Dialogue social en clinique
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Irène Lopez
Dans la Manche, les cliniques vétérinaires des Pieux et de Sainte-Croix-Hague, appartenant au groupe IVC Evidensia, ont fermé leurs portes le 31 mars 2025. Officiellement temporaire, cette décision a pris de court salariés, clients, et même l’Ordre vétérinaire. En coulisses, les tensions sont vives et les témoignages divergent.
Pour Sophie Bonneau (N 06), vétérinaire salariée, la manière dont s’est déroulée la fermeture est sans appel : « La fermeture est intervenue du jour au lendemain, sans aucune information préalable. Certes, nous étions en sous-effectif depuis de longs mois et nous savions qu’il n’y avait pas eu de recrutement, mais tout a été acté en deux jours. Le 27 mars 2025, la direction d’IVC Evidensia est venue faire l’inventaire du matériel. Le lendemain, elle a fermé l’un des sites, puis le second le 29 mars à 16 h. » Aucun courrier officiel, pas d’information formelle aux clients ni à l’Ordre, ce qui l’a poussée à alerter elle-même l’instance.
David Gossart, vétérinaire (A 17), délégué syndical CGT et élu du CSE de la SAS Les Cerisiers (regroupement de presque 200 cliniques appartenant à IVC Evidensia), dénonce une gestion opaque : « Nous avons entendu parler de la situation des cliniques des Pieux et de Sainte-Croix-Hague (Manche) lors d’une réunion du CSE, le 26 mars. C’est une élue qui a mis le sujet sur la table, en manifestant son inquiétude quant à l’état des salariés, et plus particulièrement des ASV [auxiliaires spécialisés vétérinaires, NDLR]. Les informations relatives à la fermeture des cliniques ne nous ont pas été communiquées par la direction. Or c’est une information qui aurait dû être partagée en CSE. Nous avons été clairement tenus à l’écart de l’ensemble de ces démarches. Le président du conseil régional de l’Ordre des vétérinaires (Crov) Normandie nous a également assuré n’avoir pas été informé de cette décision de fermeture. »
Communication en pointillé, angoisse en continu
« La communication clientèle a bien sûr été faite en anticipation », assure Patrick Govart, président d’IVC Evidensia France, poursuivant que l’Ordre a été informé « de manière officielle ». Mais sur le terrain, les salariés vivent un tout autre quotidien. « Il n’y a eu que très peu de communication à destination des salariés, et aucune par écrit, note Chloé Véleine, ASV, déléguée syndicale CGT et élue du CSE de la SAS Les Cerisiers. Cela a généré une réelle angoisse et de l’anxiété face à cette situation. »
Sans activité, les équipes ont été maintenues à domicile, rémunérées mais désœuvrées. « Les cliniques du groupe les plus proches étant assez éloignées, nous n’avons pas souhaité imposer une mobilité aux équipes au risque de leur imposer de trop grands déplacements, explique Patrick Govart. Afin de les protéger, nous avons souhaité leur proposer un maintien de leur rémunération en l’état et avons réorganisé le planning et adapté les temps de présence en clinique afin de limiter au mieux ce sentiment d’ennui en attendant la réouverture des sites. »
Des Siret radiés, une fermeture provisoire qui interroge
Les délégués syndicaux sont partis à la recherche d’informations afin de reconstituer le fil des événements et de vérifier si tout avait été fait dans les règles. Ils ont constaté que les numéros de Siret (système d’identification du répertoire des établissements) des deux cliniques avaient été radiés dès le 31 mars. Or la direction avait évoqué aux salariés une simple fermeture provisoire. Ils relatent : « Nous avons contacté le tribunal de commerce. Cette radiation était une demande faite par l’entreprise. La direction a affirmé que c’était une erreur en interne, “quelqu’un n’aurait pas cliqué sur le bon bouton”. La demande de réactivation des Siret a été immédiatement faite. » Patrick Govart rassure : « Il ne s’agit en aucun cas d’une fermeture pour cessation d’activité de l’entreprise, la demande de soins dans cette région étant forte. »
Des ratés dans l’anticipation
À l’origine de cette fermeture : le départ à la retraite du vétérinaire associé, le Dr Allart. L’obligation réglementaire d’assurer 1,5 jour de présence vétérinaire par DPE (domicile professionnel d’exercice) n’était alors plus remplie. Benoît Grosfils (N 94), vétérinaire à Sartilly-Baie-Bocage (Manche), président du Crov Normandie, expose : « La direction d’IVC Evidensia a cherché, en lien avec l’Ordre, une solution pour maintenir l’ouverture de ses établissements malgré l’absence d’API [associé professionnel interne, NDLR] ou de responsable de clinique. Après avoir étudié la situation avec nos conseillers juridiques, je leur ai indiqué qu’il n’existait malheureusement aucune solution légale pour permettre à une clinique de rester ouverte sans API. » D’où la fermeture temporaire.
