Soins intensifs
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Geoffrey Troussier (N 18) et Maxime Cambournac (L 12, Dip. ECVECC), praticiens au service d’urgences et soins intensifs, centre hospitalier vétérinaire Frégis, à Gentilly (Val-de-Marne)
L’insuffisance rénale correspond à une diminution, plus ou moins sévère, de la fonction rénale avec pour conséquence une diminution voire un arrêt de la production urinaire. Cela conduit à une accumulation de déchets métaboliques dans le sang, notamment l’urée, la créatinine et l’acide urique, mais aussi des ions, comme le potassium, les phosphates ou les protons à l’origine d’une acidose, ainsi que des toxines médicamenteuses et certaines molécules inflammatoires. À cette masse potentiellement mortelle, s’ajoute une surcharge hydrique par rétention et défaut d’excrétion, aggravant l’état de l’animal. Les techniques de suppléance rénale visent à mimer la physiologie des reins en filtrant le sang pour en éliminer les déchets accumulés. Selon les modalités appliquées, deux situations sont à distinguer, la dialyse péritonéale et l’hémodialyse1.
Indications de la suppléance rénale
La suppléance rénale représente la thérapie extracorporelle la plus utilisée en médecine vétérinaire. Elle est indiquée en cas d’insuffisance rénale, qu’elle soit aiguë (IRA) isolée ou associée à une défaillance multi-organique, ainsi que dans certaines intoxications à des toxiques solubles et de petite taille (voir encadré). Son utilisation dans la maladie rénale chronique (MRC) est principalement développée en médecine humaine, et limitée en pratique vétérinaire, en raison de contraintes logistiques (plusieurs séances par semaine), technique (gestion du cathéter de dialyse à domicile) et financière. En médecine vétérinaire en France, l’IRA constitue la principale indication de la dialyse, notamment lorsqu’elle est secondaire à une leptospirose. Il s’agit également de la situation offrant le meilleur pronostic, ce qui explique qu’elle représente aujourd’hui la majorité des indications de thérapie dialytique. L’objectif est alors d’épurer le sang des déchets accumulés et de prévenir les complications de l’IRA (voir encadré), afin de laisser le temps au traitement étiologique d’agir. L’hémodialyse lors de leptospirose canine permet d’améliorer significativement le pronostic et d’augmenter le taux de survie2. Celui d’un chien en IRA secondaire à une leptospirose passe de 50 % lors d’une gestion médicale, avec des taux de survie de 10-20 % en cas d’oligurie ou d’hyperkaliémie, à 73-80 % lors d’utilisation de l’hémodialyse. La dialyse est en principe contre-indiquée chez le patient instable d’un point de vue hémodynamique et cardiovasculaire et lors de troubles de la coagulation.
Dialyse péritonéale
La dialyse péritonéale est une technique de suppléance rénale utilisant le péritoine comme surface d’échange. Elle présente l’avantage de ne pas nécessiter de machine de dialyse spécifique et est, par conséquent, peu coûteuse initialement3,4.
Un cathéter de dialyse péritonéale est mis en place, de façon aseptique, au sein de la cavité péritonéale, à travers la paroi abdominale. Il existe deux types de cathéters de dialyse péritonéale : des cathéters « aigus » dont l’usage est inférieur à 3 jours et des cathéters « chroniques » dont la durée d’utilisation sera plus longue. Les premiers peuvent être placés de façon percutanée tandis que les seconds sont mis en place chirurgicalement, de préférence avec omentectomie partielle4. Le dialysat est ensuite administré via le cathéter dans la cavité péritonéale et laissé en place pendant une durée déterminée afin de permettre une épuration sanguine. Il est ensuite retiré de l’abdomen par le biais de ce même cathéter. Les protocoles décrits sont multiples mais consistent le plus souvent en une infusion de 5 à 10 minutes, puis une stase de 30 minutes à 1 heure et un drainage sur 10 à 20 minutes, à raison de 3 à 4 séances par jour5.
Une fois introduit dans la cavité péritonéale, le dialysat échange avec le sang grâce au dense réseau capillaire du péritoine, jusqu’à atteindre un équilibre partiel de composition. Les solutés sont transférés du compartiment vasculaire vers le dialysat sous l’effet des gradients de concentration (diffusion) et de pression hydrostatique (convection). Les molécules de faible et de haut poids moléculaire sont filtrées grâce à la taille importante des pores des capillaires péritonéaux.
Afin d’assurer un rendement maximal à la dialyse péritonéale, un changement régulier du dialysat est nécessaire pour assurer un maximum de clairance des molécules de faible poids moléculaire (élimination par diffusion). À l’inverse, les solutés de haut poids moléculaire ont besoin que le dialysat demeure longtemps dans la cavité péritonéale afin d’atteindre un équilibre (élimination par convection)4.
La dialyse péritonéale présente cependant plusieurs inconvénients qui limitent son utilisation en pratique à de très rares cas. Tout d’abord, l’administration et la stase du dialysat dans la cavité péritonéale peuvent être à l’origine d’un inconfort voire d’une douleur pour l’animal. Dans certains cas, elles peuvent entraîner une détresse respiratoire par pression sur le diaphragme ou par développement d’un épanchement pleural. De plus, les manipulations fréquentes du cathéter, son exposition au milieu extérieur et l’administration régulière du dialysat représentent un risque infectieux pouvant aboutir au développement d’une péritonite septique. Enfin, cette technique est chronophage et ne permet pas d’obtenir des rendements ainsi que des résultats aussi marqués que l’hémodialyse.
