Conduite à tenir face aux effets secondaires lors d’une chimiothérapie anticancéreuse - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

CANCÉROLOGIE

Démarche thérapeutique et suivi

Auteur(s) : Jérôme Calvalido*, Gabriel Chamel**

Fonctions :
*Tufts VETS
525 South Street
01536 Walpole, MA, USA
**Service de cancérologie,
unité de médecine interne, université de Lyon,
VetAgro Sup campus vétérinaire,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-l’Étoile

Lors de chimiothérapie anticancéreuse des effets secondaires peuvent apparaître. Cependant, ils sont souvent de courte durée, légers à modérés, et des traitements adaptés existent.

La chimiothérapie est un traitement anticancéreux qui utilise des médicaments capables d’arrêter la croissance d’une tumeur, soit en tuant ses cellules, soit en arrêtant leur multiplication. En médecine vétérinaire, cette thérapie inclut la chimiothérapie cytotoxique conventionnelle à dose maximale tolérée, la chimiothérapie métronomique, mais aussi les inhibiteurs de récepteurs à tyrosine kinase comme le tocéranib phosphate et le masitinib mésylate. Il convient de souligner que les protocoles et dosages utilisés sont bien moins agressifs qu’en oncologie humaine, et fondés avant tout sur le maintien d’une bonne qualité de vie de l’animal.

ÉTAPE 1
CONNAÎTRE LA RÉALITÉ SUR LES EFFETS SECONDAIRES

La réalité concernant la chimiothérapie chez les carnivores domestiques est souvent bien différente de celle rencontrée en médecine humaine. L’objectif majeur est d’améliorer la qualité de vie de l’animal en trouvant un équilibre entre les meilleures options thérapeutiques et un minimum d’effets secondaires. Les propriétaires sont souvent surpris et heureux de constater à quel point leur animal tolère bien la chimiothérapie. Et près de 90 % d’entre eux ne regrettent pas d’avoir opté pour le traitement de leur animal [12]. Cela est dû à la faible incidence des effets secondaires, estimée autour de 15 à 20 %, se limitant majoritairement à des signes gastro-intestinaux ou à une myélosuppression [8].

De plus, ils sont généralement autolimitants et répondent bien à des traitements symptomatiques. Les protocoles de chimiothérapie utilisés par les oncologues vétérinaires spécialistes sont associés à des taux d’hospitalisation peu élevés (< 5 %) et à des taux de mortalité directement liés au traitement très faibles (< 1 %) [15, 18].

Cependant, les médicaments de chimiothérapie sont à manier avec une extrême précaution, car leur index thérapeutique est souvent beaucoup plus étroit que celui d’autres médicaments utilisés en pratique courante. Leur dose toxique, parfois même létale, peut en effet être très proche de la dose thérapeutique efficace désirée. L’obtention de faibles pourcentages d’effets secondaires aux traitements de chimiothérapie est possible grâce à la détermination de la dose maximale tolérée de chaque agent chimiothérapeutique lors d’études précliniques et au calcul de l’oncologue. Ce dernier réalise un calcul de la dose, au cas par cas, selon le métabolisme de l’animal (poids et état de santé, surface corporelle en m2 ou en kg, estimation des fonctions rénale et hépatique selon le métabolisme de l’agent chimiothérapeutique utilisé, sensibilité spécifique de l’animal, etc.).

ÉTAPE 2
DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

En 2004, une classification de ces effets secondaires a été publiée afin de standardiser leur définition et leur gradation. Elle sert de référence pour les études cliniques (détermination de la dose maximale tolérée d’un médicament ou d’un protocole) et la prise en charge des animaux. Elle a été mise à jour en 2011 et constitue un préalable indispensable à l’utilisation de la chimiothérapie (tableau 1) [21].

Dans cet article, les effets secondaires sont abordés d’un point de vue plus pratique et chronologique. Ils sont classés selon le temps qu’ils mettent à apparaître après le traitement et leur durée : immédiats (moins de 24 à 48 heures après le traitement), aigus (entre 2 et 14 jours après le traitement) et chroniques (plus de 14 jours après le traitement), et incluent souvent des syndromes bien spécifiques.