Le groupe affirme avoir cherché un remplaçant « depuis plusieurs mois » mais, du côté syndical, le constat est sévère : « L’annonce du départ a été faite en mai 2024. Les recherches n’ont vraiment démarré qu’en novembre », souligne David Gossart. Benoît Grosfils commente : « Le groupe renvoie la responsabilité de cette fermeture à l’ancien associé. Ce dernier renvoie à son tour la balle au groupe, en soulignant les difficultés rencontrées pour trouver un successeur. »
Et maintenant ?
Patrick Govart déclare : « Nous sommes en finalisation de contrat avec un vétérinaire ayant accepté le statut associé, ce qui permettra la réouverture d’un premier site. Nous poursuivons les recrutements afin d’étoffer l’équipe et de pouvoir rouvrir le second cabinet. » De fait, au moins un des sites devrait rouvrir le 15 juillet. Mais les incertitudes restent nombreuses : qu’en est-il des congés d’été ? L’API prendra-t-elle des vacances ? Cela impliquerait une fermeture estivale de la clinique. Les salariés seront-ils contraints à des congés imposés ? Salariés et délégués syndicaux s’interrogent : « La situation délétère dans laquelle ont été — et sont encore — les salariés est-elle le résultat d’une accumulation d’erreurs ou d’un réel manque de préparation ? » Selon le président du Crov Normandie, « ce sont les animaux, leurs propriétaires et l’image de notre secteur qui sortent affaiblis de cette situation. Pour la profession, ce n’est pas glorieux. Pour le service rendu aux clients, non plus. Et pour les confrères qui vont devoir absorber un surcroît d’activité, c’est une charge supplémentaire : certains y verront peut-être une opportunité, mais d’autres seront débordés, et ce ne sera pas vivable ».
Qu’arrivera-t-il demain ?
Chloé Véleine, ASV et déléguée syndicale CGT et élue du CSE de la SAS Les Cerisiers, analyse : « Nous avons le sentiment que ce mode de fonctionnement s’est déjà produit en 2024, avec la fermeture définitive de la clinique CastelVet, dans l’Oise. Nous craignons qu’un scénario similaire se reproduise avec la fermeture temporaire actuelle de la clinique de Fitz-James, également dans l’Oise. » La direction d’IVC Evidensia se veut rassurante : « Il n’est pas impossible que d’autres cliniques se retrouvent confrontées à ce genre de situations à l’avenir, mais nous mettons tous nos moyens en œuvre pour l’éviter, notamment par des processus de recrutement initiés jusqu’à une année à l’avance. » En 2022, le président des cliniques IVC Evidensia en France Patrick Govart concluait une tribune (parue dans La Semaine Vétérinaire, n° 1950 du 24 juin 2022) par ces mots : « Tous ensemble, faisons corps et soyons à la hauteur pour la santé animale et le bien-être des équipes soignantes ! » Il y vantait le regroupement de cliniques vétérinaires au sein de réseaux comme solution au mal-être des vétérinaires. Deux ans plus tard, ces mots résonnent amèrement dans la Manche.