Gastro-entérologie
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Mylène Panizo Conférenciers Valérie Freiche (A 88), PhD, DESV-MI, ingénieure de recherche et praticienne hospitalière en médecine interne à l’école nationale vétérinaire d'Alfort. Juan Hernandez (A 99), diplômé de l’American College of Veterinary Internal Medicine (ACVIM) et de l’European College of Veterinary Internal Medicine (ECVIM), professeur en médecine interne à Oniris (Nantes). Article rédigé d’après une table ronde organisée par le laboratoire Hill’s, le 8 octobre 2024, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine).
En médecine humaine, il est établi que « l’intestin est notre deuxième cerveau ». Qu’en est-il pour les animaux de compagnie ? L’étude du microbiote intestinal est relativement récente en médecine vétérinaire et ouvre un extraordinaire champ des possibles, aussi bien sur le plan diagnostique que thérapeutique.
Les animaux, comme les humains, possèdent plusieurs microbiotes (respiratoire, urogénital, cutané, intestinal, etc.). Les milliards de micro-organismes qui les composent sont divers (bactéries, virus, champignons, levures, etc.) et agissent en symbiose avec l’organisme. Ils produisent des métabolites aux rôles multiples (toxines, peptides, etc.) ou sont impliqués dans des voies métaboliques capitales pour l’organisme.
Le microbiote est un acteur de la santé, au même titre que la génétique et l’environnement. Sa composition dépend du segment anatomique concerné (sa densité est par exemple croissante tout le long du tube digestif) et évolue au cours de la vie.
Le microbiote, un organe distinct…
Juan Hernandez a cité une étude surprenante effectuée sur des rats axéniques (élevés dans un milieu stérile, dépourvus de microbiote intestinal), révélant l’importance du microbiote intestinal sur les organismes1. Les chercheurs ont transféré à ces rats un microbiote intestinal issu d’humains atteints de dépressions graves. Les rats ont alors présenté des comportements dépressifs, alors que ceux recevant le microbiote intestinal de patients sains conservaient un comportement normal. Des études similaires ont été effectuées avec un microbiote issu de patients atteints d’obésité ou d’inflammation intestinale, avec les mêmes conséquences sur le phénotype des rats. Transférer un microbiote intestinal permettrait donc de transférer un phénotype.
La composition du microbiote intestinal de patients humains atteints de certaines maladies, comme la schizophrénie, l’autisme ou la maladie de Crohn, présente certaines particularités telles qu’une diminution de l’abondance de certains genres bactériens et une diminution de la diversité microbienne. Des données similaires sont disponibles chez les chiens atteints d’obésité, d’atopie ou encore d’entéropathie inflammatoire chronique.
Les conférenciers expliquent qu’il faut considérer le microbiote comme un organe à part entière, au même titre que le foie par exemple. En effet, l’altération de plusieurs fonctions du microbiote intestinal a été impliquée dans les entéropathies inflammatoires. D’une part, la production d’acides gras à chaîne courte est altérée : leur rôle immunitaire et trophique est démontré. De plus, la conversion des acides biliaires primaires en acides biliaires secondaires par les bactéries est défectueuse. La production de métabolites du tryptophane est également altérée. Enfin, l’homéostasie protéolytique est déséquilibrée : le microbiote intestinal possède un rôle important dans l’équilibre protéases/antiprotéases.
... Aux multiples rôles
Le microbiote intestinal assure ainsi de multiples fonctions enzymatiques et métaboliques. Il participe à la protection de la barrière intestinale contre les agents pathogènes (maintien de sa perméabilité et intégrité du mucus) et à la discrimination du soi et du non-soi. Il dialogue constamment avec différents organes dont le système osseux (il participe à l’homéostasie de l’os), le foie, le cerveau (perception de la douleur, anxiété, etc.), les reins et le système immunitaire. L’axe intestin-cerveau est notamment le terrain d’une communication accrue par la production de neurotransmetteurs et de neurotoxines par les bactéries intestinales.Les échanges se réalisent par voie sanguine, nerveuse (le nerf vague en est un acteur essentiel) et neuro-endocrine (importance des neuropeptides tels que la sérotonine ou le Gaba) et par la médiation des cytokines (modulation de l’inflammation en fonction du microbiote).
