IAHP : une crise contenue, « mais pas terminée » - La Semaine Vétérinaire n° 2077 du 29/04/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2077 du 29/04/2025

DOSSIER

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

La vaccination des canards contre l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) initiée en 2023 a permis d’éviter de nouvelles crises sanitaires majeures en France métropolitaine. Toutefois, cette stratégie vaccinale couplée aux mesures de biosécurité demeurent essentielles face à la circulation toujours active du virus dans l’avifaune sauvage.

Après plusieurs années de crises, les professionnels des filières avicoles, dont les vétérinaires, soufflent enfin. Pour la saison 2023-2024, seuls 10 foyers d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) ont été confirmés en élevage en France métropolitaine. Et 15 pour la saison 2024-2025, toujours en cours (plus quatre chez des oiseaux captifs). Des chiffres qui dénotent avec les saisons précédentes. Et en particulier avec la grande crise de 2021-2022 : plus de 1300 foyers de volailles avaient été dénombrés, un record !

A-t-on trouvé la solution idéale ? Peut-on entrevoir plus sereinement l’avenir ? Une chose est sûre : la vaccination des palmipèdes entreprise en 2023 a porté ses fruits. « Le postulat de départ était que les canards sont les espèces motrices dans la dynamique de circulation des virus influenza aviaires hautement pathogènes. C’est ce qui a fondé la stratégie vaccinale. Et force est de constater que cela a fonctionné. Ce qui se passe valide tout ce qu’on avait imaginé dans nos modèles », explique Jean-Luc Guérin, professeur à l’école nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) et responsable de la chaire de biosécurité. Les équipes de l’école l’ont confirmé dans des travaux de modélisation1 : la première campagne aurait évité 487 foyers en élevages de volailles, soit bien plus que les 10 foyers détectés réellement sur le terrain en 2023-2024. Un bénéfice certain donc, probablement d’autant plus cette saison caractérisée par une circulation virale plus marquée dans l’avifaune sauvage (voir encadré). « Il faut rester très modeste et prudent face à un virus qui continue à circuler et à évoluer, confirme l’enseignant. On ne peut certainement pas dire que la crise est terminée. »

Une stratégie vaccinale qui s’ancre dans la durée…

La vaccination est partie pour durer. « Ce sera l’affaire de plusieurs années, mais combien ? Sept, 10, 20 ans ? C’est difficile de se prononcer, estime Jocelyn Marguerie, praticien avicole dans les Deux-Sèvres et président de la commission aviaire de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Mais au-delà de son intérêt certain pour limiter les foyers, cet outil répond aussi à la demande sociétale de limiter les dépeuplements massifs d’animaux. »

François Landais, praticien avicole dans les Pyrénées-Atlantiques, zone historiquement touchée par les premières épizooties, souhaite que la vaccination devienne « une mesure permanente ». « L’approche la plus pragmatique est qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Il ne faut pas perdre de vue que la plus grosse crise sanitaire de 2021-2022 a dépassé le milliard d’euros de préjudices, quand la vaccination coûte 80 millions par an », détaille-t-il. De plus, « si c’était infaisable d’un point de vue logistique, nous n’aurions pas été capables d’assumer la vaccination pendant 18 mois, assure le vétérinaire. Nous avons démontré que c’était tenable dans la durée. Il ne faudrait pas qu’on en arrive à prendre de mauvaises décisions par impératif budgétaire. Car en baissant la garde, le risque est de se retrouver avec un nombre non négligeable de foyers, ce qui ferait qu’on aurait à la fois les éventuels inconvénients de la vaccination et ceux d’une crise sanitaire. »

Force est de constater que cette contrainte budgétaire est déjà à l’œuvre. L’État a récemment annoncé une baisse de sa participation au financement de la campagne, passant de 70 % à 40 % d’aides publiques. Les professionnels mettent la main à la poche pour le complément. « Le plan de vaccination est très lourd financièrement. C’est un vrai point de fragilité pour l’avenir », s’inquiète Jean-Luc Guérin.

