Analyse critique du diagnostic biologique d’un hypercortisolisme - Ma revue n° 018 du 01/01/2018 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 018 du 01/01/2018

HYPERCORTISOLISME CHEZ LES CARNIVORES DOMESTIQUES

Moderniser l’endocrinologie clinique

Auteur(s) : Laetitia Jaillardon

Fonctions : École nationale vétérinaire agroalimentaire et de l’alimentation Nantes Atlantique-Oniris
LDHVet-LabOniris
CS 50707
44307 Nantes Cedex 3

Plusieurs tests sont disponibles lors de suspicion d’hypercortisolisme, mais aucun n’est parfait. Connaître leurs failles est important afin de les utiliser et de les interpréter au mieux.

Le diagnostic biologique d’hypercortisolisme peut être réalisé par des tests statiques ou dynamiques. L’origine de l’hypersécrétion de cortisol est cependant difficile à établir biologiquement et doit tenir compte de l’ensemble des éléments anamnestiques, cliniques, biologiques et d’imagerie médicale (photo 1).

PRINCIPAUX TESTS STATIQUES

L’interprétation des valeurs basales des sécrétions surrénaliennes et de leurs molécules régulatrices est difficile en raison de la sécrétion pulsatile des hormones selon un rythme court (quelques dizaines de minutes) et des nombreux cycles physiologiques dont elles dépendent (nycthéméral, journalier, saisonnier) (figure). Cela implique des fluctuations importantes, chez l’animal aussi bien sain que malade, le stress jouant un rôle prépondérant(1).

1. Rapport cortisol/créatinine urinaires

Le rapport cortisol (mmol/l)/créatinine urinaires (mmol/l) (RCCU) est fondé sur l’évaluation de la filtration glomérulaire par la créatininurie. Cependant, chez un animal malade, la production musculaire et la clairance de la créatinine peuvent être très perturbées et ne pas refléter la filtration glomérulaire. Par exemple, lors de polyuro-polydipsie, signe d’appel non spécifique d’un hypercorticisme, une très forte dilution de la créatinine urinaire peut être observée. Mathématiquement, cela provoque une augmentation du RCCU [4]. De plus, comme le cortisol est transporté par la cortisol-binding globulin (CBG), il est anormalement excrété lors de protéinurie (même faible), ce qui augmente le RCCU.

En pratique, cela signifie que toute atteinte rénale ou toute modification de la protéinémie (maladie hépatique ou inflammatoire) peut entraîner une augmentation du RCCU sans hyperproduction de cortisol. Il risque alors d’être faussement positif (autrement dit peu spécifique) chez tout animal malade, avec ou sans hypercortisolisme, à moins de prendre une valeur diagnostique élevée (> 35 × 10-6, par exemple) [13].

La cortisolémie étant fluctuante, le RCCU l’est aussi : il est préférable de calculer le RCCU moyen sur deux prises d’urine : la première par le propriétaire au domicile pour limiter autant que possible l’effet “stress”, et la seconde au cabinet vétérinaire [10].

2. Mesure de l’ACTH

Chez le chien et le chat, la mesure de l’ACTH sanguine peut différencier une tumeur surrénalienne (ACTH faible) d’une tumeur hypophysaire (ACTH élevée) lors d’hypercortisolisme [12]. Cependant, une tumeur surrénalienne peut aussi se développer à la suite d’une atteinte hypophysaire, compliquant l’interprétation. De plus, ce dosage implique de strictes conditions préanalytiques en raison de l’instabilité de l’ACTH : acheminement du plasma (EDTA +/- aprotinine, selon la technique de dosage et les conditions d’acheminement, à vérifier auprès du laboratoire avant envoi) dans les 24 heures suivant le prélèvement. Cependant, comme la sécrétion d’ACTH est stimulée par tout stress, l’imagerie médicale est souvent plus performante pour la mise en évidence de tumeurs surrénaliennes (échographie abdominale) ou hypophysaires (scanner, imagerie par résonance magnétique).

