ANESTHÉSIE ET ANALGÉSIE PEROPÉRATOIRE DU LAPIN DE COMPAGNIE - Ma revue n° 020 du 01/01/2020 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 020 du 01/01/2020

THÉRAPEUTIQUE MÉDICAMENTEUSE

Particularités thérapeutiques

Auteur(s) : Gwenola Touzot-Jourde

Fonctions : Maître de conférences
Unité pathologie chirurgicale et anesthésiologie
Oniris, site de La Chantrerie
101, route de Gachet
44300 Nantes

Le lapin est prédisposé aux complications cardiorespiratoires pendant l’anesthésie en raison de ses particularités anatomiques et physiologiques et de la présence fréquente d’affections respiratoires subcliniques.

Le lapin est de plus en plus populaire comme animal de compagnie. La nature stressée de l’espèce force à utiliser fréquemment la sédation et l’anesthésie pour la réalisation d’actes diagnostiques, même non invasifs. La mortalité peranesthésique est élevée chez le lapin de compagnie en raison de ses particularités respiratoires et cardiovasculaires qui le prédisposent à une dépression de ces fonctions pendant l’anesthésie. La surveillance et l’apport d’une réanimation adaptée permettent de limiter ce risque. Pour une convalescence optimale, la prise en charge de la douleur et le suivi de la reprise du transit digestif sont importants.

RISQUE ANESTHÉSIQUE ET EXAMEN PRÉANESTHÉSIQUE

La mortalité liée à l’anesthésie chez le lapin a été estimée à 1,39 % dans les 48 heures suivant l’anesthésie, dans une première étude publiée en 2008, avec une dichotomie entre les lapins considérés comme en bonne santé (mortalité inférieure à 1 %) et ceux jugés en mauvaise santé (mortalité supérieure à 7 %) [3]. Une étude plus récente rapporte une mortalité de 4,8 % dans les 72 heures de la procédure (80 % d’interventions de convenance) et remet en question l’aspect prédictif de la détermination du risque ASA (selon l’American Society of Anesthesiologists) chez le lapin [7]. Les causes majoritaires de la mortalité dans les deux études sont les complications cardiorespiratoires, avec la présence d’une affection cardiovasculaire et/ou respiratoire préexistante, mais rarement objectivée lors de l’examen préanesthésique. Les affections respiratoires infectieuses et les maladies cardiovasculaires sont en effet difficiles à détecter lors de l’examen clinique [6]. Le recours à l’imagerie (radiographie et échographie) pour l’évaluation des appareils cardiovasculaire et respiratoire est indiqué [8]. L’opti misation de l’environnement et de la contention physique douce est incontournable afin de pouvoir réaliser ces examens complémentaires chez un animal vigile.

PARTICULARITÉS ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES DU LAPIN

En raison de sa capacité cardiaque et respiratoire réduite, le lapin de compagnie dispose d’une faible aptitude à compenser la dépression cardiorespiratoire imposée par l’anesthésie générale(1) [5, 6, 8, 10]. Comme pour les autres espèces, le décubitus et l’obésité semblent être des facteurs aggravants, en particulier pour la mécanique ventilatoire et la fonction cardiaque [7].

De plus, l’anatomie des voies respiratoires supérieures et la conformation de la tête imposent une respiration nasale obligatoire et un accès difficile au larynx pour l’intubation endotrachéale(2) [4]. La présence d’une rhinite et/ou d’une sinusite peut occasionner une obstruction des voies respiratoires supérieures susceptible de s’aggraver avec l’anesthésie en l’absence d’intubation.

Enfin, la physiologie digestive du lapin le prédispose au développement de complications gastro-intestinales postanesthésiques, caractérisées par une reprise lente du transit digestif et une anorexie. Dans une étude rétrospective, la morbidité atteint 38 % des lapins anesthésiés, dans 80 % des cas pour une intervention de convenance [7]. Une prise en charge inadéquate de la douleur est souvent citée comme un facteur de risque(3) [1, 7]. Un soutien à la reprise du transit est souvent conseillé(4) [7, 9]. La mise à jeun n’est pas indiquée chez le lapin. Toutefois, une alimentation privilégiant l’apport de fibres et réduite en composés fermentescibles, pauvres en hydrates de carbone, promeut la motilité et limite la distension gazeuse.

