Jusqu’où l’IA transformera-t-elle la pratique vétérinaire ? - La Semaine Vétérinaire n° 2081 du 30/05/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2081 du 30/05/2025

Universités de printemps du SNVEL

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Irène Lopez

Aux Universités de printemps du SNVEL, l’intelligence artificielle s’est invitée au cœur des débats vétérinaires. Entre promesses technologiques, défis juridiques et enjeux éthiques, experts et praticiens ont partagé leurs expériences. Et mis en garde contre les limites de l’outil, sans perdre de vue l’essentiel : le sens critique et la relation humaine.

C’est à l’école nationale vétérinaire d’Alfort, dans un amphithéâtre attentif, que David Quint, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), a ouvert les Universités de printemps 2025 de l’organisation, qui se sont déroulées les 22 et 23 mai. Dans son discours de bienvenue, il a posé le cadre thématique consacré à l’intelligence artificielle (IA), un sujet qui « alimente beaucoup de fantasmes ». L’ambition affichée de cette édition : dépasser les projections spectaculaires pour interroger, avec pragmatisme, les contraintes qui accompagnent l’usage de cet outil aussi puissant que déroutant. Au programme étaient prévus des retours d’expériences concrets, un éclairage sur les implications juridiques et des réflexions éthiques.

L’IA questionne aujourd’hui les établissements d’enseignement vétérinaire en Europe. Il s’agit d’une réflexion d’autant plus complexe en France, où l’usage de certaines solutions reste entravé par des restrictions réglementaires. « Une circulaire du Premier ministre nous interdit d’utiliser des outils qui n’hébergent pas les données en Europe, pour des raisons de confidentialité », indique le professeur Christophe Degueurce (A 90), directeur de l’école nationale vétérinaire d’Alfort. Pour autant, la réalité s’impose : les étudiants s’emparent déjà de ces technologies, notamment dans le cadre de leurs travaux de recherche. Ce qui, selon le responsable d’établissement, impose de renforcer l’accompagnement pédagogique : « Encadrer des thèses où l’IA est utilisée, c’est aussi poser la question du sens critique. »

Annick Valentin-Smith (A 78), présidente de Vet In Tech, a proposé une introduction pédagogique et structurée à l’IA, en particulier dans son application au monde vétérinaire. Aux États-Unis, 40 % des praticiens l’utilisent, souvent à titre personnel. Un tiers l’emploie quotidiennement, surtout pour l’imagerie, les comptes rendus et l’aide au diagnostic. Parmi les solutions médicales déjà utilisées figurent Zoetis (Vetscan Imagyst) et Idexx pour la cytologie, ZAG, précurseur de l’IA symbolique pour l’aide au diagnostic, et Picoxia ou SignalPet, dédiées à l’imagerie vétérinaire.

Pour Grégory Santaner (N 99), praticien pendant 20 ans et fondateur de VetoNetwork, les progrès les plus spectaculaires sont à chercher du côté de la médecine prédictive. Antech et Mars Petcare ont conçu un modèle établi sur les données de 150 000 chats, collectées durant 20 ans. À partir d’indicateurs simples (urée, créatinine, protéines urinaires, âge, etc.), l’algorithme RenalTech prédit avec 95 % de précision l’apparition d’une maladie rénale chronique dans les deux ans. D’autres affections suivront : le diabète félin est en ligne de mire.

Points de vigilance

Mais ces promesses s’accompagnent de risques. Grégory Santaner a mentionné deux principaux dangers : la dépendance aux données — qui pourrait fragiliser le jugement clinique — et le manque de formation des soignants. D’après l’enquête « Jeunes vétérinaires et numérique » (VetoNetwork, octobre 2022), plus de 80 % des étudiants vétérinaires n’ont pas été formés à leur usage. Jean-François Ravier (A 80), directeur technique et scientifique animaux de compagnie chez Boehringer Ingelheim, a aussi mis en garde contre les limites des IA génératives, comme ChatGPT : « Quand vous lui demandez des sources scientifiques, il peut inventer des références qui n’existent pas. Il faut vérifier. » Ces « hallucinations » sont courantes et imposent un regard critique.