PRINCIPAUX TESTS DYNAMIQUES

Un test dynamique consiste à stimuler ou à inhiber une glande pour obtenir la sécrétion hormonale maximale (test de stimulation à l’ACTH) ou minimale (test de freinage à la dexaméthasone [DXM]), en ayant recours à un analogue hormonal capable de moduler l’activité endocrine (encadré 1 et photo 2). Lors de ces tests, une très forte dose de substance est injectée (environ 1 000 fois supérieure aux sécrétions endogènes). L’action est donc grossière sur un seul facteur et masque provisoirement les interactions physiologiques. Ces tests sont actuellement peu réalisés en médecine humaine, d’une part car l’imagerie est beaucoup plus développée et d’autre part car l’éthique l’interdit puisque l’administration d’analogues hormonaux n’est pas sans risque, même s’il est minime.

1. Stimulation à l’ACTH

La stimulation à l’ACTH révèle les hypercortisolémies, quelles que soient leurs causes [6, 8, 10]. Ce test peut aussi être utilisé dans le cas de suspicion d’hyperaldo­stéronisme, même s’il ne fait pas consensus (encadré 2). En revanche, le test de stimulation à l’ACTH peut se révéler négatif, alors qu’une masse surrénalienne est présente :

- dans de rares cas de tumeur surrénalienne non sécrétante ou à sécrétion autonome (dans ce cas, la valeur basale est souvent élevée) ;

- lors de la production d’un autre stéroïde (cortisone ou 17OH progestérone) par la tumeur [7, 9, 11].

2. Freinage à la dexaméthasone

Un test contestable

Le test de freinage à la DXM à dose faible (0,01 mg/kg) apparaît dans les publications vétérinaires comme le test diagnostique de choix de l’hypercorticisme, alors que ses performances semblent moins bonnes que le test de stimulation à l’ACTH [1, 11, 14]. Le tétracosactide d’ACTH (Synacthène®(1), par exemple) injectable est très coûteux aux États-Unis (environ 80 €/ml contre 8 €/ml en France) : les Nord-Américains (dont les publications sont les plus fréquentes en proportion, et à l’origine du dernier consensus sur le diagnostic de l’hypercorticisme) n’ont pas d’autre choix que de pratiquer le freinage faible comme test sanguin pour diagnostiquer un hypercorticisme [1]. Cependant, les connaissances actuelles montrent que son intérêt diagnostique n’est pas sans faille. En effet, après injection de DXM, la baisse de l’ACTHémie accompagne la diminution du cortisol dans seulement deux tiers des cas [3]. Ainsi, une baisse de la cortisolémie sanguine peut être indépendante de l’ACTH, mais surtout de la cause de l’hypercorticisme (hypophysaire, surrénalien ou fonctionnel) [3]. Il est notamment possible que la baisse du cortisol résulte davantage de l’augmentation de la perfusion rénale plutôt que de l’effet frénateur sur l’hypophyse [3].

Risque de faux positifs

Le test de freinage est fondé sur le fait qu’en situation physiologique, l’injection d’une forte dose (comparée aux sécrétions endogènes de cortisol) de DXM est capable de freiner durablement (plus de 8 heures) la sécrétion de cortisol par rétrocontrôle négatif hypophysaire de la sécrétion d’ACTH. Or les sécrétions corticosurrénaliennes peuvent être en partie indépendantes de l’ACTH (facteurs inflammatoires et/ou emballement lors de stress chronique). Une absence de freinage peut donc être rencontrée lors d’hypercorticisme fonctionnel : la diminution de la sécrétion d’ACTH n’entraîne pas de diminution prolongée de la synthèse corticosurrénalienne, car d’autres stimuli ont pris le relais (dont l’ADH, divers neuropeptides et neurotransmetteurs, cytokines ou adipokines). De plus, tout stress émotionnel durant le test (effet “blouse blanche”, notamment) peut donner lieu à un rebond de la sécrétion de cortisol.

Risque de faux négatifs

À l’inverse, il peut exister des faux négatifs lors du test de freinage [2]. L’injection de DXM présente non seulement un effet sur la sécrétion d’ACTH, mais elle favorise également la métabolisation (hépatique et rénale) et l’élimination rénale du cortisol et de ses métabolites. La sécrétion de cortisol peut donc s’effondrer, même en présence d’une hypersécrétion tumorale, en raison de l’hypermétabolisation/hyperexcrétion induite par la DXM [5].