En cas d’inflammation intestinale, les fonctions du microbiote sont altérées. Les entéropathies chroniques sont en augmentation, en particulier chez les chats. Les causes sont multiples. Elles associent des dysrégulations immunitaires, des altérations du microbiote et du métabolome (perturbations notamment des axes cerveau-intestin et foie-intestin) et des facteurs alimentaires et génétiques environnementaux (expositions aux toxiques, aux virus, aux bactéries, etc.).
Prendre soin du microbiote intestinal
« La bonne santé du microbiote est un exemple pratique du concept Une seule santé. On parle maintenant de prendre en charge l’holobionte, c’est-à-dire l’organisme associé à ses micro-organismes », déclare Valérie Freiche. En effet, l’alimentation et l’environnement ont des effets directs sur la santé du microbiote. L’apport de fibres est très important pour nourrir le microbiote. Chez l’humain, la consommation excessive d’aliments ultratransformés (pauvres en fibres) est un facteur de risque avéré de développement d’hépatopathie, d’obésité et de cancer du pancréas.
Il est recommandé, chez l’humain comme chez l’animal, de limiter la prise d’antibiotiques afin de maintenir une bonne santé du microbiote. Les antibiotiques entraînent une dysbiose, souvent temporaire (retour à l’équilibre en 2 à 3 semaines). L’administration de probiotique monosouche à l’arrêt de l’antibiothérapie peut aider à restaurer plus rapidement le microbiote. Lorsque la dysbiose est chronique, des probiotiques multisouches sont à privilégier.
Les médicaments modifiant l’acidité gastrique (tels que l’oméprazole) peuvent également modifier la composition du microbiote. En revanche, les antiparasitaires n’ont pas été identifiés comme un perturbateur du microbiote.
La transplantation fécale est-elle la solution ?
Lors de dysbiose sévère, une transplantation du microbiote fécal est possible, même si de nombreuses inconnues subsistent. Cela permet de restaurer un écosystème sain en rendant minoritaire les populations pathogènes. Un guide de bonne pratique pour les animaux de compagnie a été publié2. Bien qu’il n’y ait pas encore de standardisation dans le protocole de transplantation fécale, certaines règles sont incontournables, notamment le choix du donneur (il doit être jeune, en bon état corporel, ne présentant pas d’atopie, n’ayant pas reçu d’antibiothérapie et ayant une coproscopie négative). Les selles du donneur sont mélangées et filtrées. La transplantation se réalise par voie basse chez des animaux présentant des signes coliques ou par voie haute en cas de signe mixte.
Chez l’humain, la transplantation fécale est un traitement efficace pour lutter contre les infections à Clostridioides difficile lors de colite pseudomembraneuse. Elle est préconisée en cas d’échec au traitement à base de vancomycine.
Chez les chiens et les chats, des études sont en cours. La transplantation fécale est pour l’instant proposée pour certains cas d’animaux présentant une entéropathie ne répondant pas au changement alimentaire ou en tant que traitement post-giardiose lorsque des signes cliniques persistent malgré l’élimination du parasite. Elle peut également se prescrire dans un contexte aigu comme chez un chiot atteint de parvovirose3.
Définitions
Microbiote : communauté de micro-organismes commensaux constituée de bactéries, de virus, d’archées et de champignons, formant un écosystème complexe en interaction avec son hôte.
Microbiome : ensemble des gènes que possède le microbiote.
Prébiotique : substance non digestible, substrat de la flore colique.
Probiotique : micro-organisme vivant bénéfique pour l’hôte.
Post-biotique : micro-organisme inanimé et/ou ses composants conférant un bénéfice pour la santé de l’hôte (acides aminés, peptides et enzymes).
Symbiotique : association des prébiotiques et des probiotiques.