Comment rendre les élevages de ruminants résilients et moins vulnérables ? - La Semaine Vétérinaire n° 2085 du 27/06/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2085 du 27/06/2025

Environnement

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Pierre Bessière

Article rédigé d’après une conférence donnée par Guillaume Martin, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), et Marie-Angelina Magne, maître de conférences en zootechnie à l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (ENSFAE), lors du séminaire « Transition agroécologique des productions animales et évolution du système alimentaire », organisé par la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF), le 20 mars 2025, à l’école nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT).

L’élevage laitier fait face à de profondes mutations liées à l’augmentation massive des flux d’azote, à la déconnexion entre culture et élevage et à la volatilisation des coûts de production des intrants (céréales et tourteaux). Parallèlement, la stagnation des rendements culturaux et la recrudescence des évènements climatiques extrêmes (sécheresse, inondations, etc.) accentuent les tensions économiques. Le coût de production du lait a baissé, mais son prix a chuté, rendant la rentabilité des exploitations plus fragile. De plus, l’élevage est soumis à une remise en cause sociétale en raison de ses émissions directes ou indirectes de polluants (CH4 entérique, N2O et NH3). La question est donc aujourd’hui de savoir comment rendre les élevages plus résilients et durables.

Vers des solutions concrètes

Pour répondre à cela, une enquête a été menée auprès d’une centaine d’éleveurs laitiers biologiques1. Elle a permis de mettre en évidence quatre critères fondamentaux pour parvenir à une résilience de l’élevage : autonomie, viabilité économique, cohérence du projet et durabilité. La stabilité du prix du lait, la bonne santé du troupeau, la maîtrise des charges, une meilleure valorisation de l’herbe ainsi qu’une diversification de l’exploitation, qui permet de diluer les risques liés aux marchés, d’optimiser l’utilisation des ressources locales et de mieux faire face aux aléas climatiques, sont des éléments stratégiques clés. Les éleveurs ont également souligné l’importance des qualités humaines : curiosité, réactivité et opportunisme sont essentiels pour s’adapter.

Par ailleurs, plusieurs leviers ont été explorés pour rendre les systèmes plus sobres et circulaires, c’est-à-dire pour minimiser l’utilisation des ressources non renouvelables et maximiser le recyclage interne. Le croisement laitier est une stratégie adoptée par 91 % des 46 éleveurs interrogés pour faciliter la transition vers un système herbager bas intrants et biologique. L’analyse de 13 élevages montre une baisse de productivité laitière dans 12 cas, mais avec une augmentation de la matière utile (matières grasses et protéines) dans 8 d’entre eux. La fertilité du troupeau s’est améliorée dans 11 élevages.

De même, la diversification interspécifique présente aussi des intérêts. L’association de bovins et d’ovins, avec une proportion optimale de 35 à 40 % d’ovins, permet une meilleure valorisation de l’herbe. Elle favorise aussi une réduction des strongles digestifs par rupture du cycle parasitaire, les larves infectant les ovins étant ingérées par les bovins et inversement. Cependant, elle suppose des adaptations en matière d’infrastructures (clôtures, abris, etc.). Enfin, l’ajout d’un petit atelier monogastrique peut permettre de renforcer la résilience économique, en diversifiant les revenus et en optimisant les flux de biomasse (par exemple, en utilisant le lactosérum pour nourrir des porcs). En revanche, un grand atelier intensif a un impact plus mitigé sur l’équilibre global de la ferme, en raison de déséquilibres liés aux achats d’aliments.

Une résilience adaptée à chaque contexte

Toutefois, il convient de noter que, face aux aléas climatiques, les stratégies d’adaptation diffèrent selon les régions. Dans le Nord, les prairies permanentes restent un pilier des exploitations, tandis qu'au sud de la France leur instabilité pousse les éleveurs à modifier leur gestion fourragère.

Dans une autre étude réalisée sur 3 000 simulations2, l’impact des aléas sur la production et la rentabilité a été évalué. Cette enquête a permis de montrer que les aléas zootechniques (comme la santé du troupeau et la reproduction) ont des répercussions plus fortes que les fluctuations des prix. De plus, la quantité de stocks de foin en fin d’année s’améliore avec l’application de plusieurs leviers (diversification des périodes de vêlage, assolement, usage des prairies), sans augmentation du coût alimentaire. Le nombre de périodes de mise bas influe aussi sur la résilience économique : un système avec trois périodes de mise bas par an permet une meilleure stabilisation des revenus, contrairement aux systèmes à mise bas unique, plus sensibles aux années difficiles. Les systèmes irlandais, avec un gros effectif et une seule mise bas annuelle, présentent une forte probabilité d’accumuler trois années difficiles consécutives.

Si la diversification, la sobriété et la circularité sont des principes fondamentaux pour un élevage résilient, leur mise en œuvre doit donc être adaptée à chaque contexte. L’objectif est de trouver un équilibre entre performance économique, impact environnemental et adaptation aux aléas. Les systèmes herbagers, même avec une production laitière plus faible, restent une alternative viable et compétitive, sous réserve d’une bonne maîtrise technique et économique. L’élevage laitier de demain devra conjuguer innovation et tradition pour assurer sa pérennité.

  • 1. Perrin, A., Milestad R., Martin G. 2020. Resilience applied to farming: organic farmers’ perspectives. Ecology and Society 25(4):5
  • 2. Benoit, M., Joly, F., Blanc, F. et coll. Assessment of the buffering and adaptive mechanisms underlying the economic resilience of sheep-meat farms. Agron. Sustain. Dev. 40, 34 (2020)