Ruminants
DOSSIER
Auteur(s) : Par Chantal Béraud
La gestion de la biosécurité dans les élevages de ruminants est un enjeu sanitaire et économique majeur. Alors que le sujet est débattu à l’occasion des Assises du sanitaire animal, qu’en pensent la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) et le réseau national des groupements de défense sanitaire (GDS France) ?
C’est une évidence mais qui semble bonne à redire : la biosécurité constitue l’un des piliers essentiels en matière de prévention des maladies. Pour Aurélien Meurisse, vétérinaire praticien à Autingues (Pas-de-Calais) et membre de la commission épidémiologie de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), « elle doit être renforcée pour les ruminants ». Notamment en production bovine. « La biosécurité existe davantage dans les filières porcines et aviaires, où les éleveurs sont obligés d’être formés et sont audités depuis plusieurs années déjà », affirme-t-il. « Il est vrai que cela est plus facile pour eux, ajoute Aurélien Meurisse, car elle y est souvent mise en place à l’intérieur de bâtiments d’élevage. Et même si des parcours sont organisés à l’extérieur, ils suivent souvent des schémas d’organisation identiques. » En élevage bovin, le praticien constate en revanche que la biosécurité doit être adaptée à de multiples formes de fonctionnement. Et d’énumérer plusieurs cas de figure : « Il faut distinguer les troupeaux qui sortent et ceux qui ne sortent pas. Qui pâturent à côté de la ferme ou plus loin. Qui côtoient d’autres animaux voisins ou pas. Et cætera. » Par conséquent, « il faut parvenir, notamment au travers de la visite sanitaire obligatoire, à sensibiliser les éleveurs à cet enjeu, en s’adaptant au cas par cas à chaque exploitation ». Mais en proposant aussi parfois après cette sensibilisation une possibilité de formation. « C’est en tout cas ce que nous faisons déjà dans les Hauts-de-France, avec une formation d’un jour en biosécurité, explique Aurélien Meurisse. Et quand nous organisons ces formations, nous veillons à bien constituer des groupes d’éleveurs qui ont sensiblement les mêmes problèmes à résoudre. » Par ailleurs, il rappelle qu’au niveau national, il existe un Mooc sur ce sujet, qui a été mis au point par le réseau GDS France (groupement de défense sanitaire) et la SNGTV.
De multiples enjeux
Augmenter la biosécurité dans son élevage permet naturellement d’accroître les chances de ne pas perdre son cheptel mais aussi d’avoir moins de risques de contaminer tant son environnement que les consommateurs… Mais que constate le praticien rural sur le terrain en matière de qualité d’hygiène globale dans les exploitations ? « Les niveaux techniques des élevages à cet égard sont très variables. Certains ont déjà atteint un très bon niveau, en allant par exemple jusqu’à prêter une paire de bottes propre au vétérinaire ou aux autres intervenants extérieurs à l’exploitation. Dans ce cas, ces partenaires doivent évidemment faire des efforts eux aussi ! » Quelles sont les recommandations essentielles à suivre en matière de biosécurité ? « Il faut notamment déterminer où se garer dans la ferme, explique Aurélien Meurisse. Placer des pédiluves aux différents points d’accès. Mettre à disposition un point d’eau correct où se laver les mains à l’eau chaude. » Autre point fondamental : l’éleveur doit aussi penser biosécurité dans son propre fonctionnement quotidien afin d’éviter que les pathogènes ne circulent. « À titre d’illustration, commente Aurélien Meurisse, il convient d’aller d’abord s’occuper de ses veaux avant d’aller soigner une vache malade ! » Au final, assure-t-il, « la biosécurité n’est pas si compliquée que cela à mettre en place. Le tout est que l’éleveur ne se laisse pas déborder et qu’il ne s’habitue pas à laisser certains points dégénérer. Certains éleveurs y parviennent bien : je vois déjà dans mes tournées des salles de traite qui sont encore aussi propres qu’au premier jour, tellement elles sont bien entretenues ».
La biosécurité, un processus gagnant
« Renforcer sa biosécurité est forcément un processus payant pour l’éleveur à long terme, conclut Aurélien Meurisse. Parce que, par exemple, l’arme de la vaccination est évidemment bien plus efficace sur des animaux en parfait état de santé et donc capables de développer une bonne immunité après l’injection. En matière de qualité de lait, améliorer ses pratiques de traite permet aussi une diminution des germes et des cellules, ce qui a un impact sur le paiement du lait. » Et de poursuivre ainsi : « En élevage laitier, je pense que l’éleveur qui atteint un bon niveau technique parvient à gagner sa vie. Même s’il est vrai que les prix du lait sont fluctuants et qu’il y a cinq ans un prix trop bas a entraîné l’arrêt d’un certain nombre d’ateliers laitiers ». « Je pense qu’augmenter la biosécurité en filière bovine est un objectif atteignable, conclut Aurélien Meurisse, mais pas en une seule semaine ! Dans ce sens, la formation collective des éleveurs reste un enjeu. » Pour sa part, GDS France estime que, dans la mesure du possible, « il convient également de limiter les contacts avec les animaux sauvages afin de protéger les élevages en plein air ». « Cependant, les coûts à supporter peuvent être trop importants pour que les éleveurs les assument seuls, précise le réseau national. Certes, la biosécurité sert en premier lieu à l’éleveur, quel que soit d’ailleurs son type de production. Mais elle sert aussi à l’État pour garantir la souveraineté alimentaire et aussi diminuer les coûts qu’il supporte dans la lutte contre les maladies. Enfin, elle est également importante pour l’aval de la filière et pour le consommateur, tant pour garantir la qualité des produits alimentaires que pour maintenir les marchés de vente à l’export. » Et d’en conclure que « le financement de la biosécurité pour l’ensemble des éleveurs devrait donc reposer sur un triptyque financier : éleveur, État mais aussi l’aval de la filière, dont le consommateur ». C’est l’un des nombreux enjeux à l’ordre du jour des Assises en cours du sanitaire animal lancées fin janvier 2025.