… mais qui se heurte à son coût

Quelles solutions pour limiter les coûts ? « Je trouve normal que tous les maillons se posent la question du coût. Les vétérinaires ont été force de proposition, avec une réduction du nombre de visites de surveillance active et en établissant les moyens de la vaccination au couvoir. Pour cette deuxième campagne, une partie des canetons reçoit ainsi sa première dose du vaccin au couvoir, et non plus en élevage. Cela limite le nombre d’interventions des équipes de vaccination et de supervisions vétérinaires et donc le coût, sans impacter l’efficacité », explique Jocelyn Marguerie. « Des travaux scientifiques essaient de déterminer s’il est possible d’optimiser le nombre de visites et de prélèvements, à efficacité égale. Il se trouve que le dispositif actuel de surveillance coûte plus cher que la vaccination en elle-même ! », appuie Jean-Luc Guérin.

Selon les données du ministère de l’Agriculture, entre octobre 2024 et février 2025, 76 % des canards ont été vaccinés au couvoir et 24 % en élevage. « Lors de nos visites, nous insistons auprès des éleveurs sur l’importance de la bonne réalisation de la surveillance passive renforcée. Sur la base d’études scientifiques, on estime que si elles étaient bien faites, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui, cela pourrait permettre de réduire le nombre de prélèvements des visites actives », souligne le président de la commission avicole de la SNGTV.

Praticien avicole en Bretagne, Julien Flori avance que le coût devrait être mieux partagé. « Aligner l’ensemble des filières volailles sera le prochain défi. La filière palmipèdes ne peut pas, à elle seule, assumer tous les coûts. Les autres profitent aussi de cette vaccination et du statut indemne de la France qui peut être conservé. Rappelons que malgré la vaccination la France est le seul pays au monde à pouvoir exporter sa génétique en Chine. »

« Un travail à faire sur la régulation des densités d’élevage »

Réfléchir au coût de la lutte doit s’incrire dans une vision plus large, affirme Jean-Luc Guérin. « On peut partir du principe qu’on ne va pas pouvoir se passer de vaccination pendant des années, le risque d’introduction via l’avifaune sauvage étant toujours là. Il faut donc bien penser à une stratégie avec des modèles économiquement soutenables à moyen terme. Il s’agit de mobiliser des leviers pour améliorer la résilience sanitaire des élevages, explique-t-il. Il y a un travail à faire sur la régulation des densités d’élevage dans les zones les plus à risque. Un travail aussi sur l’optimisation des flux pour limiter l’entrecroisement perpétuel des animaux, des matériels et des professionnels qui est propice à la diffusion virale. Dans certaines zones, il peut ne plus être raisonnable d’installer de nouveaux élevages… De manière générale, il faudra intégrer l’aspect sanitaire dans les politiques d’installation et de renouvellement des élevages. Au final, c’est tout un travail sur la biosécurité qui est à continuer et à inscrire dans une approche territoriale. »

Ce raisonnement a fait l’objet d’une publication dévoilée en octobre 20242. Y sont décrits deux étapes pour des plans régionaux de biosécurité. La première vise à limiter la densité via la restriction de placements de volailles en période à haut risque et un plus long temps d’arrêt entre cycles de production. La deuxième étape, de plus long terme, consiste à mettre en place des mesures incitatives pour une meilleure répartition des sites de production, avec de possibles cadres réglementaires définissant des distances minimales entre nouveaux élevages de volailles et ceux déjà en place. Objectif ? « Réduire le risque d’une flambée incontrôlable de foyers dans les zones à forte densité, empêchant les services vétérinaires d’être débordés même si une région plus vaste est touchée. »

« Le modèle France est associé à une multiplicité de facteurs de risque »

Les plans régionaux de biosécurité ne sont pas encore à l’agenda. « Notre priorité est de continuer à travailler sur la vaccination, mais sans qu’on ne perde de vue ces défis », indique Jean-Luc Guérin. Mais des mouvements de fond ont toutefois déjà débuté. « Les entreprises d’accouvage ont délocalisé une partie de leur troupeau pour éviter que toute la génétique soit localisée au milieu des zones d’élevages, ajoute Julien Flori. Car lors de la crise de 2022, certains accouveurs avaient perdu 80 à 90 % de leur génétique ! » Dans le Sud-Ouest, « la restructuration des modèles d’élevage a déjà commencé, affirme François Landais. Avec les arrêtés biosécurité, certains modèles archaïques ont disparu. Actuellement, je ne pense pas nécessaire de révolutionner une filière qui a déjà fait beaucoup d’efforts ces 10 dernières années. Il faudra toutefois être vigilant quant au maintien dans le temps de mesures de biosécurité concédées à l’époque où la vaccination n’était pas possible, et qui paraissent aujourd’hui plus coûteuses et contraignantes qu’indispensables aux yeux de certains éleveurs ou entreprises (voir témoignage). »