TRANQUILLISATION, SÉDATION ET ANESTHÉSIE INJECTABLE CHEZ LE LAPIN

1. Choix du type d’immobilisation

Étant donné la nécessité de minimiser le stress du lapin en milieu hospitalier, le choix du protocole d’immobilisation (partielle ou complète) est à adapter à l’animal et à son état de santé, à la situation et aux objectifs identifiés. Une tranquillisation ou une sédation est souvent suffisante pour réaliser des examens complémentaires non invasifs (radiographie, échographie). En revanche, l’examen buccal requiert le plus souvent une anesthésie légère accompagnée d’une bonne analgésie lorsque des lésions dentaires sont suspectées. L’immobilisation via une mise en boîte d’induction directe avec l’administration d’isoflurane ou de sévoflurane est à éviter le plus souvent possible (encadré). Le sévoflurane, dont l’odeur semble moins désagréable et qui est considéré comme moins irritant pour les voies respiratoires, est à préférer lors d’induction au masque ou en boîte. Toutefois, si une bonne prémédication injectable a été administrée en amont de l’induction volatile, les lapins paraissent moins incommodés par l’isoflurane.

L’immobilisation (tranquillisation, sédation ou anesthésie) du lapin par voie injectable est simple à réaliser. La voie intramusculaire (IM) est à éviter dans la mesure du possible et à réserver lorsque les produits sont bien tolérés localement et que le volume injecté reste faible (0,25 ml/kg par point d’injection). Le muscle (lombaire, quadriceps ou triceps) est choisi selon le volume à injecter. La voie sous-cutanée (SC) est largement utilisée chez le lapin d’expérimentation, avec des effets similaires en termes de temps de mise en place et d’intensité, mais une durée d’action qui peut être légèrement prolongée [5]. L’utilisation de cette voie est à encourager dans l’optique d’améliorer le bien-être animal lors de soins médicaux.

2. Choix des molécules

Lorsqu’une tranquillisation ou une sédation est souhaitée avec une analgésie légère à moyenne, les molécules sont choisies suivant l’intensité de la diminution de la vigilance recherchée et l’état de santé du lapin (tableau 1). Les effets de tous les protocoles sont plus marqués lorsque le lapin est abattu et faible. Le midazolam (médicament à usage humain à commander directement auprès du laboratoire pharmaceutique producteur) est une benzodiazépine rapidement et presque totalement absorbée par voies intramusculaire et sous-cutanée, non irritante par rapport au diazépam. L’association alpha2-agoniste/butorphanol procure une meilleure analgésie que celle de midazolam/ butorphanol, mais présente davantage de risques, notamment cardiovasculaires. L’acépromazine, chez le lapin, est indiqué lorsqu’un effet anxiolytique prolongé est recherché, tout en prenant en compte les risques d’hypothermie et d’hypotension. La buprénorphine et la morphine n’ont pas l’effet potentialisateur de la tranquillisation ou de la sédation observé avec le butorphanol (effet sédatif moindre et installation décalée par rapport au délai d’action des alpha2-agonistes et des benzodiazépines). Pour garantir une bonne immobilisation, il est souhaitable d’y associer la kétamine. La méthadone est encore peu utilisée chez le lapin de compagnie, mais elle induit à la même dose une analgésie plus intense et plus rapide que la morphine chez le lapin d’expérimentation [11]. De plus, elle paraît être plus sédative, ce qui présente un avantage lorsqu’une sédation et une analgésie intenses d’installation rapide sont recherchées (association médétomidine/méthadone).

L’alfaxalone (à la dose de 1 à 2 mg/kg IM) commence à être utilisée seule, mais de préférence en association pour la sédation/anesthésie légère du lapin, en remplacement de la kétamine. Son défaut majeur est le volume conséquent qui doit être injecté par voie intramusculaire, parfois en plusieurs points [2].

Les effets respiratoires des protocoles de tranquillisation, de sédation et d’anesthésie ont été peu investigués chez le lapin de compagnie. Les données issues de l’évaluation de protocoles équivalents chez le lapin d’expérimentation montrent que, même avec une simple tranquillisation, un défaut d’oxygénation allant jusqu’à l’hypoxémie sévère est courant. Il est d’autant plus marqué que la sédation et l’anesthésie sont profondes et prolongées, que ce soit avec les protocoles à base de kétamine ou d’alfaxalone. Il est ainsi conseillé d’apporter systématiquement une supplémentation en oxygène (O2), au minimum par l’intermédiaire d’un masque facial (débit de 1 à 5 l/min selon le gabarit du lapin et le volume du masque) [5].