Effets secondaires immédiats

Agents irritants ou vesicants

Certains agents chimiothérapeutiques peuvent entraîner des effets secondaires dès les premières minutes de leur administration en provoquant des dommages tissulaires lors d’une injection périveineuse (extravasation) : il s’agit des agents dits irritants ou vésicants (tableau 2 complémentaire sur http://www.lepointveterinaire.fr) [13]. Un agent irritant cause une inflammation locale transitoire et relativement limitée, tandis qu’un agent vésicant crée des dommages sévères et/ou irréversibles. Il convient de contrôler régulièrement la bonne mise en place du cathéter et de surveiller l’apparition éventuelle des signes cliniques compatibles avec une extravasation : douleur, enflure et rougeur au site d’administration. Suivant la quantité et le type de produit injecté, ces lésions peuvent évoluer en brûlure sévère, en nécrose et en ulcération, plusieurs jours après l’injection (photo 1) [20].

Réactions d’hypersensibilité

Certains agents peuvent causer des réactions d’hypersensibilité pouvant aller jusqu’au choc anaphylactique dans les minutes à heures qui suivent l’administration. Pour la plupart, c’est l’un des excipients utilisés pour les rendre plus hydrophiles qui est à l’origine d’une libération massive d’histamine : Cremophor EL® pour le paclitaxel, le polysorbate 80 pour le docétaxel et l’étoposide intraveineux. La doxorubicine, quant à elle, est directement responsable d’une dégranulation mastocytaire aiguë si elle est administrée trop rapidement (réaction anaphylactoïde). Des signes cliniques tels qu’un oedème et des éruptions cutanées, une hyperthermie, une tachycardie ou une tachypnée, un bronchospasme, une hypotension, voire un choc anaphylactique peuvent survenir, et les animaux doivent être surveillés de près pendant et quelques heures après l’administration. Les organes de choc chez le chien sont le tractus gastro-intestinal et la peau. Chez le chat, ce sont les poumons.

La L-asparaginase est une enzyme d’origine bactérienne utilisée dans le traitement du lymphome chez le chien et le chat. Elle peut causer une hypersensibilité chez 6 à 40 % des chiens, liée à la production d’anticorps neutralisants [6]. Bien qu’une réaction allergique puisse apparaître dès la première administration, elle survient le plus souvent après plusieurs traitements, et alors de manière suraiguë (de quelques minutes à quelques heures après l’injection). La L-asparaginase peut également être à l’origine d’une hyperammoniémie secondaire à la dégradation de l’asparagine, pouvant entraîner très rarement des troubles neurologiques [7].

Effets cardiotoxiques

Les anthracyclines (doxorubicine, épirubicine) sont cardiotoxiques et peuvent provoquer, de manière aiguë, des arythmies cardiaques, tant supraventriculaires que ventriculaires. Un électrocardiogramme (ECG) ainsi qu’un examen échocardiographique, incluant principalement une mesure de la fraction de raccourcissement (indicateur de la fonction systolique), sont recommandés pour tout animal qui présente des anomalies à l’auscultation, une maladie cardiaque connue ou faisant partie d’une des races à risque de troubles arythmogéniques (par exemple, le boxer et le doberman), même si la sensibilité et la spécificité de ces tests restent discutables [14]. Le risque augmente avec la rapidité d’injection et la dose cumulative.

Autres reactions

Diverses autres réactions immédiates peuvent apparaître lors de chimiothérapie. Le cisplatine entraîne des nausées et des vomissements chez le chien par stimulation du centre du vomissement (CTZ). Chez le chat, il est contreindiqué en raison d’une toxicité pulmonaire fatale dans les 2 à 3 premiers jours. Le 5-fluorouracile peut causer une toxicité neurologique sévère survenant rapidement, surtout chez le chat, pour lequel il est également contre-indiqué.