Enfin, tout comme le test de stimulation à l’ACTH, lors de tumeur surrénalienne non sécrétante ou sécrétant un autre stéroïde, le test de freinage peut ne rien révéler.

Cas particulier du freinage fort

Classiquement, il est écrit que le freinage à la DXM dose “forte” (0,1 mg/kg) permet de déterminer la cause de l’hypercorticisme, en supposant que la DXM ne freine pas la sécrétion autonome de cortisol produit par une tumeur surrénalienne, contrairement aux cas de maladie de Cushing hypophysaire. Cependant, la sécrétion d’ACTH, indépendamment de la DXM, peut également être autonome et indépendante, perturbant potentiellement l’effet du freinage. De plus, chez tout animal malade et/ou âgé ayant des régulations neuro-endocriniennes et immunitaires modifiées, la sécrétion d’ACTH peut être fortement perturbée (généralement augmentée), donc fausser les résultats des différents tests [8].

Conclusion

La sensibilité et la spécificité des tests ne sont pas comparables, car l’appréciation des performances dépend des seuils de décision choisis, qui peuvent modifier l’une au détriment de l’autre. Compte tenu de toutes les réserves et des difficultés d’interprétation de ces tests, la cause de l’hypercorticisme (surrénalien, hypophysaire ou fonctionnel) est déterminée de façon plus spécifique par imagerie médicale. Dans tous les cas, il convient de tenir compte en priorité de la suspicion clinique et de la biologie classique, afin d’augmenter la valeur prédictive des tests diagnostiques utilisés.

  • (1) Médicament humain.

  • 1. Behrend EN, Kooistra HS, Nelson R et coll. Diagnosis of spontaneous canine hyperadrenocorticism: 2012 ACVIM consensus statement (small animal). J. Vet. Intern. Med. 2013;27(6):1292-1304.
  • 2. Bennaim M, Shiel RE, Forde C et coll. Evaluation of individual low-dose dexamethasone suppression test patterns in naturally occurring hyperadrenocorticism in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2018;32(3):967-977.
  • 3. Bornstein SR, Engeland WC, Ehrhart-Bornstein M et coll. Dissociation of ACTH and glucocorticoids. Trends Endocrinol. Metab. 2008;19:175-180.
  • 4. Feldman EC, Mack RE. Urine cortisol/creatinine ratio as a screening test for hyperadrenocorticism in dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1992;200:1637-1641.
  • 5. Findling JW, Raff H, Aron DC. The low-dose dexamethasone suppression test : a reevaluation in patients with Cushing’s syndrome. J. Clin. Endocrinol. Metab. 2004;89(3):1222-1226.
  • 6. Gilor C, Graves TK. Interpretation of laboratory tests for canine Cushing’s syndrome. Top. Comp. Anim. Med. 2011;26:98-108.
  • 7. Hill KE, Scott-Moncrieff JCR, Koshko MA et coll. Secretion of sex hormones in dogs with adrenal dysfunction. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2005;226:556-561.
  • 8. Kaplan AJ, Peterson ME, Kemppainen RJ. Effects of disease on the results of diagnostic tests for use in detecting hyperadrenocorticism in dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1995;15:445-451.
  • 9. Monroe WE, Panciera DL, Zimmerman KL. Concentrations of noncortisol adrenal steroids in response to ACTH in dogs with adrenal-dependent hyperadrenocorticism, pituitary-dependent hyperadrenocorticism, and nonadrenal illness. J. Vet. Intern. Med. 2012;26:945-952.
  • 10. Peterson ME. Diagnosis of hyperadrenocorticism in dogs. Clin. Tech. Small Anim. Pract. 2007;22:2-11.
  • 11. Ristic JME, Ramsey IK, Heath FM et coll. The use of 17-hydroxyprogesterone in the diagnosis of canine hyperadrenocorticism. J. Vet. Intern. Med. 2002;16:433-439.
  • 12. Rodriguez Pineiro MI, Benchekroun G, De Fornel-Thibaud P et coll. Accuracy of an adrenocorticotropic hormone (ACTH) immunoluminometric assay for differentiating ACTH-dependent from ACTH-independent hyperadrenocorticism in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2009;23:850-855.
  • 13. Smiley LE, Peterson ME. Evaluation of a urine cortisol/creatinine ratio as a screening test for hyperadrenocorticism in dogs. J. Vet. Intern. Med. 1993;7:163-168.
  • 14. Van Liew CH, Greco DS, Salman MD. Comparison of results of adrenocorticotropis hormone stimulation and low-dose dexamethasone suppression tests with necropsy findings in dogs: 81 cases (1985-1995). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1997;211(3):322-325.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Protocoles types des principaux tests utilisés pour l’exploration des corticosurrénales