L’introduction de l’IA dans les pratiques vétérinaires n’échappe pas aux exigences du droit. Arnaud Bouton, avocat spécialisé en droit du numérique, a rappelé que l’IA ne peut pas être tenue responsable : « Il faut toujours un humain ou une société pour en répondre. » Autrement dit, la responsabilité de la clinique reste pleinement engagée en cas de recours à l’IA. Même si un outil d’aide au diagnostic est utilisé, c’est le praticien qui porte la décision, et donc, l’éventuel préjudice causé. « L’IA ne saurait être laissée seule dans la prise de décision », insiste Arnaud Bouton.

Alléger la gestion administrative

Mathieu Lamant (L 07), expert en IA, a créé HVC Premium il y a deux ans pour permettre à plus de vétérinaires et de chefs d’entreprise de se libérer de leurs contraintes grâce à l’IA. Pour lui, les raisons d’automatiser sont nombreuses : onboarding, c’est-à-dire l’intégration des nouveaux collaborateurs (avec Chat GPT), gestion des e-mails, comptes rendus de réunion (avec Google Gemini AI), rapprochement bancaire, inventaire, registre des stupéfiants, présentation pour une réunion d’équipe (gamma.app) ou encore création d’un fil d’actualité personnalisé (grâce à des outils no code). Karine Rossetto-Brion, directrice d’APForm, a donné plusieurs exemples pratiques de l’utilisation de l’IA dont la rédaction d’une annonce de recrutement pour LinkedIn avec ChatGPT.

Julien Le Tual, vétérinaire en milieu rural, a également partagé son expérience concrète de l’IA au quotidien, en s’appuyant sur des usages particulièrement efficaces. Parmi eux, la création d’un chatbot pour le décharger des questions répétitives. Face aux nombreuses sollicitations sur la vaccination de la fièvre catarrhale ovine (FCO) ou de la maladie hémorragique épizootique (MHE), il a développé en quelques minutes un chatbot vétérinaire, nourri avec les communications internes de la clinique. Ce dernier oriente les éleveurs de manière personnalisée, calcule les quantités à commander, donne un devis indicatif et renvoie vers la clinique pour la validation. « J’ai juste mis ce qu’on dit habituellement et il fait le reste », commente le praticien.

L’intelligence artificielle se décline aussi dans des usages plus ludiques — néanmoins utiles. Birdfy, par exemple, combine mangeoire et caméra intelligente pour reconnaître les espèces d’oiseaux et envoyer des notifications en temps réel. Flappie, une chatière équipée d’un système de reconnaissance d’image, identifie les proies rapportées par le chat et envoie photos et vidéos à son propriétaire. Petnow, quant à elle, utilise l’empreinte nasale, unique et stable dans le temps, pour identifier les chiens sans recours à la puce électronique ou au tatouage.

Irremplaçable expérience de terrain

La jeune génération était également présente à ces universités. Constance Gigaud, Hadrien Iché et Bertrand Clavel, représentants du SNVEL junior, ont partagé leur vision de la pratique vétérinaire à l’ère de l’IA. Tous trois sont convaincus que certaines techniques seront amenées à être remplacées par ces nouvelles technologies. Ils souhaitent pouvoir confier à l’IA — à condition qu’elle soit correctement paramétrée — la gestion des appels, le suivi des dossiers et l’ensemble des tâches administratives qui grèvent leur temps. « L’IA nous délestera de tâches chronophages, pas de notre science vétérinaire », affirment-ils. Pour eux, elle ne saurait remplacer l’expérience de terrain, ni la capacité à tisser une relation de confiance avec le client. « À l’école, on ne nous enseigne pas seulement un bagage technique, mais aussi des manières de penser. » Pour eux, une ligne rouge demeure : « Nous conserverons toujours les décisions éthiques. »

Si, pendant les deux journées, les participants ont exploré les usages de l’IA du point de vue des vétérinaires, qu’en est-il des propriétaires d’animaux ? Ils sont prêts. Selon une étude menée en avril 2025 (Les Français et l’IA en santé, Galeon x Flashs), 17 % des 18-24 ans ont déjà appliqué les conseils d’une IA générative pour leur propre santé sans consulter de médecin. Une transposition au monde vétérinaire semble inévitable.