Syndrome de lyse tumorale

Lors de leucémie aiguë ou de lymphome multicentrique avancé (stade IV ou V), l’instauration d’une chimiothérapie entraîne parfois un syndrome de lyse tumorale aiguë dans les 12 à 48 heures qui suivent le traitement : la libération massive de contenus intracellulaires tels que du phosphore, du potassium et des acides nucléiques peut provoquer des débalancements métaboliques majeurs capables de provoquer des arythmies, voire la mort de l’animal. Un diagnostic est établi si celui-ci développe au moins deux des anomalies suivantes : une hyperkaliémie, une hyperphosphatémie, une hypocalcémie ou une hyperuricémie. Cette dernière apparaît néanmoins beaucoup plus rarement chez le chien que chez l’homme, grâce à la présence de l’enzyme uricase qui oxyde l’acide urique en allantoïne soluble dans l’urine. Les dalmatiens et les bulldogs anglais ne possèdent pas cette enzyme, et sont plus à risque de présenter une hyperuricémie et la néphropathie associée. Une acidose métabolique et une azotémie sont aussi fréquentes en cas de lyse tumorale aiguë, les signes cliniques incluant une léthargie, des vomissements, une diarrhée, voire un état de choc [9]. Chez les animaux à risque, une fluidothérapie préventive pour maintenir une bonne hydratation, ainsi qu’une surveillance rapprochée durant la période d’hospitalisation post-chimiothérapie permettent de diminuer le risque d’apparition de ce syndrome.

Effets secondaires aigus

La chimiothérapie conventionnelle cytotoxique cible préférentiellement les cellules à prolifération rapide comme les cellules tumorales, mais aussi les précurseurs hématopoïétiques dans la moelle osseuse et les précurseurs cellulaires de la muqueuse gastro-intestinale, des follicules pileux et des gonades. L’apparition de signes cliniques liés à ces toxicités dépend de l’agent utilisé, de la dose, de la fréquence d’administration et de facteurs génétiques propres à chaque individu. Les effets secondaires aigus les plus fréquents sont gastro-intestinaux et hématologiques. L’anémie chimio-induite semble moins prévalente et moins significative chez les animaux de compagnie que chez l’homme. Une numération et une formule sanguines sont réalisées entre 7 et 10 jours après le traitement pour la plupart des chimiothérapies, période au cours de laquelle survient le nadir de neutropénie et de thrombocytopénie. La lomustine et le carboplatine constituent des exceptions notables, surtout chez le chat, avec une neutropénie pouvant se développer jusqu’à 4 semaines plus tard. D’autres toxicités aiguës sont spécifiques de certains agents de chimiothérapie et doivent être connues pour être anticipées : une néphrotoxicité (cisplatine, ifosfamide, streptozocine), une neurotoxicité (périphérique pour la vincristine, centrale pour le 5-fluorouracile), une cystite hémorragique stérile (ifosfamide, rarement cyclophosphamide, exceptionnellement carboplatine).

Pour les inhibiteurs de tyrosine kinase (tocéranib et masitinib), les effets secondaires les plus fréquents sont digestifs, comme une anorexie, des vomissements et de la diarrhée. Une neutropénie (souvent légère à modérée), une hépatotoxicité, une néphropathie par perte de protéines, des douleurs musculaires et des coagulopathies ont également été rapportées. Le tocéranib est à l’origine d’une hypertension artérielle dans 37 % des cas, tandis que le masitinib induit parfois une anémie hémolytique [19].

Toute chimiothérapie peut provoquer des réactions idiosyncrasiques aiguës (par exemple, pancréatite, insuffisance hépatique ou rénale aiguë, etc.). Une diminution de la fertilité, ainsi que des malformations congénitales sont probables après une chimiothérapie, mais restent largement méconnues en médecine vétérinaire. Par précaution, il est généralement recommandé d’exclure de la reproduction tout animal ayant reçu des traitements de chimiothérapie.

Effets secondaires chroniques

La plupart des effets secondaires aigus mentionnés précédemment peuvent aussi apparaître après plusieurs traitements : il s’agit alors de toxicités cumulatives.

Toxicite uro-nephrologique

La cystite hémorragique provoquée par le cyclophosphamide et l’ifosfamide est due à l’acroléine, un métabolite éliminé par voie urinaire. Elle se développe le plus souvent soit après plusieurs administrations à dose maximale tolérée (200 à 250 mg/m2), soit après plusieurs mois de thérapie métronomique [2, 5]. Il s’agit d’un diagnostic d’exclusion. Une analyse d’urine avec une culture bactérienne, ainsi qu’une imagerie abdominale (radiographies, échographie) sont recommandées pour exclure les autres causes (infection, calculs, etc.). Les néphrotoxicités de la doxorubicine chez le chat et du cisplatine chez le chien sont aussi majoritairement cumulatives.