APPROFONDISSEMENT, PROLONGATION ET ENTRETIEN DE L’ANESTHÉSIE

Si l’anesthésie doit être approfondie ou entretenue, un cathéter intraveineux est mis en place et un agent anesthésique est dosé par voie intraveineuse jusqu’à l’obtention du plan adéquat pour l’intubation. Ensuite, une anesthésie volatile est réalisée ou l’anesthésie par voie intraveineuse est maintenue, si celle-ci est de courte durée (tableau 2). Si l’accès veineux est difficile, un masque facial bien adapté est appliqué pour administrer un anesthésique volatil et permettre la mise en place du cathéter intraveineux dans de meilleures conditions. L’intubation peut ensuite être tentée directement ou après le redosage par voie intraveineuse d’un anesthésique injectable, si l’effet de l’anesthésie volatile est trop court.

La concentration alvéolaire minimale en isoflurane et sévoflurane est plus élevée chez le lapin que chez le chien et le chat, respectivement 2,05 % et 3,7 % [5]. La prémédication par voie injectable, avant l’administration de l’isoflurane ou du sévoflurane, diminue le besoin en anesthésique volatil de 30 à 70 % selon la valence analgésique et anesthésique du protocole injectable. La réduction est maximale avec les protocoles à base d’α2-agonistes et d’un morphinique fort, et minimale avec les protocoles incluant du midazolam et un morphinique faible. Avec un circuit respiratoire non réinhalatoire, le pourcentage d’anesthésique volatil administré correspond exactement à celui sélectionné sur l’évaporateur, et la variation du pourcentage sur l’évaporateur se répercute directement sur le mélange gazeux inhalé, ce qui le rend facilement modulable selon les signes cliniques de profondeur obtenus.

Les techniques d’anesthésie locorégionale sont utilisables chez le lapin. Les blocs du plexus brachial et fémoro-sciatique par électroguidage sont, le plus souvent, réalisés avec l’association de lidocaïne (1 à 2 mg/kg) et de bupivacaïne (0,5 à 1 mg/kg) pour une mise en place rapide et un effet prolongé (plusieurs heures) [4].

RÉANIMATION CARDIOVASCULAIRE ET RESPIRATOIRE PENDANT L’ANESTHÉSIE

1. Fluidothérapie

Suivant l’état de santé et de stress, un cathéter intraveineux (22, 24 ou 26 G) est mis en place chez le lapin à la veine marginale de l’oreille, la veine céphalique (photo 1) ou la veine saphène latérale, avec ou sans sédation et souvent après une immobilisation à l’aide d’une anesthésie légère. La fluidothérapie, pendant l’anesthésie, suit les mêmes principes que pour les autres petits animaux de compagnie. Un soluté cristalloïde isotonique balancé, comme le Ringer lactate, est utilisé en première intention avec un débit d’entretien pendant l’anesthésie de 5 à 10 ml/kg/h. Le débit de perfusion et le volume résultant total perfusé pendant l’anesthésie sont à adapter à chaque cas individuel, les objectifs étant la compensation de l’absence d’apport par l’alimentation et des pertes pendant l’anesthésie, ainsi que la promotion de la perfusion hépatique et rénale pour favoriser l’élimination des molécules et une convalescence optimale. Si des débits de 8 à 10 ml/kg /h sont adaptés lors de chirurgie entraînant des pertes sanguines ou d’eau par évaporation (cavité abdominale ouverte, large plage de tissus sous-cutanés exposés à l’air), ils peuvent entraîner une hémodilution et une baisse de la pression oncotique en cas d’administration prolongée dépassant la couverture des besoins de l’animal. Ainsi, suivant l’estimation qui est faite des pertes pendant l’anesthésie, il est courant de commencer dès le début de l’anesthésie avec des débits plus bas ou de diminuer le débit d’administration après la première heure aux alentours de 5 ml/kg/h. En revanche, si les pertes de sang sont importantes, le débit de perfusion est temporairement augmenté (20 à 30 ml/kg/h) jusqu’à l’achèvement de l’objectif de remplacement et/ ou selon l’évaluation des effets hémodynamiques, le volume à perfuser pour compenser l’hypovolémie avec un soluté isotonique cristalloïde de type Ringer lactate correspondant à trois fois le volume de sang perdu, du fait de sa redistribution dans l’interstitium. Un suivi peranesthésique de l’hématocrite et des protéines totales, voire des albumines, permet d’ajuster la fluidothérapie pour éviter trop d’hémodilution (hématocrite 20 à 25 %, protéines totales 45 à 50 g/l, albumine 20 à 25 g/l). De même, s’il n’est pas possible de réhydrater complètement le lapin avant l’anesthésie, l’induction est pratiquée après une stabilisation hémodynamique et le débit est ajusté à la hausse, en suivant les constantes hémodynamiques. Finalement, le soluté de Ringer lactate peut être complété en ajoutant du glucose à 1,25 ou 2,5 % selon les besoins pour soutenir la glycémie (0,25 à 0,5 ml de G50 porté à 10 ml avec le Ringer lactate). S’il n’est pas possible de réhydrater complètement le lapin avant l’anesthésie, l’induction est pratiquée après une stabilisation hémodynamique et le débit de perfusion est temporairement augmenté (20 à 30 ml/kg /h) jusqu’à l’achèvement de l’objectif de remplacement et/ou selon l’évaluation des effets hémodynamiques.

