Santé
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Lukas Muller-Pillet
Une thèse de fin d’exercice soutenue en 2024 a étudié pour la première fois le rapport des étudiants vétérinaires à l’alcool. Fondée sur près de 800 réponses, elle relève notamment un besoin d’information et de prévention sur le sujet exprimé par les élèves.
La consommation d’alcool dans le milieu des écoles vétérinaires est un sujet souvent évoqué, parfois sur le ton de l’humour, parfois sous forme de critique. Cependant, aucune étude n’avait véritablement exploré cette question au sein de ces établissements. Face à ce manque d’informations concrètes, une thèse de fin d’exercice1 soutenue en 2024 s’est penchée sur le sujet. Son but ? Évaluer objectivement la place de l’alcool au sein de différentes écoles vétérinaires, en France et à l’international. Pour ce faire, un questionnaire a été diffusé auprès des étudiants de plusieurs établissements francophones. L’objectif était double : établir un état des lieux des habitudes de consommation et proposer un outil d’introspection et de sensibilisation sur le sujet. Le formulaire s’articulait autour de cinq axes : le profil des répondants tout en respectant leur anonymat, la consommation d’alcool (évaluée avec une adaptation de l’Alcohol Use Disorder Identification Test ou Audit2), les habitudes de consommation, la perception des étudiants sur leur usage et, enfin, l’impact du questionnaire sur leur vision de l’alcool.
Bien que l’échantillon ne soit pas représentatif de l’ensemble de la population étudiante vétérinaire, il comprend 782 réponses ce qui permet d’obtenir des premiers éléments d’information sur certaines habitudes de consommation et la perception du sujet. Les résultats dévoilent une idée de la réalité de la consommation d’alcool chez environ 20 % des étudiants présents dans les écoles analysées. L’échantillon inclut des élèves des quatre établissements français publics ainsi que ceux de Cluj-Napoca (Roumanie) et de Sainte-Hyacinthe (Canada).
Un usage (trop) important ?
Environ un répondant sur deux obtient un score Audit révélant un mésusage ou une dépendance. Toutefois, afin de dissocier réellement l’addiction d’un mésusage, des examens médicaux et psychologiques approfondis sont nécessaires. Cette donnée, bien que significative, s’inscrit dans la variabilité des études menées en milieu étudiant (25 à 85 %). Un élément important ayant un impact sur la santé des étudiants est le comportement de binge drinking, c’est-à-dire la consommation d’une grande quantité d’alcool en un court laps de temps. Très présente dans cette étude, cette manière de consommer tend à diminuer avec l’avancée dans le cursus. Le phénomène, nommé « maturité », est décrit dans la littérature. Il reflète l’évolution des habitudes de consommation avec l’âge et l’expérience et se traduit principalement par une réduction de la fréquence des épisodes mais pas de leur intensité. Les répercussions du binge drinking sur la santé ne se limitent pas aux conséquences immédiates d’une forte consommation. Elles ont également un impact à long terme sur le corps. Des effets délétères, tant sur l’organisme que sur l’esprit, semblables à ceux observés dans un contexte de mésusage chronique sont décrits, même à faible fréquence.
Les traditions et leur impact sur la consommation
Il est de coutume dans les milieux étudiants d’introduire les nouveaux arrivants au rythme d’événements festifs, afin de créer ou de renforcer les liens sociaux. Le milieu vétérinaire ne fait pas exception. Le poulotage, tradition d’intégration des nouveaux étudiants vétérinaires, est profondément ancré dans les écoles. Lors de ces rencontres, les excès de consommation ponctuels sont habituels et une certaine pression sociale poussant à boire de l’alcool peut être ressentie par certains élèves. Plus d’un répondant sur quatre indique l’avoir éprouvée, notamment lors du poulotage ou d’autres événements annuels. Elle ne se limite cependant pas au cadre festif : près de 10 % des participants déclarent avoir subi une pression pour consommer dans un contexte professionnel.
Il est toutefois bon de noter que, malgré ces chiffres, peu d’étudiants estiment les pressions sociales ou le conformisme comme une motivation de leur propre consommation. Les motifs d’usage de l’alcool sont classiquement répartis en quatre catégories : motivations sociales (améliorer les expériences sociales), de conformité (boire pour s’intégrer à un groupe), d’amélioration (recherche de sensations ou d’émotions positives), d’adaptation (gestion du stress, de l’anxiété ou de la dépression). Les deux derniers types de motivation sont les plus associés à un risque de développement d’une dépendance. Dans cette étude, si les raisons sociales restent dominantes, les motivations d’adaptation apparaissent en second plan, suggérant la présence d’un mal-être sous-jacent dans ces cursus scolaires exigeants.
L’introspection, un outil de compréhension et de dépistage
Un point important évalué dans l’étude est le niveau d’introspection des répondants quant à leur consommation. En leur demandant de se positionner sur la pyramide de Skinner (outil en addictologie permettant de classer la consommation d’un individu en cinq catégories allant d’« absente » à « problématique »), plusieurs étudiants ont conscience d’avoir une consommation excessive, voire problématique. La présence d’un mésusage de l’alcool se ressent au sein de cette communauté, car 65 % des répondants se sont déjà inquiétés de la consommation d’un proche vétérinaire. Certains ont même observé des signes de manque chez eux ou chez un ami.
L’étude met également en avant des comportements à risque spécifiques au quotidien des étudiants vétérinaires. Il est constaté le fait de ne jamais aller en soirée sans consommer d’alcool ou de ressentir une frustration lorsqu’il faut s’en passer. Ce dernier point se retrouve notamment dans le cadre du rôle de « Sam » (sans accident mortel), qui désigne l’étudiant désigné pour ne pas boire afin de raccompagner ses amis en toute sécurité. La consommation d’alcool systématique en toutes circonstances, y compris les événements calmes ou de simples repas, serait un autre trait associé à un score Audit élevé. Mieux comprendre les habitudes et identifier des indices ciblés dans le quotidien des étudiants permettrait d’élaborer des outils d’introspection et d’autodépistage du mésusage d’alcool.
Une sensibilisation à perfectionner
Si le questionnaire a été majoritairement bien accueilli, avec de nombreux retours positifs, quelques commentaires négatifs ont émergé. Ceux-ci mettent en avant un sentiment culpabilisateur ou moralisateur de ce genre d’enquête. Un sentiment trop souvent ressenti malgré l’absence d’une telle volonté. Ces réactions illustrent la difficulté de sensibiliser sans générer un sentiment de culpabilité ou d’accusation. Trouver un équilibre entre information et adaptation au public visé reste un défi essentiel pour élaborer des outils de sensibilisation efficaces.
Par ailleurs, les étudiants ont mis en avant un manque d’informations sur les risques liés à l’alcool et de dispositifs de soutien. Beaucoup expriment une volonté d’améliorer la prévention au sein des écoles vétérinaires en mettant en place des outils plus en phase avec leur réalité. Si cette étude ne met pas en évidence une surconsommation spécifique aux écoles vétérinaires par rapport à d’autres cursus, elle souligne néanmoins la nécessité d’un accompagnement et d’une réflexion sur la consommation d’alcool et le bien-être étudiant, dans un esprit bienveillant et constructif.
Les recommandations de l’OMS
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de ne pas boire plus de deux verres d’alcool standard par jour et pas tous les jours. Un verre d’alcool standard représente 10 g d’alcool pur, ce qui représente un verre de 10 cl de vin à 12 %, 25 cl de bière à 5 % ou encore 3,5 cl d’alcool fort à 35 %. Elle recommande de ne pas excéder l’équivalent de 10 verres par semaine.