Les clés d’une bonne communication en cancérologie - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

CANCÉROLOGIE

Démarche diagnostique

Auteur(s) : Olivier Keravel

Fonctions : Eiffelvet
Clinique vétérinaire d’activité référée
exclusive autour de la cancérologie
2, rue Saint-Saëns
75015 Paris

Une thérapie anticancéreuse est un travail d’équipe associant la triade propriétaire-vétérinaire référent-oncologue. Pour qu’elle soit menée à bien, une bonne communication entre ces trois acteurs est primordiale.

La réalisation d’une thérapie anticancéreuse de qualité nécessite des échanges harmonieux et optimisés entre les différents acteurs de la triade propriétaire-vétérinaire référent-oncologue. Une bonne communication entre les différents acteurs intervenant sur l’animal est donc indispensable, en particulier aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux et de l’interconnectivité.

COMMUNICATION ONCOLOGUE/PROPRIÉTAIRE

Généralités

Plus que pour n’importe quelle autre spécialité, la consultation de cancérologie confronte l’oncologue à des interlocuteurs émotionnellement déstabilisés. La simple évocation du terme “cancer” réveille des souvenirs douloureux ou des angoisses profondes chez le propriétaire.

De plus, la consultation est complexe car les options thérapeutiques qui sont choisies dépendent de la philosophie du propriétaire et de ses moyens financiers, mais aussi des données cliniques de l’animal autorisant ou limitant certaines options thérapeutiques(1).

L’oncologue doit donc être un bon interniste, capable de gérer des propriétaires en état de stress, avec suffisamment d’expérience relationnelle et de tact, pour leur permettre de mémoriser les données essentielles de l’entretien. Il est donc impossible de réaliser une bonne consultation de cancérologie sans y consacrer du temps. Dans notre structure, nous avons fait le choix de facturer à sa juste valeur cette consultation initiale de cancérologie, qui dure rarement moins de 1 heure. Cette première approche concertée est la base du traitement futur et la clé d’une entente harmonieuse entre les vétérinaires (référent et oncologue) et le propriétaire (photo 1).

L’objectif de la consultation est d’expliquer au propriétaire de quelle maladie est atteint son animal, afin qu’il comprenne, voire s’approprie la logique thérapeutique, tout en intégrant la notion essentielle d’aléa thérapeutique.

Déroulé de la consultation

Expliquer la statégie thérapeutique

Les résultats d’analyses et d’imagerie doivent tout d’abord être synthétisés auprès du propriétaire. Les différentes stratégies thérapeutiques envisageables sont ensuite proposées, sans aborder, dans un premier temps, la question financière, si cela est possible.

Pour chaque thérapeutique (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, immunothérapie, abstention thérapeutique), il convient d’expliquer en quoi elle consiste et quels sont les effets secondaires attendus, sachant qu’une thérapie anticancéreuse est souvent multimodale (photos 2a et 2b).

En médecine vétérinaire et particulièrement en oncologie, la stratégie thérapeutique est souvent palliative et non curative [3]. Cette notion de soin palliatif est fondamentale et doit être distinguée de l’acharnement thérapeutique. Une thérapie palliative consiste à préserver la qualité de vie, ultime objectif de l’oncologue vétérinaire, au moyen de soins présentant des risques mesurés. L’acharnement thérapeutique consiste au contraire à proposer des soins présentant une prise de risque majeure et ne permettant pas l’amélioration de la qualité de vie.

Recommandations pour éviter les effets secondaires

La qualité de vie est essentielle pour le propriétaire. Il est donc nécessaire de l’informer de tous les moyens à mettre en œuvre pour limiter les effets secondaires, afin d’optimiser l’observance du traitement. L’utilisation de l’intégralité des moyens disponibles pour lutter contre le cancer, incluant les médecines complémentaires, est recommandée [4]. Ces thérapies complémentaires ont pour objectif d’optimiser le métabolisme hépato-rénal lourdement sollicité par un traitement multimodal, tout en profitant de leur éventuel effet immunomodulateur antinéoplasique [5].

Le jeûne thérapeutique avant une chimiothérapie est par ailleurs toujours recommandé dans notre structure, lorsqu’il est possible, afin de limiter les effets secondaires (mise en dormance des cellules de l’épithélium digestif) et d’optimiser la chimiothérapie (mise en apoptose des cellules néoplasiques) [2].

La consultation se termine en précisant qu’une thérapie anticancéreuse est un travail d’équipe associant la triade propriétaire-vétérinaire référent-oncologue. Cette dernière fait au mieux pour prolonger la qualité de vie en fonction de la stratégie thérapeutique choisie.