2. Soutien respiratoire

Le soutien respiratoire pendant l’anesthésie injectable ou volatile commence par l’administration d’O2. Dès que le lapin présente des signes de sédation et devient calme, voire immobile, l’application d’un masque facial adapté, délivrant 1 à 3 l/min d’O2 selon la taille du masque et celle du lapin, est indiqué (photo 2). La préoxygénation dans une cage à induction permet une administration précoce d’O2. Cette dernière est également indiquée pendant un minimum de cinq minutes avant l’intu bation pour limiter les risques d’hypo xémie pendant la manipulation.

La pratique de l’intubation endotrachéale(2) permet de sécuriser les voies respiratoires supérieures et de ventiler manuellement ou mécaniquement en cas d’apnée. Toutefois, la difficulté de réalisation, en particulier chez les lapins nains (petite taille et brachycéphalie), rend la technique à risque de traumatismes et de complications (saignement, hématome ou œdème du larynx, laryngospasme) à l’origine d’une potentielle dyspnée inspiratoire par obstruction. L’utilisation d’un dispositif supraglottique Vgel®(2) constitue une solution alternative à l’intubation oro-trachéale, de réalisation pratique plus abordable. Suivant le positionnement, la langue peut être comprimée par le masque et devenir cyanotique (photo 3). Un ajustement du placement, avec le maintien de la bouche légèrement ouverte, permet de réduire ce risque.

La sonde endotrachéale ou le dispositif supraglottique est branché sur un circuit respiratoire non réinhalatoire, comme le circuit de Bain ou le circuit avec pièce en T Ayres, avec un débit d’O2 respectivement de 200 et 400 ml/kg/min. Dans l’idéal, un capnographe, de préférence “microstream” (mesure aspirative déportée avec un débit d’aspiration faible), est utilisé pour suivre l’efficacité de la ventilation, évaluer l’absence de CO2 réinhalé et ajuster le débit d’O2 au besoin. Le Vgel® incorpore un port d’échantillonnage sur lequel le tuyau du capnographe est branché. Les sondes PVC peuvent être agrémentées d’un embout muni d’un port latéral d’échantillonnage pour éviter d’augmenter l’espace mort du circuit, en ajoutant un connecteur supplémentaire.

La ventilation manuelle ou mécanique est réalisée avec précaution. Il convient soit de regarder l’expansion thoracique et le déplacement des viscères abdominaux pendant l’inspiration (recherche d’une inspiration d’amplitude “normale” plutôt qu’un gros soupir), soit de suivre les pressions mesurées dans le circuit (pression inspiratoire maximale entre 8 et 15 cmH2O pour une fréquence de 10 à 15 mouvements par minute).

MONITORAGE PENDANT L’ANESTHÉSIE

La profondeur de l’anesthésie est évaluée par le réflexe palpébral, la relaxation musculaire (plus facilement évaluable au niveau des membres et du cou que de la mâchoire) et la réponse à la stimulation chirurgicale (augmentation des fréquences respiratoire et cardiaque, de la pression artérielle, mouvements).