Difficile d’imaginer un changement drastique des modèles d’élevage français pour Jocelyn Marguerie. « De manière théorique, on pourrait se dire qu’avoir des grosses structures d’élevages de 20 à 50 bâtiments fermés, comme cela se voit dans beaucoup d’autres endroits du monde, permettrait de mieux maîtriser le risque sanitaire. Mais je ne crois pas que nous en arrivions à ce genre d’organisation en France, car nous sommes très attachés à nos modèles : en moyenne deux bâtiments d’élevage, en association avec des terres agricoles et d’autres ateliers d’élevage… et de nombreux flux d’élevage. Le schéma de la France, c’est aussi une diversité d’espèces d’oiseaux. Ce modèle va de pair avec une multiplicité de facteurs de risque. Sans changement significatif, il semble difficile de réduire la voilure sur la vaccination. »

Les Assises du sanitaire animal, en cours depuis fin janvier 2025, pourront-elles aider ? Selon François Landais, « elles permettront de réfléchir aux défis d’avenir de la lutte, avec un objectif de performance, de responsabilité et de coût ».

Barbara Dufour (A 80)

Professeure en épidémiologie et maladies contagieuses à l’école nationale vétérinaire d’Alfort

La biosécurité, compliquée mais nécessaire 

La biosécurité reste le défi prioritaire de nos élevages, à la fois au niveau individuel et régional. Je ne sous-estime pas la difficulté de mettre en œuvre ces mesures, mais nous n’avons pas d’alternatives. Les oiseaux migrateurs vont continuer à amener des virus. Et des petites fautes de biosécurité peuvent avoir des conséquences très lourdes. C’est une affaire complexe : ce n’est pas, par exemple, seulement mettre les animaux en intérieur. À titre d’illustration, dans la filière canards à rôtir, un paillage est effectué deux fois par jour, ce qui soulève de vrais défis de biosécurité. La place des élevages à proximité des zones humides, où stationnent des laridés et se posent des oiseaux migrateurs, est aussi à questionner. L’éleveur n’est pas le seul concerné, tous les intervenants des élevages le sont. Il faut donc raisonner la biosécurité à la fois dans les filières qui doivent s’organiser mais également géographiquement dans les zones qui partagent les mêmes risques. Aujourd’hui, il est d’autant plus nécessaire de continuer à porter le discours sur l’importance de la biosécurité et l’efficacité de la vaccination. Le risque est que cette dernière démobilise les éleveurs sur la biosécurité. 

François Landais (Liège 2004)

Praticien en filière avicole à Arzacq-Arraziguet (Pyrénées-Atlantiques)

Peut-on assouplir les mises à l’abri ? 

Les mises à l’abri sont aujourd’hui questionnées. Dans le Sud-Ouest, les élevages de canards à foie gras ont des cahiers des charges caractérisés par un accès à des parcours extérieurs et ne sont pas dimensionnés pour une claustration au long cours. Avec le succès de la vaccination, les éleveurs, qui n’étaient à la base pas engagés pour cette mesure, ont de plus en plus de mal à comprendre son intérêt. Actuellement, il y a donc un nombre significatif d’éleveurs qui ne claustrent plus leurs animaux depuis plusieurs semaines voire quelques mois. Certains s’y conforment jusqu’à ce que leurs animaux aient le schéma vaccinal complet puis prennent des libertés. Dans ma zone, je dirais qu’un éleveur sur deux ne respecte plus les règles. Force est de constater, tout va bien malgré la proportion significative de non-mises à l’abri. Dans ces conditions, et maintenant que le niveau d’efficacité du vaccin est connu, est-ce qu’il ne serait pas possible d’assouplir les mesures de mise à l’abri ? Ou alors se dire qu’une sortie est possible sous conditions, par exemple un protocole à trois doses ou un renforcement de certaines mesures de biosécurité ? 