Hémodialyse et hémodiafiltration lors d’IRA
L’hémodialyse consiste à prendre en charge le sang de l’animal hors de son organisme afin de le traiter. Selon la plateforme utilisée, la durée des séances et les objectifs de traitement, il est possible de distinguer trois sous-catégories3 :
- hémodialyse intermittente (IHD, pour intermittent hemodialysis) : permet une élimination d’une grande quantité de molécules de faible poids moléculaire par unité de temps. Cette technique utilise comme dialysat une source d’eau traitée spécifiquement. Elle est principalement utilisée en médecine humaine pour traiter la MRC.
- thérapie de suppléance rénale continue (CRRT, pour continuous renal replacement therapy) : technique continue permettant une élimination des molécules sur le modèle physiologique du rein. Une fois commencée, la procédure dure jusqu’à une récupération de la fonction rénale, que le but du traitement soit atteint, qu’une transition vers une IHD soit possible ou que l’animal décède. Le dialysat utilisé se présente sous la forme de poches de perfusion.
- hémodialyse prolongée intermittente (PIRRT, pour prolonged intermittent renal replacement therapy) : technique hybride où l’hémodialyse est poursuivie pendant 6 à 12 heures mais pour laquelle le dialysat est préconditionné sous forme de poches. Actuellement, la PIRRT est privilégiée pour la gestion des IRA vétérinaires, en raison de l’équilibre coût / ressources. À date, les principaux protocoles reposent sur des séances de 4 à 6 heures6.
L’hémodialyse peut être mise en place au chevet du « patient » et ne nécessite pas de contention particulière. La mise en place du cathéter veineux central, préambule à toute hémodialyse, se fait sous sédation et est un acte rapide. Ce cathéter double lumière est placé au niveau d’une veine jugulaire, de préférence droite, de façon aseptique. La longueur et le diamètre de ce dernier sont choisis par le clinicien de manière à placer l’extrémité du cathéter dans l’oreillette droite et à avoir un débit maximal. La tolérance, parfois mauvaise, des rapides modifications hémodynamiques et des paramètres biochimiques (urée, créatinine et potassium) lors des séances d’hémodialyse explique la réalisation de celles-ci dans les unités de soins intensifs, à l’image de ce qui est pratiqué en médecine humaine lors d’IRA.
Compte tenu de considérations techniques et matérielles, ce sont les techniques de PIRRT et de CRRT qui sont, aujourd’hui, les plus utilisées pour traiter les IRA en médecine vétérinaire. Quatre options techniques sont alors possibles pour le traitement extracorporel du sang3 :
- ultrafiltration lente continue (SCUF, pour slow continuous ultrafiltration) : technique de convection se focalisant sur le retrait de fluides en excès.
- hémofiltration continue veinoveineuse (CVVH, pour continuous venovenous hemofiltration) : technique de convection se focalisant sur le retrait de solutés.
- hémodialyse continue veinoveineuse (CVVHD, pour continuous venovenous hemodialysis) : modalité diffusive se focalisant sur le retrait de solutés.
- hémodiafiltration continue veinoveineuse (CVVHDF, pour continuous venovenous hemodiafiltration) : technique mixte de diffusion et convection se focalisant sur le retrait de solutés et de l’excès de fluides. Cette technique est actuellement la plus utilisée puisqu’elle permet de traiter à la fois la surcharge hydrique des patients en IRA et d’éliminer les toxines urémiques accumulées.
Les complications possibles sont celles liées à l’anticoagulation lorsqu’utilisée (hypocalcémie, hémorragie), à la circulation extracorporelle du sang (hypotension, embolie gazeuse, hypothermie, thrombose) et à une modification trop brutale de la composition sanguine (arythmies cardiaques lors de variations ioniques importantes, syndrome de déséquilibre postdialytique, à savoir trouble neurologique secondaire à un œdème cérébral causé par une diminution trop rapide de l’urémie).
Le pronostic lors d’insuffisance rénale aiguë, toute cause confondue, traitée avec de l’hémodialyse est de 51 % chez le chien et 54,1 % chez le chat, contre 36,8 % sans cette technique7. Cependant, ce pronostic dépend de la sévérité de l’atteinte, de la rapidité d’évolution et de prise en charge ainsi que de l’origine. Chez le chien atteint de leptospirose, le taux de survie avec la dialyse atteint les 73-80 % comparé à 50 % sans hémodialyse1. Deux facteurs pronostiques négatifs sont identifiés lors d’hémodialyse chez le patient en IRA : l’absence de conversion de l’oligoanurie ainsi qu’un rebond important de la créatininémie entre la première et la deuxième séance de dialyse6. Le démarrage précoce de la dialyse lors d’IRA semble être associé à un meilleur taux de survie, surtout lors d’intoxication3.
Critères de dialyse lors d’intoxication
- Absence d’antidote ou d’autre méthode plus efficace (hémoperfusion, plasmaphérèse).
- Concentration du toxique susceptible d’être mortelle ou d’engendrer des dommages tissulaires.
Critères de dialyse lors d’IRA
Au moins 1 critère doit être présent :
- Créatininémie supérieure à 50 mg/l ou plus chez un animal euhydraté.
- Oligoanurie (inférieure à 0,3 ml/kg par heure) depuis plus de 6 heures et ne répondant ni à la fluidothérapie ni au traitement médical.
- Surcharge hydrique ne répondant pas aux diurétiques.
- Troubles électrolytiques ne pouvant être corrigés médicalement ou chirurgicalement.
Source : Segev G. et coll. International renal interest society best practice consensus guidelines for intermittent hemodialysis in dogs and cats. The Veterinary Journal 305 (2024) 106092.