Les acteurs d’une stratégie thérapeutique en cancérologie - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

CANCÉROLOGIE

Démarche thérapeutique et suivi

Auteur(s) : Quentin Fournier

Fonctions : Royal (Dick) School of
Veterinary Studies,
The University of Edinburgh,
Easter Bush,
Midlothian EH25 9RG, UK

Le vétérinaire est l’intigateur du traitement contre le cancer. Il doit prendre en compte les particularités de l’animal ainsi que les contraintes et les souhaits du propriétaire.

La planification d’un traitement cancérologique en médecine vétérinaire doit être adaptée aux trois parties concernées : l’animal, le propriétaire et le vétérinaire (figure 1). Toute démarche décisionnelle repose sur ces trois piliers, et la négligence de l’un d’eux peut entraîner une situation d’échec thérapeutique. La meilleure stratégie thérapeutique est celle qui répond au mieux à la condition de l’animal, tout en prenant compte le désir des propriétaires et en restant applicable par le vétérinaire.

LE VÉTÉRINAIRE

Les résultats de la demarche diagnostique doivent permettre de definir la situation clinique, avant la démarche décisionnelle (figure 2). Pour definir la situation clinique, le clinicien doit être capable de repondre à trois questions :

→ quel est le type de cancer affectant l’animal ? Le type de cancer est généralement obtenu par cytologie ou histopathologie. Certaines caractéristiques telles que le grade histologique, la localisation anatomique ou autres (exemple : sous-type, profil immunohistochimique, index mitotique) aident parfois à prevoir le comportement biologique du cancer ;

→ quelle est l’etendue de la maladie ? Elle est determinée apres un bilan d’extension. Cette étape permet notamment de définir si un traitement local, systémique ou une combinaison des deux devrait être recommandé ;

→ quel est le pronostic de l’animal ? La collection de facteurs pronostiques aide à définir le pronostic de l’animal, et permet ainsi de déterminer l’objectif du traitement (curatif ou palliatif) et de mettre en perspective l’agressivité des traitements disponibles.

Le vétérinaire dispose de données objectives obtenues de la définition de la situation clinique et de données subjectives (sentiments du propriétaire, considérations financières) qu’il doit prendre en compte afin de proposer les options de traitement les plus adaptées à l’animal. Differentes options therapeutiques devraient toujours être proposées au propriétaire. Le vétérinaire doit s’assurer que le proprietaire comprend la nature des traitements, les coûts, les effets secondaires et les possibles complications associes, les futurs suivis et le pronostic de l’animal (photos 1a et 1b).

Le vétérinaire doit bien connaître les options therapeutiques qu’il propose. S’il décide de réaliser une chirurgie ou de prescrire une chimiothérapie anticancéreuse, il doit être capable de gérer les complications ou les effets secondaires associés. Si ce n’est pas le cas, il est préférable de référer l’animal à un spécialiste en oncologie médicale et/ou en radiothérapie oncologique.

L’ANIMAL

la strategie therapeutique depend largement du type et de l’etendue du cancer affectant l’animal. d’autres facteurs qui dependent directement de l’animal sont aussi essentiels a prendre en consideration afin de developper une strategie therapeutique adaptee.

1. Adaptation selon la race

Certaines races de chiens sont prédisposées à une mutation du gène ABCB 1-1δ, et sont donc considérées à risque de développer une toxicité excessive à la suite de l’usage d’agents anticancéreux activement transportés par la pompe glycoprotéine P (encadré 1) [3]. Il est conseillé de déterminer le génotype ABCB 1-1δ (mutant versus sauvage) chez les chiens de race à risque avant de commencer une chimiothérapie avec l’un des agents concernés (tableau). Les agents substrats de la glycoprotéine P devraient être évités chez les individus mutants monozygotes, mais pourraient être commencés avec une réduction de dose de 40 %, pouvant être augmentée graduellement de 10 à 20 %. Ces recommandations sont empiriques et ne seraient pas obligatoirement nécessaires pour les individus hétérozygotes [5].

2. Adaptation en présence d’une insuffisance rénale ou hépatique

Certains agents anticancéreux (dérivés du platine en particulier) sont majoritairement éliminées par les reins, et la présence d’une insuffisance rénale augmente leur risque de toxicité. La mesure du débit de filtration glomérulaire (DGF) est la méthode la plus fiable pour évaluer la fonction rénale et peut être réalisée par un test de clairance. C’est la méthode la plus utilisée en médecine humaine pour déterminer la dose individuelle de carboplatine à administrer, et une formule a récemment été proposée pour le chat (dosemg = 2,75 x [(1,3 x DFGiohexol) + 1,4] x poidskg) [1]. En cas d’insuffisance rénale, l’utilisation d’agents à excrétion rénale majoritaire et/ou néphrotoxique doit être évitée.

