Un regard flatteur du public sur la profession, un vécu plus nuancé… - La Semaine Vétérinaire n° 2077 du 29/04/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2077 du 29/04/2025

Société

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Irène Lopez

Une enquête menée par Boehringer Ingelheim auprès des propriétaires d’animaux révèle une forte appréciation du travail des vétérinaires. Pourtant, eux-mêmes continuent de ressentir un manque de reconnaissance. Ce décalage souligne la nécessité d’une meilleure compréhension des contraintes qui pèsent sur la profession.

«Leur travail essentiel a un impact sur la société, mais reste largement invisible. De qui s’agit-il ?» C’est la question qu’a posée Boehringer Ingelheim à plusieurs personnes à travers le monde. Les entretiens ont été filmés et ont donné lieu à une vidéo intitulée « Devinez qui ? », diffusée sur les réseaux sociaux du laboratoire dans le cadre de sa campagne « Going Beyond ».

Pour aider les participants à formuler leurs réponses, plusieurs indices leur étaient donnés. Le premier ? « Ces professionnels travaillent en équipe et certains suivent plus de 10 ans de formation. » Après un moment d’hésitation, les réponses fusent : «Architecte» pour le Nord-Américain, «pompier ou policier» pour un habitant d’Amérique latine, «une profession de la sphère juridique» déclare la Française. Sont également évoqués «médecin» et «infirmier». Deuxième indice: « Ces professionnels peuvent passer beaucoup de temps sur la route se rendant dans des endroits isolés pour leur travail. » La Française en est sûre, il s’agit du «médecin légiste». D’autres réponses plus créatives sont émises telles qu’«astronaute». Troisième et dernier indice : « Ces professionnels travaillent le jour, la nuit et les week-ends, ils prennent des décisions de vie ou de mort et souffrent d’épuisement émotionnel. » L’Anglais souligne la dévotion dont doit être habité le professionnel en question tandis qu’une Nord-Américaine s’enthousiasme : «Oh ! Il doit s’agir d’une personne vraiment spéciale.»

Lorsque la bonne réponse est donnée, tous les interviewés tombent des nues. Peu se doutaient des coulisses de l’exercice vétérinaire. S’ensuivent des séquences vidéo qui tirent les larmes de l’internaute le plus insensible où chaque participant raconte une tranche de vie vécue avec son animal de compagnie : comment tel vétérinaire a sauvé son chien, tel autre a apporté toute sa bienveillance pour endormir son compagnon à quatre pattes, etc. Un show bien rodé, à l’américaine, qui invite les internautes à la réflexion et met en lumière la méconnaissance du grand public envers la profession vétérinaire.

Sensibiliser « aux réalités de l’engagement quotidien » du métier

C’est tout l’objet de cette campagne, lancée à l’occasion de la Journée mondiale des vétérinaires, célébrée le dernier samedi d’avril : amener le public à reconnaître les compétences et les engagements spécifiques du métier vétérinaire. Soutenue par plusieurs organisations internationales, dont l’Association mondiale des vétérinaires pour petits animaux (WSAVA) et l’Association mondiale de buiatrie (WAB), et le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) en France, cette initiative vise ainsi à mettre en lumière les facettes souvent invisibles du métier. « Nous voulons aider les vétérinaires à se sentir pleinement reconnus en sensibilisant davantage aux réalités de leur engagement quotidien », explique Valérie Ajzenman, directrice business santé animale France de Boehringer Ingelheim.

Si l’entreprise biopharmaceutique fait de la reconnaissance de la profession son cheval de bataille, c’est parce que le laboratoire vient de rendre public les résultats d’une enquête réalisée avec l’institut Kynetec, portant sur la perception du métier vétérinaire par les propriétaires d’animaux. L’enquête a inclus 1200 propriétaires d’animaux provenant des États-Unis (200), du Royaume-Uni (200), du Brésil (200), de Chine (200), de France (200) et d’Allemagne (200). L’enquête a porté sur des personnes possédant au moins un chien (71 %), un chat (60 %), un cheval (2 %), des animaux de ferme (2 %) et/ou tout autre animal (20 %). Cette nouvelle étude, qui complète une enquête précédente menée en 2024 auprès des vétérinaires eux-mêmes, montre un fort écart entre l’image de la profession et sa réalité quotidienne.

Une reconnaissance exprimée, mais modérément ressentie

Selon l’enquête de 2025, 94 % des propriétaires d’animaux disent apprécier le travail des vétérinaires. Ils sont 91 % à reconnaître leur rôle essentiel dans la société. Pourtant, seulement 49 % des vétérinaires interrogés en 2024 estimaient que leur profession était suffisamment reconnue. De même, si 93 % des propriétaires affirment être satisfaits du niveau de soins prodigués par les équipes vétérinaires, seuls 75 % des praticiens jugeaient l’an dernier que cette qualité de soins était pleinement reconnue par leur clientèle. Ce contraste illustre un sentiment d’incompréhension persistant au sein de la profession, malgré l’attachement exprimé par les propriétaires d’animaux.

L’étude de 2025 révèle également que 65 % des propriétaires d’animaux considèrent que les vétérinaires parviennent à maintenir un bon équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. De leur côté, en 2024, 48 % des vétérinaires estimaient que leurs clients sous-estiment les sacrifices qu’ils consentent pour préserver cet équilibre. La perception de la résilience nécessaire à l’exercice du métier suit la même tendance : 66 % des propriétaires jugent que les vétérinaires doivent faire preuve d’une grande endurance émotionnelle, un chiffre nettement inférieur à celui associé à d’autres professions telles que les médecins, les pompiers ou les policiers. Pour 49 % des vétérinaires interrogés en 2024, cette exigence émotionnelle est souvent méconnue du grand public.

Des missions aussi invisibles que méconnues

Les organisations professionnelles insistent sur la nécessité de renforcer la visibilité de la contribution vétérinaire. « Les équipes vétérinaires sont en première ligne de la santé et du bien-être animal, mais les exigences physiques et émotionnelles qu’implique leur métier sont souvent ignorées », confirme le Dr Jim Berry, président de la WSAVA. Arcangelo Gentile, président de WAB, souligne que les vétérinaires jouent également un rôle crucial dans la sécurité alimentaire et la lutte contre les maladies infectieuses, des missions encore insuffisamment reconnues par le grand public.

En France, le SNVEL rappelle que la profession est au croisement des enjeux de santé animale, de santé publique et de bien-être sociétal. « Les vétérinaires occupent une place centrale, mais leur engagement reste encore trop souvent invisible », déclare David Quint, son président. Face à ce constat, il appelle à une reconnaissance accrue des missions assurées quotidiennement par les vétérinaires, indispensables au maintien du lien entre l’humain et le vivant. Même volonté affichée de la part d’Arcangelo Gentile : « Nous devons continuer d’accroître la sensibilisation au rôle essentiel des professionnels vétérinaires. » Jim Berry martèle : « Le public doit reconnaître davantage l’engagement et les longues heures consacrées par les équipes vétérinaires […] ».

Le but est, pour Valérie Ajzenman, de permettre aux vétérinaires de continuer d’exercer leur métier avec passion. L’enjeu est de taille : une enquête réalisée par l’université de Bourgogne Franche-Comté pour le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires publiée en 2022 montre que près de 5 % des vétérinaires enquêtés avaient eu des pensées suicidaires la semaine précédant l’enquête, tandis que plus de 18 % supplémentaires en avaient occasionnellement.