identification de syndrome paranéoplasique peut changer le plan diagnostique et la prise en charge thérapeutique de l’animal.

→ La compréhension de la physiopathologie de ces syndromes peut être une aide à l’identification de marqueurs tumoraux précoces.

ENCADRÉ 2
Examens complémentaires de deuxième intention applicables à la démarche diagnostique en cancérologie

→ Examen endoscopique dans l’exploration de troubles respiratoires, digestifs ou urinaires.

→ Examen tomodensitométrique dans l’exploration, par exemple, de troubles respiratoires et d’anomalies des cavités orale et nasales ou de la cavité pelvienne.

→ Examen d’imagerie par résonance magnétique en cas de suspicion d’atteinte intracrânienne ou médullaire notamment.

ENCADRÉ 3
Limites de l’examen cytologique

→ Les résultats n’ont de valeur que s’ils sont positifs, les cellules malignes ayant pu échapper à un prélèvement qui reste très limité [12].

→ L’affirmation du caractère malin des cellules repose sur l’existence d’anomalies nucléaires et/ou cytoplasmiques, nécessitant un observateur expérimenté (spécialiste en pathologie clinique) en raison du nombre important d’anomalies modérées et/ou douteuses [12].

→ Certaines caractéristiques de la tumeur telles que son grade, ou parfois aussi son type histologique, ne peuvent être appréciées de façon précise. Un examen histopathologique est alors nécessaire [12].

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