La capnographie et l’oxymétrie de pouls (oreille rose, babine, doigt avec la peau rose) permettent d’estimer la dépression respiratoire et de confirmer l’efficacité de la supplémentation en O2. La pression artérielle peut être mesurée à l’aide d’un brassard placé autour du radius (largeur correspondant à 30 ou 40 % de la circonférence du membre). Une valeur de pression artérielle inférieure à 80 mmHg, mesurée à l’aide d’un assemblage Doppler-brassard, est bien corrélée à une hypotension mise en évidence par une méthode invasive (pression artérielle moyenne inférieure à 60 mmHg par une mesure invasive). En revanche, une hypotension peut être détectée en appliquant une petite marge de sécurité à la valeur de pression artérielle moyenne (PAM < 65 mmHg) mesurée par l’oscillométrie (PetMAP®, par exemple) [4]. Lorsqu’un moniteur multiparamétrique est disponible, une sonde rectale permet de suivre en continu la température corporelle (éviter la sonde œsophagienne si le lapin n’est pas intubé pour ne pas gêner les voies respiratoires) et l’électrocardiogramme est réalisé avec des patchs collants, moins traumatiques que les pinces crocodiles. Si le moniteur est muni d’un analyseur complet de gaz, il est possible de suivre les concentrations inhalées et expirées en oxygène, en CO2 et en anesthésique volatil. Cela permet d’ajuster le débit d’oxygène pour prévenir la réinhalation de CO2 et d’affiner la profondeur de l’anesthésie, en corrélant les signes de profondeur et la concentration exhalée.

RÉVEIL ET CONVALESCENCE

Le réveil de l’anesthésie chez le lapin est une étape cruciale, car les moyens de surveillance et de soutien sont enlevés alors que le retour du métabolisme normal et du stress occasionne un besoin en O2 soudainement accru [5]. Dans 60 % des cas, la mortalité peranesthésique survient pendant les douze premières heures qui suivent l’arrêt de l’anesthésie [7]. Pour limiter ce risque, il est ainsi important de porter attention aux aspects suivants :

– maintenir les moyens de réchauffement jusqu’au retour de la température normale, l’hypothermie étant à l’origine d’un réveil lent et d’une faiblesse (impact sur l’efficacité des muscles de la ventilation et sur la vigilance et l’activité des centres de la respiration) ;

– maintenir une supplémentation en O2 tant que les mouvements respiratoires n’ont pas repris une amplitude et une fréquence normales ;

– positionner le lapin avec les voies respiratoires supérieures alignées pour éviter leur obstruction et la survenue d’une dyspnée au réveil, et s’assurer qu’il garde la position ;

– antagoniser la médétomidine avec l’atipamézole, tout en s’assurant qu’une couverture analgésique suffisante est présente, car la douleur est source de stress et donc d’une sursollicitation métabolique et cardiorespiratoire ;

– évaluer et traiter la douleur (méloxicam à la dose de 0,5 à 1,5 mg/kg par jour jusqu’à 1 mg/kg/12 heures, redoser la buprénorphine, tramadol à raison de 10 mg/kg per os toutes les 12 à 24 heures) [1] ;

– maintenir le cathéter intraveineux en place pour continuer la réanimation fluidique si nécessaire ;

– vérifier la glycémie, en particulier chez les animaux en état critique ;

– dès que le lapin est vigile, du foin appétent doit lui être proposé. S’il ne mange pas au cours des deux heures qui suivent, un gavage précautionneux et progressif est réalisé avec une seringue, positionnée au niveau du diastème en arrière des incisives (aliment de soin intensif spécifique contenant un pourcentage élevé de fibres non digestibles, et peu de matières grasses et de glucides). Le remplissage de l’estomac déclenche le réflexe gastro-colique qui permet le retour de la motilité du côlon ;

– surveiller l’appétit et la défécation durant 72 heures ;

– hospitaliser le lapin dans un lieu minimisant le stress (pas de chien ni de chat, ni d’odeur de chien et de chat, litière familière) ;

– réaliser un suivi de la douleur(3). Le lapin ayant tendance à rester figé tant qu’une personne inconnue est présente, une observation à distance ou par vidéo est plus informative [1].

  • (1) Voir l’article « Particularités physiologiques du lapin » dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article « Intubation trachéale versus supraglottique : leurs utilisations » dans ce numéro.

  • (3) Voir l’article « Prise en charge de la douleur chez le lapin de compagnie » dans ce numéro.

  • (4) Voir l’article « Stase ou occlusion digestive haute : diagnostic différentiel et traitement » dans ce numéro.