Test de stimulation à l’ACTH

→ T0 : première prise de sang + injection intramusculaire ou intraveineuse d’une ampoule de 1-24 ACTH (tétracosactide, Synacthène®(1), ampoules de 0,25 mg/ml).

Doses :

- pour un chien > 5 kg ou un chat > 3 kg = 1 ampoule de 0,25 mg de Synacthène®(1) ou 1/2 ampoule de 1 mg de Synacthène®(1) retard par voie intramusculaire uniquement ;

- pour un chien < 5 kg ou un chat < 3 kg ou un furet = 1/2 ampoule de 0,25 mg (soit 0,125 mg).

→ T0 + 60 à 90 minutes : seconde prise de sang.

Remarque : chez le furet ou les chats < 3 kg, une seule prise de sang 1 h à 1 h 30 après l’administration d’ACTH suffit.

Tests de freinage à la dexaméthasone

→ T0 : première prise de sang pour dosage du cortisol + injection intramusculaire (ou intraveineuse) de dexaméthasone.

Doses : dose faible 0,01 mg/kg ou dose forte 0,1 mg/kg.

→ T0 + 4 h : deuxième prise de sang (pour le freinage dose faible).

→ T0 + 8 h : troisième prise de sang.

ENCADRÉ 2
Utilité potentielle du test de stimulation à l’ACTH lors d’hyperaldostéronisme

En général, le diagnostic biologique d’hyperaldostéronisme primaire n’est pas problématique puisque l’hypersécrétion d’aldostérone est tumorale et autonome, (valeur basale très élevée sans variation pulsatile). Néanmoins, le test de stimulation à l’ACTH peut être utile dans certains cas, en particulier lors de suspicion d’hyperaldostéronisme fonctionnel canin.

Sur 420 cas (347 chiens et 82 chats) d’hyperaldostéronisme diagnostiqués au LDHVet entre 2008 et 2018 grâce à un test de stimulation à l’ACTH (données non publiées), aucun diagnostic d’hyperaldostéronisme n’aurait pu être établi sur la valeur basale isolée d’aldostérone dans 40 % des cas (valeur basale < 350 pmol/l, malgré une valeur après stimulation > 850 pmol/l, traduisant un hyperaldostéronisme selon les valeurs usuelles du laboratoire).

Le test de stimulation semble surtout intéressant dans l’espèce canine : 48 % des chiens et seulement 16 % des chats présentent une valeur basale < 350 pmol/l. À l’inverse, seuls 24 % des chiens ont une valeur basale très élevée (> 850 pmol/l) alors que 70 % des chats montrent un hyperaldostéronisme sans équivoque sur la concentration basale.

Une hyperstimulation d’aldostérone par l’ACTH dans le contexte d’une hypersécrétion n’est cependant pas dénuée de risque (pic d’hypertension, effets ­cardiovasculaires néfastes, notamment). Ainsi, chez le chat, vu le faible apport de ce test dans le diagnostic, il peut être intéressant de réaliser deux prises de sang à 60 à 90 minutes d’intervalle afin de s’affranchir au maximum des variations pulsatiles, sans risquer de sur-stimuler la sécrétion d’aldostérone.

Points forts

→ Le recours à des tests dynamiques est préférable pour le diagnostic des affections surrénaliennes.

→ L’interprétation de la mesure urinaire d’une substance, dont le cortisol, doit tenir compte de toute atteinte rénale affectant la filtration glomérulaire et/ou la réabsorption/excrétion tubulaire.

→ Même si aucun test biologique n’est parfait, le test de stimulation à l’ACTH semble moins délicat à interpréter que le test de freinage à la dexaméthasone pour le diagnostic des hypercortisolismes.

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