Toxicite cardiaque

La doxorubicine est bien connue pour sa cardiotoxicité cumulative chez le chien, qui se traduit par le développement d’une cardiomyopathie dilatée irréversible [10]. Respecter une dose cumulative maximale de 240 mg/m2 permet de maintenir ce risque inférieur à 10 %, et, en pratique, la plupart des protocoles ne dépassent pas 180 mg/m2.

Alopecie

L’alopécie chimio-induite concerne principalement la doxorubicine, la vincristine, le cyclophosphamide, le paclitaxel et l’étoposide [4]. Dans le cas de la doxorubicine, environ 20 % des chiens traités développent une alopécie, avec une médiane de 35 jours post-traitement. Le risque augmente avec la dose cumulée, et concerne surtout les chiens à poils durs ou frisés (69 %, contre 14 % des chiens à poils droits) (photos 2a et 2b) [4].

Toxicite hepatique

La lomustine est responsable d’une toxicité hépatique, le plus souvent cumulative, qui peut aboutir à une insuffisance hépatique dans 3 à 6 % des cas [16]. Jusqu’à 86 % des chiens développent une augmentation des enzymes hépatiques durant le traitement. L’alanine aminotransférase (Alat) sert de marqueur pour cette toxicité et doit être mesurée avant chaque administration. La valeur empirique de 300 UI/L est souvent utilisée comme limite à ne pas dépasser avant de traiter.

Myelosuppression cumulative

Chez certains chiens qui reçoivent une chimiothérapie à long-terme, une myélosuppression cumulative (neutropénie, thrombocytopénie, anémie) peut apparaître. Cela concerne surtout les agents alkylants. Des examens hématologiques doivent être réalisés régulièrement pour anticiper ce phénomène et interrompre la chimiothérapie à temps, car les dommages sont souvent irréversibles (épuisement des cellules souches).

Identification de facteurs de risque

Mutations du gene ABCB1-1δ

De nombreux facteurs peuvent expliquer les différences de sensibilité interindividuelles aux chimiothérapies malgré l’utilisation de doses standardisées. Certaines races de chiens sont prédisposées à des mutations du gène ABCB1-1δ ä qui code pour la glycoprotéine P, une pompe transmembranaire servant à éliminer de nombreux médicaments, dont certaines chimiothérapies : doxorubicine, mitoxantrone, actinomycine D, vinca-alcaloïdes, taxanes, étoposide (tableau 3 complémentaire sur http://www.lepointveterinaire.fr) [11, 22]. Un gène muté peut entraîner l’apparition d’effets secondaires sévères. Un test génotypique réalisé sur du sang ou un frottis buccal est disponible auprès de différents laboratoires de génétique afin de déterminer le statut allélique de l’animal. En cas de mutation, qu’elle soit simple ou double, une diminution de 30 à 40 % de la dose de chimiothérapie est recommandée [22].

Role du poids et de lœfetat corporel

Une différence de sensibilité est également notée selon le poids : les petits chiens sont plus à risque d’effets secondaires que les grands chiens, ils reçoivent donc certaines chimiothérapies (comme la doxorubicine) à dose réduite. La vincristine et la doxorubicine sont les plus fréquemment impliquées dans le développement d’une neutropénie fébrile, et les animaux qui présentent un cancer hématologique semblent également prédisposés [17]. L’ajustement des doses de chimiothérapie en fonction de l’état corporel reste controversé et arbitraire, y compris en cancérologie humaine. En cas de surpoids marqué de l’animal, il est cependant raisonnable de débuter le traitement avec des doses conservatrices.

Presence d’affections concomitantes

La présence éventuelle d’une neutropénie ou d’une thrombocytopénie significatives (respectivement < 1 500 à 2 000 polynucléaires neutrophiles/ìl et < 80 000 à 100 000 thrombocytes/µl) doit être investiguée, et la cause de ces maladies traitée avant de commencer toute chimiothérapie, sauf si elles sont directement liées au cancer (par exemple, une myélophtisie secondaire à une leucémie, une neutropénie ou une thrombopénie à médiation immune paranéoplasique).

Certaines affections (insuffisances rénale, hépatique, etc.) et interactions avec d’autres thérapies (par exemple, la doxorubicine avec la cyclosporine ou la radiothérapie) peuvent altérer le profil pharmacologique et augmenter le risque d’effets secondaires. Un bilan de santé incluant au minimum un examen hématologique, une biochimie et une analyse d’urine, ainsi qu’une revue des traitements en cours sont obligatoires avant de débuter toute chimiothérapie.