Références

  • 1. Barter LS. Rabbit analgesia. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim. Pract. 2011;14 (1):93-104.
  • 2. Bradley MP, Doerning CM, Nowland MH et coll. Intramuscular administration of alfaxalone alone and in combination for sedation and anesthesia of rabbits (Oryctolagus cuniculus). J. Am. Assoc. Lab. Anim. Sci. 2019;58 (2):216-222.
  • 3. Brodbelt DC, Blissitt KJ, Hammond RA et coll. The risk of death: the confidential enquiry into perioperative small animal fatalities. Vet. Anaesth. Analg. 2008;35 (5):365-373.
  • 4. Comolli J, d’Ovidio D, Adami C et coll. Technological advances in exotic pet anesthesia and analgesia. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim. Pract. 2019;22 (3):419-439.
  • 5. Flecknell PA, Thomas AA. Comparative anesthesia and analgesia of laboratory animals. in lumb 1 jones veterinary anesthesia and analgesia. 5th edition. Ames Iowa, Blackwell Wiley. 2015:766-783.
  • 6. Johnson-Delaney CA, Orosz SE. Rabbit respiratory system: clinical anatomy, physiology and disease. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim. Pract. 2011;14 (2):257-266, vi.
  • 7. Lee HW, Machin H, Adami C. Peri.anaesthetic mortality and nonfatal gastrointestinal complications in pet rabbits: a retrospective study on 210 cases. Vet. Anaesth. Analg. 2018;45 (4):520-528.
  • 8. Lennox AM. Care of the geriatric rabbit. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim. Pract. 2010;13 (1):123-133.
  • 9. Lichtenberger M, Lennox A. Updates and advanced therapies for gastrointestinal stasis in rabbits. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim. Pract. 2010;13 (3):525-541.
  • 10. Pariaut R. Cardiovascular physiology and diseases of the rabbit. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim. Pract. 2009;12 (1):135-44, vii.
  • 11. Nino V. Les effets des analgésiques opioïdes chez les lapins : comparaison morphine-méthadone. Thèse méd. vét. Oniris, Nantes. 2013:116p.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : INCONVÉNIENTS DE L’UTILISATION DE LA BOÎTE D’INDUCTION DIRECTE

• Le passage par les stades I et II (excitation consciente puis inconsciente) de l’anesthésie volatile est source d’un grand stress qui sollicite fortement les systèmes cardiovasculaire et respiratoire [5].

• L’administration de l’agent volatil ne s’effectue pas de manière contrôlée et induit ainsi un risque de surdosage.

• Une fois sorti de la boîte, l’animal se réveille rapidement si l’administration de l’anesthésique n’est pas poursuivie au masque (facial ou laryngé). L’anesthésie est en général de trop courte durée pour avoir le temps de réaliser une intubation endotrachéale.

• Les agents anesthésiques volatils n’apportent aucune analgésie, uniquement une inconscience et une immobilisation dose dépendantes.

• Il s’agit d’une technique très polluante pour l’environnement de travail (mal de tête, nausée, fatigabilité, baisse de la fécondité) et pour la planète (gaz à effet de serre).

Points clés

• Le lapin a peu de réserves cardiovasculaire et respiratoire, ce qui le prédispose à développer des complications cardiorespiratoires pendant l’anesthésie.

• L’anesthésie par voie sous-cutanée plutôt qu’intramusculaire est moins traumatisante pour le lapin et est tout aussi efficace.

• L’apport d’oxygène en grande concentration est le premier geste de soutien à réaliser pendant l’anesthésie, mais aussi pendant la sédation.

• La phase de réveil est un moment critique pendant lequel il faut continuer à surveiller l’animal et à apporter un soutien aux fonctions vitales, car 60 % des mortalités surviennent dans les douze premières heures qui suivent l’anesthésie.

CONCLUSION

La sédation et l’anesthésie du lapin de compagnie constituent une pratique à risque. La fluidothérapie, l’administration d’oxygène et le contrôle de la température sont d’une importance cruciale et permettent, en association avec une surveillance minutieuse de l’anesthésie, une optimisation du fonctionnement des appareils cardiovasculaires et respiratoires pendant l’anesthésie. La sécurisation des voies respiratoires supérieures est réalisable selon plusieurs options qui permettent de s’adapter à la difficulté de visualisation du larynx chez le lapin et à la fragilité de ces structures, tout en apportant des solutions pratiques, efficaces et peu coûteuses en temps pour le vétérinaire. La période postanesthésique immédiate et prolongée est à bien considérer et prendre en charge, car la prolongation de la dépression cardiorespiratoire, l’hypothermie, la douleur et un défaut de reprise du transit digestif sont à l’origine d’une morbidité et d’une mortalité conséquentes.

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