Antalgie du chat, mode d’emploi - La Semaine Vétérinaire n° 2076 du 02/05/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2076 du 02/05/2025

Douleur féline

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Anne-Claire Gagnon

Conférencier

Paulo Steagall, professeur d’anesthésie-analgésie à l’université de Hong-Kong (City-UHK).

Article rédigé d’après des conférences présentées au congrès de l’International Society of Feline Medicine (ISFM), en juin 2024 à Malte.

Paulo Steagall a démarré sa carrière au Brésil et travaille depuis des années sur la reconnaissance de la douleur chez le chat, notamment avec le développement et la validation de la grille des grimaces félines1. Entre-temps, l’université de Glasgow (Écosse) avait publié la grille de la douleur aiguë en ajoutant la position du nez et des oreilles à l’observation des yeux, du corps et la palpation de la plaie. Désormais, au terme de 10 années de travail, la grille des grimaces félines réunit 5 unités à observer : les oreilles, les orbites, la tension du nez, la position des moustaches et celle de la tête (par rapport aux épaules). Pas de miracle, pour lire les émotions et la douleur sur les visages et les corps des chats, il est nécessaire de s’entraîner. C’est pour cela que le professeur d’anesthésie-analgésie a mis en place une chaîne YouTube2. Les publications scientifiques confirment que la jeune génération de vétérinaires3 a de meilleures aptitudes à lire la douleur par l’observation attentive. Paulo Steagall a signalé deux pièges avec les chats qui feignent le sommeil (et peuvent être douloureux) et ceux qui ont naturellement les yeux presque fermés, sans être douloureux.

Au-delà de l’équipe vétérinaire, les propriétaires des chats sont également à former pour mieux prendre soin de leur animal au quotidien. Des études montrent qu’ils peuvent évaluer avec justesse la douleur aiguë depuis chez eux en utilisant l’application mobile de la grille des grimaces félines, disponible sur Google Playstore et Apple Store4. Paulo Steagall a présenté les résultats de l’automatisation de la grille des grimaces félines par l’IA5 et une nouvelle application (attendue prochainement), qui pourra dire si un chat est douloureux d’après une simple photo de son visage.

Neuf signes à contrôler

Neuf indicateurs de douleur sont à vérifier : la posture, le niveau d’activité, l’attitude, les vocalisations, le niveau d’interaction avec les personnes, la réponse au toucher (pression et palpation), l’attention portée à la plaie ou à la lésion douloureuse et les expressions faciales. Les meilleurs indicateurs de l’absence de douleur sont l’expression des comportements normaux du chat et la place qu’il occupe dans sa cage d’hospitalisation. Quand il est face à la porte de sa cage et qu’il a une interaction avec l’environnement ou les personnes, c’est bon signe. Quand il se terre au fond, dos au mur, c’est qu’il est douloureux. Une position de son dos en accent circonflexe et une de ses postérieurs tendus orientent vers une douleur abdominale. Offrir à chaque chat hospitalisé un carton est une excellente politique de confort.

Après une observation à distance, la palpation douce de la plaie (s’il y en a une) ou de la zone algique permet une évaluation plus fine. Attention aux douleurs dentaires, les plus négligées selon Paulo Steagall qui recommande, lors d’extractions multiples, d’hospitaliser les chats pour évaluer la douleur de façon continue et administrer des antalgiques selon le besoin. Parmi les causes supposées bénignes, la constipation peut également être très douloureuse.

La dose d’antalgique est très dépendante de l’état émotionnel, le stress en limitant les effets. L’environnement physique et relationnel (aménagement et approche « chamicale ») peut donc favoriser l’efficacité des antalgiques ou au contraire leur nuire, à la clinique comme à la maison. L’approche antalgique multimodale per- ou post-chirurgicale est désormais systématique, sauf à disposer de buprénorphine longue action.

Recommandations pratiques

Plusieurs conseils ont été délivrés par Paulo Steagall :

- Préférer la voie intraveineuse pour la buprénorphine, à défaut l’intramusculaire.

- En chirurgie de convenance, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent être administrés avant ou après la chirurgie. S’il s’agit d’un autre type de chirurgie, les AINS sont normalement administrés à la fin de la chirurgie ou une fois le chat réveillé, surtout s’il y a des risques de saignement, qu’il y a un défaut de fluidothérapie ou si la pression artérielle n’est pas surveillée de façon systématique.

- Lors d’ovariectomie, l’approche multimodale avec un AINS, un opioïde et une instillation de bupivacaïne (anesthésie intrapéritonéale) suffit pour assurer une bonne antalgie chez 95 % des chattes.

Focus sur les douleurs ophtalmiques

Les données sont beaucoup moins nombreuses pour la chirurgie de l’œil chez le chat que chez le chien et la douleur ophtalmique peu reconnue. Il convient de palper l’œil avec douceur à l’aide d’une compresse. L’utilisation d’un bloc rétrobulbaire (réalisé sous contrôle échographique) est recommandée, sans dépasser 1 ml. Le chat est positionné avec la tête haute lors de la préoxygénation pour ne pas induire de nausée. Comme pour toute chirurgie douloureuse, la capnographie est essentielle, de même qu’une induction profonde pour réduire le réflexe laryngé, en prenant soin d’attendre 35 à 45 secondes avant d’intuber. Le cathéter est positionné sur les membres postérieurs pour ne pas gêner le chirurgien. Des larmes artificielles sont déposées toutes les 40 minutes dans l’œil controlatéral (la production de larmes est diminuée par l’anesthésie générale), les ulcères cornéens étant l’un des effets indésirables les plus fréquents des anesthésies générales.