Certains agents anticancéreux sont majoritairement métabolisés par le foie ou excrétés par voie biliaire, et la présence d’une insuffisance hépatique ou cholestase augmente leur risque de toxicité. Cependant, il est difficile de quantifier une insuffisance hépatique. Il n’existe pas de recommandation clairement définie en médecine humaine, mais l’utilisation d’anthracyclines, vinca-alcaloïde et cyclophosphamide doit être effectuée avec prudence [2]. Il convient d’éviter l’utilisation de lomustine chez les chiens présentant une maladie hépatique avancée, en raison du potentiel hépatotoxique de cette molécule.

D’autres facteurs peuvent aussi affecter la disponibilité des molécules : par exemple l’hypoalbuminémie, un épanchement, la cachexie, l’obésité, une baisse d’état général. Il convient d’en tenir compte bien qu’aucune recommandation claire n’ait été établie [2].

3. Adaptation selon les maladies intercurrentes

Les animaux examinés par le praticien pour le traitement d’un cancer sont souvent d’un âge avancé, et par consequent, présentent souvent d’autres maladies intercurrentes. Il est important de ne pas les négliger puisqu’elles peuvent aussi affecter la qualité de vie de l’animal (exemple : l’arthrose, une maladie rénale chronique). Certaines maladies peuvent directement affecter la stratégie thérapeutique, en particulier lorsqu’elles sont associées à un mauvais pronostic. Par exemple, la présence d’une maladie cardiaque avancée doit être considérée prudemment face à des anesthésies répétitives, nécessaires lors de radiotherapie à visée curative.

4. Adaptation selon le caractère de l’animal

Le caractère de l’animal doit être pris en compte dans la construction de la stratégie thérapeutique. De longs traitements sont plus eprouvants pour les animaux anxieux qu’ils soient réaliseés chez le vétérinaire ou en hospitalisation (exemple : long protocole de chimiothérapie ou de radiothérapie), et des solutions alternatives peuvent être recherchées. Par exemple, des protocoles de chimiothérapie plus courts que ceux initialement utilisés ont été récemment publiés pour les lymphomes canins et félins. Avec des animaux peu cooperatifs, des molecules à voie d’administration orale plutôt que par voie intraveineuse peuvent aussi être considerées (photo 2).

5. Adaptation selon les autres traitements

L’association de différents agents de chimiothéerapie s’effectue au sein de protocoles dont la tolérance a généralement été évaluée dans des études cliniques. Le praticien doit rester vigilant à l’association de molécules chez un même animal, afin de limiter les risques d’effets secondaires pouvant en découler. Ainsi, il est recommandé de ne pas associer deux molécules ayant des effets secondaires majeurs similaires, afin d’eviter des potentialisations de toxicité.

L’utilisation de molécules affectant les voies d’élimination des agents anticancéreux doit être proscrite, en particulier impliquant le cytochrome P450 (encadre 2).

Des molécules peuvent inhiber les enzymes CYP et certaines pompes d’efflux, pouvant augmenter la toxicité de divers agents anticancéreux. Au contraire, d’autres peuvent augmenter leur élimination. Par exemple, l’administration d’anticonvulsivants lors d’une chimiothérapie est associée à une survie plus courte chez les enfants atteints de leucémie lymphoblastique aiguë [2]. La supplémentation en S-adénosylméthionine, bien que minimisant l’augmentation des enzymes hepatiques chez les chiens traites avec de la lomustine, accroit les niveaux hepatiques du glutathione et pourrait donc affecter le metabolisme de certains agents anticancereux [4]. Il est aussi generalement recommande d’eviter l’utilisation non eclairee de medecines alternatives, puisque des interactions avec les agents de chimiotherapie ont ete suggerees [2].

LE PROPRIÉTAIRE

Le propriétaire de l’animal reste le pivot de la stratégie thérapeutique, rien n’étant possible sans son assentiment au traitement ou à la prise en charge des frais de soins. Les maîtres ont souvent déjà des considérations philosophiques personnelles concernant le traitement du cancer chez un animal, qu’il convient de prendre en compte.

Certains ont des contraintes pratiques importantes et ne sont pas disponibles pour emmener régulièrement leur animal à la clinique. La prescription de certains protocoles de chimiothérapie peut être plus difficile à réaliser, et l’hospitalisation pour la durée d’un long protocole de radiothérapie est alors à considérer.