ÉTAPE 3
DÉMARCHE THÉRAPEUTIQUE

Effets secondaires immédiats

Extravasation et reaction anaphylactique

Pour toute réaction immédiate, le premier réflexe est l’arrêt du traitement en cours. En cas d’extravasation, plusieurs solutions existent pour limiter les dommages tissulaires.

Lors d’une réaction anaphylactique, de la diphenhydramine (3 à 4 mg/kg par voie intramusculaire [IM]) et la dexaméthasone (0,5 à 1 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) sont administrées le plus rapidement possible, ainsi que toute autre molécule (par exemple, de l’épinéphrine à 0,01 mg/kg IV ou IM) selon la réponse de l’animal. Pour des agents à haut risque tels que les taxanes, la diphenhydramine et les corticostéroïdes sont utilisés en prémédication 15 à 20 minutes avant la chimiothérapie. De la prednisone par voie orale (1 à 2 mg/kg) peut même être administrée la veille. La diphenhydramine seule peut être utilisée en prémédication pour la doxorubicine et la L-asparaginase, et l’animal ayant reçu ces traitements de chimiothérapie doit rester sous observation durant l’heure qui suit leur administration.

Troubles digestifs et cardiaques

Les nausées et les vomissements associés à l’administration de cisplatine sont contrôlés par des antiémétiques, idéalement en prémédication, puis selon le besoin une perfusion continue sur 2 heures peut aussi être mise en oeuvre. Une perfusion lente (15 à 30 minutes) est également utilisée pour la doxorubicine afin de prévenir les arythmies et les réactions d’hypersensibilité.

Lyse tumorale

Le traitement d’une lyse tumorale aiguë requiert avant tout une hospitalisation, une fluidothérapie intraveineuse agressive visant à corriger rapidement les débalancements électrolytiques et une surveillance étroite des constantes vitales de l’animal. L’insuline peut être utilisée en cas d’hyperkaliémie et d’hyperphosphatémie sévères, et le gluconate de calcium lors d’hypocalcémie majeure. L’allopurinol, un inhibiteur de la xanthine oxydase qui prévient la formation d’acide urique, est indiqué chez les bulldogs et les dalmatiens pour prévenir une hyperuricémie.

Effets secondaires aigus

Signes digestifs

Les troubles gastro-intestinaux sont les plus fréquents, et incluent des nausées (perte d’appétit, hypersalivation, vomissements) ou des diarrhées. Ces signes surviennent généralement 2 à 5 jours après la chimiothérapie et les traitements utilisés dépendent de leur sévérité. Des stimulants d’appétit (mirtazapine à 3,75 à 30 mg/j chez le chien ; 3,75 mg tous les 3 jours chez le chat) associés à une nourriture appétente et à des probiotiques peuvent également être prescrits au besoin jusqu’à la résolution des signes cliniques.

Myelosuppression

La myélosuppression se traduit le plus souvent par une neutropénie et/ou une thrombocytopénie. Lors de neutropénie afébrile et asymptomatique de grade 3 ou 4 (< 1 000/µl), une antibiothérapie orale est mise en place au domicile. Elle doit être efficace contre les bactéries à Gram+ et à Gram-, en épargnant si possible les bactéries anaérobies, et l’amoxicilline/acide clavulanique et l’association triméthoprime-sulfamides sont tout indiquées [1]. Les fluoroquinolones sont à utiliser uniquement en seconde ligne, en cas d’identification d’un agent pathogène résistant aux traitements précédents (pour rappel, la réalisation d’un antibiogramme est obligatoire, selon le décret “antibiotique critique”). Une numération et une formule sanguines de contrôle doivent être effectuées 2 à 3 jours plus tard, et l’antibiothérapie est continuée tant que le comptage neutrophilique reste inférieur à 1 000/µl. En cas de neutropénie fébrile ou symptomatique, une hospitalisation est nécessaire pour commencer une antibiothérapie IV, une fluidothérapie et des soins de support. Une combinaison d’antibiotiques est alors administrée IV (par exemple, β-lactamine + fluoroquinolone). Lors de complications digestives (hématochézie, hématémèse, méléna), un antibiotique ciblant les agents pathogènes anaérobes (métronidazole) est ajouté pour prévenir une translocation bactérienne au niveau du tractus digestif. L’animal doit être renvoyé sur son lieu de vie dès que la fièvre est retombée et que son état s’améliore, afin de réduire les risques d’infections nosocomiales. Dans la plupart des cas, une hospitalisation de 24 à 48 heures est suffisante et le taux de mortalité est inférieur à 10 %. Lors de neutropénie sévère mettant la vie de l’animal en danger, le G-CSF (granulocyte-colony stimulating factor) recombinant humain peut être envisagé en dernier recours. Les facteurs de risque suivants sont associés à une hospitalisation prolongée : tachycardie à l’admission, présence de complications digestives et infectieuses, utilisation de G-CSF ou encore progression de la neutropénie après l’admission. L’hypotension et l’emploi de G-CSF sont aussi des facteurs pronostiques négatifs [1].