Une fois ces bases établies, le propriétaire est interrogé sur ses motivations, écouté, et ses arguments sont entendus. Ses souhaits sont confrontés à ses moyens financiers. Une décision est prise et un protocole précis avec devis à la clé est établi.

COMMUNICATION ONCOLOGUE/VÉTÉRINAIRE RÉFÉRENT

Suite de la consultation

À l’issue de la consultation initiale, aucune décision n’est actée. Le propriétaire est réorienté vers son vétérinaire, qui est naturellement tenu au courant des détails et des conclusions de la consultation avant de revoir son client. En effet, le propriétaire a, la plupart du temps, besoin d’une période plus ou moins longue pour « digérer » les informations et l’aide de son vétérinaire traitant est souvent nécessaire et utile.

Le vétérinaire oncologue doit toujours garder à l’esprit qu’il soigne l’animal d’un propriétaire qui lui est adressé par un confrère.

La difficulté pour l’oncologue est de préserver cette relation exclusive entre le propriétaire et son vétérinaire au cours d’une thérapie souvent longue et récurrente au sein de la clinique de référé (chimiothérapie et radiothérapie, en particulier).

Notre choix est de communiquer oralement par téléphone avec nos confrères, tout en adressant des comptes rendus à intervalles réguliers.

À tout moment, en cas de complication ou de question, le propriétaire sait ainsi que son vétérinaire est au courant du traitement en cours.

Formation

Pour convaincre un propriétaire de l’opportunité de traiter son compagnon, il est nécessaire d’obtenir l’assentiment du vétérinaire traitant, qui doit lui-même être convaincu de l’intérêt du traitement en termes de faisabilité, de qualité de vie et de survie. Il doit aussi connaître les raisons pour lesquelles une prise en charge précoce de l’animal de son client est indispensable. La chronologie de cette prise en charge est en effet fondamentale.

La clé de la prise en charge réussie d’un cancer est la mise en place d’une stratégie thérapeutique précoce sur un processus néoplasique de faible volume avec réalisation initiale, avant toute décision, d’un bilan d’extension poussé(2), le plus souvent au moyen d’un scanner (encadré). Un compte rendu d’histologie doit par ailleurs toujours être interprété avec précaution(3) [7].

C’est pourquoi une bonne communication oncologue/vétérinaire référent doit également s’entendre en dehors de la relation à un client en particulier, via des offres de formation, des supports d’aide à la décision ou une disponibilité optimale à répondre aux questions, par e-mail notamment.

Seule une relation de confiance entre le vétérinaire généraliste et l’oncologue autorise le premier à adresser l’animal de son client précocement.

UTILISER LES DONNÉES SCIENTIFIQUES

Les données scientifiques doivent être synthétisées par l’oncologue avec le client et son vétérinaire, indépendamment et différemment, afin de respecter des niveaux de compétence variables. Pour les cancers les plus fréquents, ces données offrent en effet une information très étoffée, mais le plus souvent hétérogène et scientifiquement discutable.

De plus, il existe des données assez rares et controversées pour la plupart des autres cancers. Les cohortes de cas cliniques sont le plus souvent des études rétrospectives et non prospectives sur de très petits nombres (niveau de preuve faible selon les échelles de médecine factuelle) (figure) [8]. De plus, ces études sont rarement comparables entre elles selon qu’elles s’attachent à comparer la survie sans récidive, la survie moyenne ou médiane etc. De même, les modalités des bilans d’extension varient énormément : il est légitime par exemple de s’interroger sur l’opportunité de comparer une série de cas explorés par scanner thoracique, à une série de cas explorés par simple radiographie thoracique avant toute décision thérapeutique, lorsqu’il est connu que 86 % des métastases pulmonaires identifiables au scanner ne sont pas observées radiographiquement [6].

Les questions telles que « Combien de temps va vivre mon chien ? » ou « Vu son âge, pourquoi le soigner ? » sont des pièges redoutables, même s’il est facile de répondre « Je ne sais pas » ou « L’âge n’est pas une maladie ».

Un chiffre statistique a peu de sens sur la destinée d’un individu. De plus, il n’est jamais certain que la stratégie thérapeutique décidée initialement puisse arriver à son terme et les modalités palliatives (notamment en radiothérapie et en immunothérapie) ont été jusqu’à présent très peu évaluées en ce qui concerne la survie.

Si l’oncologue se doit de transmettre les informations scientifiques de base, la recherche de la qualité de vie, donnée seulement très récemment prise en compte, est essentielle [9].