Témoignage
Henri Touboul
Docteur vétérinaire référent « One Health » pour le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) et la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV)
« La science progresse… et la nature s’adapte ! »
Aujourd’hui, la faune sauvage s’adapte souvent très bien aux parasites et n’exprime parfois même plus de signes cliniques. Elle parvient à survivre infectée en étant peu malade et peut alors contaminer le reste de la chaîne biologique. De même, attention aussi aux matières fécales d’animaux de rente déjà contaminées ! C’est pourquoi nous devons collectivement devenir davantage proactifs dans les relations éleveurs - propriétaires - vétérinaires - professionnels de santé - écologues. À cet effet, j’ai commencé le cycle des hautes études de l’Institut One Health, c’est passionnant !
Le point de vue de l'entité GDS France
Autre acteur sanitaire de terrain, le réseau GDS France a fêté ses 70 ans d’existence. Partie prenante des Assises du sanitaire animal en cours, le groupement nous a donné ses recommandations pour améliorer la biosécurité en élevage de ruminants.
Grâce à notre maillage départemental mais aussi cantonal et même communal dans certains départements, un gros travail de fond a été entrepris pour améliorer la biosécurité en élevage de ruminants depuis plusieurs années déjà. La première phase de sensibilisation et de pédagogie a bien avancé mais des progrès sont encore nécessaires. Quel que soit le type de production, la biosécurité doit d’abord être perçue comme une protection de son troupeau pour les maladies du quotidien avant de la voir comme une contrainte servant uniquement pour les maladies soumises à des plans d’urgence. Par ailleurs, de nombreuses mesures sont déjà appliquées par les éleveurs mais sans qu’ils les rattachent toujours dans leur esprit à de la biosécurité… La clé est d’avoir une approche globale des mesures à mettre en œuvre pour prévenir les risques. Outre la sensibilisation des éleveurs, les groupements de défense sanitaire (GDS) accompagnent les éleveurs, en lien avec leurs vétérinaires, sur la biosécurité dans leurs exploitations. Ils réalisent notamment des formations auprès d’eux. Cependant, il conviendrait que la formation initiale des élèves qui se destinent à l’élevage et celle des étudiants vétérinaires soient renforcées afin que la biosécurité soit perçue comme un élément primordial et constitutif de l’élevage de routine. N’oublions pas qu’améliorer la biosécurité, c’est aussi améliorer le « One Health ». Pour financer l’avenir du sanitaire, les principales ressources des GDS et des fédérations régionales des GDS (FRGDS) proviennent des cotisations des éleveurs adhérents. Nous bénéficions de la confiance des éleveurs, comme en atteste un taux d’adhésion volontaire de 92 %. En outre, les aides des collectivités territoriales permettent également de proposer des plans de surveillance optimisés avec l’appui des laboratoires d’analyses vétérinaires. Pour un avenir sanitaire « serein », il convient de pérenniser les allocations budgétaires en renforçant les investissements dans la prévention. Il faut aussi consolider les systèmes de surveillance, optimiser les campagnes de vaccination et continuer à toujours mieux sensibiliser les acteurs du secteur.
Des « anciennes » aux nouvelles maladies…
Dans un discours prononcé lors du congrès 2024 de GDS France, en avril, le président du réseau Christophe Moulin, installé dans l’Indre en polyculture-élevage avec un cheptel de mères charolaises, a particulièrement insisté sur deux points. À commencer par l’importance qu’il y a « de valoriser et d’aller au bout des plans d’éradication de maladies “historiques” commencés depuis de longues années », dont la tuberculose bovine, la rhinotrachéite infectieuse bovine et la diarrhée virale bovine. Et la nécessité, face à l’arrivée de nouveaux variants (fièvre catarrhale ovine, maladie hémorragique épizootique, etc.), « d’améliorer l’anticipation de la gestion de crise ». À cet égard, en avril 2025, l’entité GDS France estime que « le temps de réaction est un paramètre clé pour juguler une crise sanitaire. En plus des compétences à avoir, deux principaux éléments en assurent une bonne gestion : d’une part, avoir une information fiable et précoce de la situation épidémiologique. D’autre part, pouvoir disposer de procédures de gestion éprouvées adossées à un retour d’expérience. Il doit être prévu de mettre en place une cellule de crise avec l’ensemble des parties prenantes, assortie de procédures en définissant à l’avance le fonctionnement, les interlocuteurs, leurs contacts et le rôle de chacun. Ces procédures sont à décliner de l’échelle départementale à l’échelle européenne, sur le même principe ».
Biosécurité pendant le transport
L’application Sanibov vise à permettre aux opérateurs commerciaux de mieux organiser leurs tournées afin de ne pas mélanger des bovins sains et malades dans les transports. Selon le réseau GDS France, « son projet de nationalisation pour être disponible sur tout le territoire français est en cours de développement et devrait être effectif d’ici fin 2025. Deux maladies seront couvertes au démarrage : la rhinotrachéite infectieuse bovine et la diarrhée virale bovine. Puis d’autres maladies pourront y être ajoutées au fil de l’eau, dès lors que les données sanitaires pour ces nouvelles maladies seront disponibles au niveau national ».