Julien Flori (N 93)

Paticien avicole à Châteaubourg (Ille-et-Villaine)

Défendre notre système de vétérinaires sanitaires 

Aujourd’hui, la France est le seul pays au monde à vacciner contre l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) et à conserver le statut indemne. Pour cela, le règlement délégué (UE) 2023/361 impose d’avoir des visites mensuelles de vétérinaires officiels dans les élevages vaccinés, afin de s’assurer de la non-circulation de souches sauvages d’influenza hautement pathogène. C’est notre organisation sanitaire unique et reconnue qui nous permet de le faire. En tant que vétérinaire habilité, nous avons un statut officiel. En une année, nous avons ainsi réalisé un million d’écouvillons et aucun n’est revenu positif. Cette surveillance active est une garantie importante pour les pays tiers qui importe depuis la France. Beaucoup nous envient ce système, il faut continuer à le défendre.

Un risque modéré uniquement sur le papier...

Si la France a abaissé officiellement son niveau de risque épizootique vis-à-vis de l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP), cela est en réalité loin de signifier la réduction du risque. « Si on s’en réfère aux critères épidémiologiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)*, nous sommes toujours à un niveau de risque élevé, expliquait, début avril 2025, Béatrice Grasland, cheffe de l’unité virologie, immunologie, parasitologie aviaires et cunicoles au laboratoire de Ploufragan – Anses (Côtes-d’Armor). Le virus a été détecté chaque semaine au mois de mars dans l’avifaune sauvage. Les élevages restent fortement soumis à un risque d’introduction, d’autant plus ceux qui n’entrent pas dans la stratégie vaccinale. » Pour rappel, l’obligation vaccinale ne concerne actuellement que les élevages de palmipèdes de plus de 250 canards.

Par ailleurs, les détections de l’IAHP dans l’avifaune sauvage ne relèvent plus uniquement des oiseaux migrateurs. Certains génotypes sont désormais implantés dans l’avifaune autochtone. Et cette pression environnementale ne semble pas montrer de signes de réduction. « La situation épidémiologique est restée la même qu’il y a deux ans, voire elle s’est aggravée du fait de l’endémisation et de l’atteinte des mammifères. »

Une contamination des ruminantes possible aussi en Europe

Sur ce dernier point, ni l’Europe ni la France, ne sont à l’abri d’un passage du virus des oiseaux à des ruminants, comme cela se passe aux États-Unis. Selon les données des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) au 14 avril 2025, 167 millions d’oiseaux aquatiques sauvages et de volailles commerciales et d’élevages de basse-cour ou amateurs ont été détectés positifs au virus depuis janvier 2022. Avec 51 États touchés, c’est tout le territoire qui est concerné. En 2024, le virus a atteint les élevages de vaches laitières avec, aujourd’hui, plus de 1000 élevages touchés dans 17 États. « Au départ, on pensait que l’introduction du virus en élevage bovin était un évènement rare. Mais on a montré qu’il y avait eu plusieurs introductions dans les élevages bovins laitiers américains. Et puis, récemment, le Royaume-Uni a signalé son premier cas chez une brebis. Et rappelons que des travaux de recherche menées en Allemagne avaient montré en 2024 que les virus circulant dans l’avifaune sauvage de leur territoire avaient la capacité d’infecter des vaches laitières. C’est un nouveau risque qui n’était pas pris en compte. On travaille là-dessus », poursuit Béatrice Grasland. Au-delà des impacts pour les animaux et les filières d’élevage, ce contexte sanitaire pose de plus en plus la question de l’émergence d’un virus adapté à l’humain.

* Avis de l’Anses relatif à « la réévaluation des critères d’élévation et de diminution du niveau de risque en raison de l’infection de l’avifaune par un virus influenza aviaire hautement pathogène ». bit.ly/4lKPtXD

  • 1. Fourtune L., Lambert S., Martin E., et coll. (2024). Promising effects of duck vaccination against highly pathogenic avian influenza, France 2023-24. 10.1101/2024.08.28.609837. bit.ly/42fNq68
  • 2. Vergne T., Paul M. C., Guinat C., et coll. Highly pathogenic avian influenza management policy in domestic poultry: from reacting to preventing. Euro Surveill. 2024;29(42):pii=2400266. bit.ly/4ieDvCv