Nouvelles technologies
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Irène Lopez
L’intelligence artificielle (IA) s’immisce déjà dans le quotidien des vétérinaires. Si les bénéfices sont réels, les risques ne doivent pas être ignorés. Les 22 et 23 mai 2025, les Universités de printemps du SNVEL ont réuni des experts pour dresser un état des lieux en santé animale. Radiologies, diagnostics, pharmacovigilance, objets connectés… Tour d’horizon des usages, des limites et des leviers pour une intégration éclairée.
L’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un acteur incontournable dans le domaine de la santé animale. Plusieurs ruptures technologiques se conjuguent : les objets connectés, les approches omiques… L’IA prédictive, elle, pourrait bientôt permettre d’anticiper l’apparition de maladies. Mais ce mouvement n’est pas nouveau. « L’industrie exploite des bases de données massives depuis une dizaine d’années », rappelle Jean-François Ravier (A 80), directeur technique et scientifique animaux de compagnie chez Boehringer Ingelheim, durant les Universités de printemps du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) qui se sont déroulées les 22 et 23 mai 2025, à l’école nationale vétérinaire d’Alfort. Ce qui change, c’est la rapidité : en deux ans, l’accélération est spectaculaire. L’IA permet désormais de trier des millions de composés chimiques en un temps record. C’est un atout crucial, quand on sait que le développement d’un médicament s’étale souvent sur 10 à 15 ans.
La sortie de ChatGPT, fin 2022, a marqué un tournant. « Cent millions d’utilisateurs en deux mois, souligne Annick Valentin-Smith (A 78), fondatrice de Vet In Tech. C’est un record comparé aux 10 ans qu’il a fallu à Netflix pour atteindre ce seuil. » Si d’autres IA émergent, comme DeepSeek en Chine, la domination américaine reste forte. En France, Mistral AI tente de percer mais demeure marginal. Aujourd’hui, les IA comprennent le texte, l’image et le son et peuvent répondre à des requêtes complexes. Environ 40 % des Français les utilisent, avec une notoriété proche de 90 %. Les jeunes générations, en particulier, y recourent pour rechercher de l’information, générer du contenu ou stimuler leur créativité.
Dans les cabinets vétérinaires, l’IA est déjà à l’œuvre. « Interprétation d’images, aide au diagnostic et à la prescription, génération de comptes rendus, gestion administrative, recherche bibliographique… », énumère Annick Valentin-Smith. Autant d’applications concrètes qui s’installent dans la pratique.
Des innovations tangibles
« Les données multi-omiques sont le socle de l’innovation », déclare Jean-François Ravier. En croisant génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique et données environnementales, il devient possible de décrypter des maladies complexes et de concevoir des traitements ciblés. Résultat : un des partenaires du laboratoire allemand a récemment conçu une molécule grâce à l’IA, jusqu’à la phase d’essai clinique, en moins de deux ans. L’IA allège aussi les tâches répétitives. « Compter des invalidités, vérifier des numéros de lots, générer des fichiers de contrôle qualité… Ce sont des gains de temps considérables », précise-t-il. Plus fondamentalement, elle ouvre la voie à une médecine personnalisée. Grâce aux jumeaux numériques, il est possible de simuler l’effet d’un traitement sur un organisme virtuel, en fonction de son profil. Il s’agit d’un pas vers moins d’expérimentations animales et des essais cliniques mieux ciblés. Une autre avancée repose sur la pharmacovigilance : l’IA peut détecter des signaux faibles en scrutant des bases de données géantes d’effets indésirables. « Si des centaines de personnes dans le monde signalent un événement, même improbable, cela peut faire émerger un signal », note Jean-François Ravier.
Du côté des objets connectés, Grégory Santaner (N 99), fondateur de VetoNetwork, cite le cas d’un collier pour chien capable de mesurer l’activité, le rythme cardiaque et respiratoire et de générer un compte rendu quotidien grâce à l’IA de Mistral. « On peut même imaginer faire parler l’animal, qui donnerait de ses nouvelles à son propriétaire », s’amuse-t-il, sans juger. Plus étonnant encore : Poop Scan analyse les selles canines à partir d’une simple photo. L’algorithme s’est entraîné sur 12 000 clichés… C’est la preuve qu’une IA spécialisée peut émerger pour chaque type d’image, même les plus insolites.
Des limites bien réelles
Il convient cependant de ne pas surestimer ces outils. « Trois risques sont majeurs : les hallucinations, la dépendance et la perte d’expertise humaine », alerte Annick Valentin-Smith. Des réponses fausses mais convaincantes peuvent tromper utilisateurs et soignants. « L’IA peut inventer des sources bibliographiques crédibles… mais qui n’existent pas », confirme Jean-François Ravier.
Un autre point critique est le vide réglementaire. En France, aucun cadre ne structure les dispositifs vétérinaires intégrant de l’IA. « Le vétérinaire reste seul responsable », rappelle Annick Valentin-Smith. Une réglementation européenne est en préparation : elle classera les IA selon leur niveau de risque. Selon la fondatrice de Vet In Tech, cinq conditions doivent être réunies : des données nombreuses et fiables, des modèles conçus avec les ingénieurs, une éthique partagée, une reconnaissance du rôle des vétérinaires et une intégration fluide dans les pratiques. Grégory Santaner recommande de « montrer les outils à l’équipe, de tester en binômes, de partager les usages ». S’acculturer au numérique est essentiel.
La vigilance reste de mise. « Il existe encore des zones d’ombre, des modèles opaques », prévient Jean-François Ravier. Il plaide pour un encadrement adapté, renforcé et, surtout, un dialogue constant. Il insiste sur la sécurité. « Chez Boehringer Ingelheim, un portail interne d’accès à l’IA a été mis en place : pas d’open source, ni de modèles publics, tout passe par un écosystème sécurisé. Nos données sont précieuses », commente-t-il. Au-delà des outils, c’est toute la médecine vétérinaire qui évolue. « L’accessibilité des données, la miniaturisation des capteurs, la puissance croissante des cartes graphiques ouvrent la voie à des avancées continues », observe Grégory Santaner. Et si les vétérinaires doutent encore, il suffit de franchir le pas et d’essayer.
Comprendre l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle (IA) désigne des systèmes capables de reproduire certains comportements humains, comme le raisonnement, la prise de décision ou la créativité. Elle repose sur des algorithmes, autrement dit des enchaînements logiques conçus pour résoudre un problème à partir d’un grand volume de données. Annick Valentin-Smith, vétérinaire et fondatrice de Vet In Tech, explique : « Pour être performante, l’IA a besoin de données nombreuses, homogènes, fiables et annotées par des experts du domaine concerné. Elles sont ensuite utilisées pour entraîner des modèles, une tâche menée par des ingénieurs spécialisés en data science. En général, 80 % des données servent à l’apprentissage du modèle, tandis que les 20 % restantes permettent de le tester. Ce processus favorise une amélioration continue, l’IA apprenant de ses erreurs et s’autocorrigeant au fil du temps. »
Plusieurs formes d’IA sont à distinguer :
• IA symbolique : fondée sur des formules écrites par l’humain.
• Machine learning : auto-apprentissage du système à partir des données.
• Deep learning : apprentissage par couches successives de neurones artificiels, permettant le traitement de problèmes complexes (imagerie, IA générative).
• Traitement automatique du langage : technologie derrière Siri ou Alexa.
• Grands modèles de langage (LLM) : moteurs des IA génératives comme ChatGPT, capables de produire textes, images ou vidéos et de tenir une conversation.