En cas de thrombocytopénie, les options de traitement restent limitées. Si l’animal est asymptomatique, il est recommandé de le garder au calme afin de prévenir tout risque de traumatisme le temps que la moelle osseuse “rebondisse”. Des traitements alternatifs à base de mélatonine et/ou d’herbes chinoises (Yunnan Baiyao) peuvent être considérés. Dans les rares cas d’animaux présentant des saignements actifs, une prise en charge plus intensive avec des transfusions sanguines et/ou des stimulants de la moelle doit être envisagée.

À la suite du développement d’effets secondaires aigus modérés à sévères, la dose de chimiothérapie doit être diminuée significativement, généralement de 10 à 25 % en fonction de leur sévérité.

Effets secondaires chroniques

Cystite hemorragique

L’apparition d’une cystite hémorragique peut être frustrante à gérer pour le clinicien en l’absence de traitement standardisé efficace. Le cyclophosphamide doit être arrêté de manière définitive et remplacé par le chlorambucil, si besoin. Des anti-inflammatoires, stéroïdiens ou non, sont généralement prescrits en première intention. L’utilisation d’antibiotiques, d’antidouleurs, d’oxybutynine ou encore d’une instillation endovésicale de diméthylsulfoxyde (DMSO) est également rapportée. La plupart du temps, les signes cliniques disparaissent progressivement en quelques semaines, mais, dans certains cas, ils se montrent réfractaires à toute thérapie, entraînant une décision d’euthanasie. L’emploi de furosémide oral à la dose de 0,5 à 2 mg/kg à chaque administration de cyclophosphamide à dose cytotoxique diminue le risque de cystite [3]. Son efficacité pour le protocole métronomique reste inconnue. Le mesna protège plus efficacement la muqueuse vésicale en neutralisant l’acroléine, mais il est beaucoup plus cher que le furosémide et est un médicament de réserve hospitalière.

Toxicite hepatique

La toxicité hépatique de la lomustine doit être anticipée en évaluant la quantité d’Alat avant chaque traitement et la chimiothérapie est généralement interrompue si elle dépasse 300 UI/l. La combinaison S-adénosylméthionine et sylibine (Zentonil® Advanced) est efficace pour diminuer l’incidence de cette toxicité et devrait faire partie intégrante de tout protocole incluant la lomustine [16].

Cardiomyopathie

Le développement d’une cardiomyopathie dilatée à la suite de l’administration de doxorubicine est irréversible. Cette maladie doit être traitée comme une cardiopathie primaire, mais son pronostic est généralement réservé [10]. En cas de cardiopathie préexistante significative, la mitoxantrone devrait être préférée à la doxorubicine. Une solution alternative est l’utilisation concomitante de dexrazoxane intraveineuse, un cardioprotecteur employé couramment en médecine humaine, mais qui reste un médicament de réserve hospitalière en France.

Conclusion

Lors de chimiothérapie anticancéreuse, environ trois quarts des animaux conservent une très bonne qualité de vie et seulement 5 % développent des effets secondaires nécessitant une hospitalisation, pour un taux de mortalité inférieur à 1 % [18]. Une bonne communication avec le propriétaire et un plan de traitement adapté en cas d’apparition d’effets secondaires permettent d’optimiser la prise en charge de l’animal et la relation de confiance instaurée avec ses maîtres.

Références

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