Lors de l’utilisation de chimiothérapie anticancéereuse, certaines mesures hygiéniques sont recommandées, ainsi qu’une certaine prudence en particulier vis-à-vis des jeunes enfants, des femmes enceintes ou des personnes immunodéprimés. La recommandation de ces précautions peut aussi parfois affecter la décision des propriétaires(1).

La situation financière du propriétaire est un élément important de la stratégie thérapeutique. Il est essentiel de discuter du coût des differents traitements, mais aussi d’anticiper les coûts associés aux complications et aux effets secondaires possibles, sans oublier le suivi.

Certains propriétaires sont particulièrement émus, et la dédramatisation de la situation engendrée par le choc du diagnostic est essentielle. Un temps de réflexion de plusieurs jours entre l’obtention du diagnostic et le choix du traitement est souvent judicieux, et peux aider le propriétaire à mieux prendre en compte les bénéfices et les inconvenients de chaque option.

L’écoute reste le maître mot dans la bonne réussite d’un traitement. Le propriétaire doit être placé en acteur principal du suivi du traitement, les informations qu’il fournit sur la qualité de vie de l’animal étant primordiales. De plus, sa motivation, ses considérations personnelles ou sa situation financière peuvent évoluer au cours de la période, souvent longue, du traitement.

Conclusion

Le vétérinaire est l’acteur sur lequel repose la charge de construire la stratégie thérapeutique. Il doit proposer les options les plus adaptées à chaque animal et au propriétaire. La décision finale de la stratégie thérapeutique repose sur le propriétaire. Les traitements et/ou les suivis mis en place dans le cadre de la thérapie des cancers peuvent souvent être de longue durée, et il est important de maintenir une bonne relation entre les différents acteurs.

C’est elle qui conditionne la stratégie théerapeutique qu’il est possible de mettre en place(2).

  • (1) Voir l’article “Chimiothérapie anticancéreuse : aspects pratiques et légaux” de G. Chamel, dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article “Stratégie multimodale et évaluation du traitement en cancérologie” de Q. Fournier et coll., dans ce numéro.

Références

  • 1. Bailey DB, Rassnick KM, Prey JD and Dykes NL. Evaluation of serum iohexol clearance for use in predicting carboplatin clearance in cats. Am. J. Vet. Res. 2009;70(9):1135-1140.
  • 2. Gurney H. How to calculate the dose of chemotherapy. Br. J. Cancer. 2002;86(8):1297.
  • 3. Mealey KL, Fidel J. P glycoprotein mediated drug interactions in animals and humans with cancer. J. Vet. Intern. Med. 2015;29(1):1-6.
  • 4. Skorupski KA, Hammond GM, Irish AM et coll. Prospective randomized clinical trial assessing the efficacy of denamarin for prevention of CCNU-induced hepatopathy in tumor-bearing dogs. J. Vet. Intern. Med. 2011;25(4) 838.
  • 5. Vail DM. Supporting the veterinary cancer patient on chemotherapy: neutropenia and gastrointestinal toxicity. Top. Comp. Anim. Med. 2009;24(3):122-129.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Races de chiens les plus predisposees a une mutation du gene ABCD 1-1δ

→ Colley.

→ Berger australien.

→ Whippet à poil long.

→ Berger allemand.

→ Berger des Shetland.

→ Lévrier de soie.

→ Border collie.

D’après [3].

Points forts

→ Le vétérérinaire doit clairement définir la situation clinique avant de proposer une stratégie thérapeutique.

→ Différentes options thérapeutiques peuvent être envisagées pour le traitement d’un même cancer, en fonction de l’animal.

→ Toute stratégie thérapeutique repose sur les trois piliers que sont le vétérinaire, l’animal et le propriétaire.

ENCADRÉ 2
Molécules fréquemment utilisées affectant les voies d’élimination CYP3A4/MDR1

Molécules inhibant CYP3A4/MDR1 (diminue l’élimination d’autres molécules)

→ Antibiotiques macrolides (clindamycine, érythromycine, tylosine, etc.)

→ Agents antifongiques (kétoconazole, itraconazole, etc.)

→ Cimétidine

→ Diltiazem

→ Ciclosporine

→ Cisapride

Molécules induisant CYP3A4/MDR1 (augmente l’élimination d’autres molécules)

→ Dexaméthasone

→ Spironolactone

→ Phénobarbital

Agents anticancéreux éliminés par CYP3A4/MDR1

→ Anthracyclines

→ Vinca-alcaloïdes

→ Cyclophosphamide

D’après [2].

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