Conclusion

La cancérologie est une spécialité complexe associant une prise en charge médico-chirurgicale lourde chez des animaux gériatriques dans un contexte émotionnel troublé. Cette complexité est la source même de l’intérêt de cette spécialité, confrontée aux notions de qualité de vie et de soins palliatifs. Or une communication fluide au sein de la triade propriétaire-vétérinaire référent-oncologue est peut-être la clé indispensable à une thérapie réussie.

  • (1) Voir article “Les acteurs d’une stratégie thérapeutique en cancérologie” de Q. Fournier, dans ce numéro.

  • (2) Voir les articles “Clés pour obtenir un bilan d’extension” de A Lejeune et “Stratégie multimodale et évaluation du traitement en cancérologie” de Q. Fournier et coll., dans ce numéro.

  • (3) Voir l’article “Conduite à tenir face à un diagnostic incertain en cytologie et histologie”, de C. Dally et coll., dans ce numéro.

Références

  • 1. Boracchi P, Di Giancamillo M, Giudice C et coll. Clinical and computed tomography tumour dimension assessments for planning wide excision of injection site sarcomas in cats: how strong is the agreement Vet. Comp. Oncol. 2017;15(2):374-382.
  • 2. Brandhorst S, Harputlugil E, Longo VD et coll. Protective effects of short-term dietary restriction in surgical stress and chemotherapy. Ageing Res. Rev. 2017;39:68-77.
  • 3. Brown DC, Duda L, Krick EL et coll. Palliative radiation therapy for solid tumors in dogs: 103 cases (2007-2011). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2016;248(1):72-82.
  • 4. Corti L. Massage therapy for dogs and cats. Top Companion Anim. Med. 2014;29(2):54-57.
  • 5. Hebin L, Lixin L, Xin M. Antitumor polysaccharides from mushrooms: a review on the structural characteristics, antitumor mechanisms and immunomodulating activities. Carbohydr. Res. 2016;424:30-41.
  • 6. London CA, Nemanic S, Wisner ER. Comparison of thoracic radiographs and single breath-hold helical CT for detection of pulmonary nodules in dogs with metastatic neoplasia. J. Vet. Intern. Med. 2006;20(3):508-515.
  • 7. Malone EK, McDonough SP, Rassnick KM et coll. A prospective evaluation of the impact of second-opinion histopathology on diagnostic testing, cost and treatment in dogs and cats with cancer. Vet. Comp. Oncol. 2015;13(2):106-116.
  • 8. Thamm DH, Vail DM. Veterinary oncology clinical trials: design and implementation. Vet. J. 2015;205(2):226-232.
  • 9. Villalobos A. Canine and geriatric oncology, honoring the human animal bond. Blackwell publishing, 2007.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’objectif de la consultation est d’expliquer au propriétaire de quelle maladie est atteint son animal afin qu’il comprenne, voire s’approprie la logique thérapeutique, tout en intégrant la notion essentielle d’aléa thérapeutique.

→ En médecine vétérinaire et particulièrement en oncologie, la stratégie thérapeutique est souvent palliative et non curative. Cette notion de “soin palliatif” est fondamentale et doit être distinguée de l’acharnement thérapeutique.

→ La qualité de vie est essentielle pour le propriétaire, il convient de tout mettre en œuvre pour limiter les effets secondaires, afin d’optimiser l’observance du traitement.

→ La clé de la prise en charge réussie d’un cancer est la mise en place d’une stratégie thérapeutique précoce sur un processus néoplasique de faible volume avec réalisation initiale, avant toute décision, d’un bilan d’extension poussé, le plus souvent au moyen d’un scanner.

ENCADRÉ
Interet d’une prise en charge precoce : exemple du fibrosarcome felin

→ Sur un fibrosarcome félin, il est difficile d’obtenir une guérison lors d’une récidive après chirurgie initiale non carcinologique, car cela signifie qu’elle a été réalisée sans bilan d’extension tomodensitométrique préalable (locorégional et à distance) et sans respect des règles de la chirurgie carcinologique (en particulier exérèse en bloc sans “dilacération des tissus” et identification des marges) [5].

→ En effet, l’analyse des marges histologiques ne peut pas être réalisée correctement par l’anatomopathologiste si le chirurgien n’a pas pris soin de fournir une pièce d’exérèse en bloc avec identification des marges. Or l’analyse des marges lors de la chirurgie initiale est fondamentale pour la mise en place d’une bonne stratégie thérapeutique (pour savoir, par exemple, si une reprise chirurgicale peut être tentée ou comment planifier une radiothérapie efficace a posteriori).

→ Enfin, une chirurgie non carcinologique réalisée sans traitement adjuvant planifié au préalable (radiothérapie, en particulier) augmente les risques de dissémination tumorale locorégionale, de relance des mitoses cellulaires, et diminue notamment l’efficacité potentielle de la radiothérapie.

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