Apiculture
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Alice Masson Article rédigé d’après la thèse « La communication chez les abeilles mellifères et mélipones », soutenue en 2023 par Alice Masson (A 23), bit.ly/42fUQoA.
Pour assurer le bon fonctionnement d’une ruche, les abeilles utilisent des systèmes de communication élaborés, fondés sur des signaux chimiques, sensoriels et vibratoires. Si la reine joue un rôle essentiel pour assurer la cohésion de la colonie, les abeilles ouvrières ne sont pas en reste. Ce sont elles qui assument les fonctions fondamentales de gestion des ressources, de soins aux jeunes et de protection.
Réguler la maturation comportementale
Au cours de leur vie, les abeilles effectuent différents rôles, en raison de la maturation comportementale. Les abeilles les plus jeunes sont les nourrices : elles prennent soin du couvain, le nourrissent et régulent sa température. Les abeilles âgées de plus de 20 jours effectuent d’autres travaux comme la construction de la ruche et de la cire, le déchargement et le stockage des ressources rapportées, la ventilation de la ruche pour contrôler l’hygrométrie, la défense de la ruche et, enfin, le butinage. La plupart des butineuses se spécialisent dans un vol de butinage et récoltent du nectar ou du pollen, plus rarement les deux à la fois. Le butinage dure quelques jours selon les conditions météorologiques (4 ou 5 jours), à l’issue desquels l’abeille meurt. En fonction de l’état de la colonie et des ressources disponibles dans le milieu, l’abeille commence son butinage à un âge situé entre 7 à̀ 60 jours (et en moyenne de trois semaines).
Cette maturation comportementale est retardée ou accélérée par divers signaux chimiques, à commencer par ceux de la reine et plus particulièrement par la queen mandibular pheromone*. Cette phéromone favorise l’état de nourrices, amenant les ouvrières à rester plus longtemps à̀ la ruche pour s’occuper de la reine. Les butineuses, elles, produisent un facteur inhibiteur, l’oléate d’éthyle (EO), transmis aux jeunes ouvrières. Il a été montré qu’il existait des variations de production d’EO dans la colonie selon la saison et les ressources dans le milieu extérieur. Le niveau d’EO est faible au début de saison, lorsque les fleurs sont abondantes dans la zone et que les butineuses sont très occupées et « demandées ». Il augmente petit à petit en juillet et août : la force de butinage est moins importante car il y a moins de fleurs en floraison et la ruche dispose d’une réserve accrue en pollen. Lorsque de nouvelles fleurs arrivent à maturité en septembre, la demande de butineuses augmente à nouveau et le niveau d’EO décroît. Une saisonnalité dans la production d’EO est ainsi observée, par adaptation au milieu et à la quantité de nourriture, ce qui joue un rôle important dans la maturation comportementale des abeilles.
Renseigner sur les ressources alimentaires
Le butinage est très organisé chez Apis mellifera afin de récolter les ressources efficacement. D’abord, les abeilles peuvent marquer les fleurs intéressantes à l’aide de phéromones d’attraction (émises par la glande de Nasonov) et les fleurs déjà visitées grâce à des phéromones tarsales (marquage répulsif). Ensuite, elles sont capables de communiquer par le biais de danses et ainsi transmettre des informations concernant la source de nourriture.
La danse en huit a été découverte par Karl von Frisch dans les années 1920. Elle renseigne les abeilles de la colonie sur la distance, la direction, la qualité et la quantité des ressources disponibles. La butineuse effectue une danse dont le trajet prend la forme d’un huit dans l’obscurité de la ruche. Les ouvrières ne peuvent pas voir la danse mais elles captent le mouvement de leurs congénères avec leurs antennes, et le recrutement se fait par trophallaxie (échange de nectar bouche à bouche) et par contact. Les abeilles frétillent avec leur abdomen lorsqu’elles parcourent la partie rectiligne du huit et c’est la fréquence de ce bourdonnement qui renseigne sur la distance de la ressource. Ce message pulsé est plus facilement audible dans une ruche sonore qu’un message continu.
Organiser le butinage
L’abeille stimule le comportement de butinage via une danse vibrante. La butineuse se redresse et agrippe les abeilles qui passent à côté d’elle avec ses pattes prothoraciques et mésothoraciques. Elle agite alors vigoureusement l’autre abeille, en effectuant des mouvements dorsoventraux rythmés. Cette danse, très courte (moins d’une seconde), peut être réalisée plusieurs fois par heure. Les abeilles agitées bougent plus vite et changent leur direction de déplacement. L’intensité des vibrations est moins importante en automne qu’au printemps ou en été.
La trophallaxie est un autre moyen de communication pour le butinage. Elle consiste en un échange de nourriture entre une « receveuse » et une « donneuse ». L’abeille receveuse sollicite la donneuse par ses antennes, en tapotant ses pièces buccales avec son proboscis. C’est ce qu’on appelle un « begging contact ». La donneuse écarte ses mandibules et régurgite une toute petite partie du nectar contenu dans son jabot que la receveuse aspire. Par ce biais, les abeilles échangent entre elles de la nourriture et surtout des phéromones. La trophallaxie permet le recrutement au butinage ainsi que la coordination entre les ouvrières pour estimer les réserves en nectar et en pollen de la ruche.
Après le butinage, la danse tremblante a un effet activateur sur les ouvrières pour décharger le nectar et un effet inhibiteur sur les butineuses pour éviter de saturer une source de nourriture. Au cours de la danse tremblante, les abeilles émettent un signal d’arrêt (« stop signal ») qui a pour but d’interrompre les danseuses en huit et ainsi de diminuer le nombre de butineuses incitées à aller récolter du nectar. Elles bougent leur corps d’avant en arrière en effectuant une rotation d’environ 50° sur elles-mêmes, en marchant lentement à travers le cadre. La danse n’est pas rythmique comme la danse en huit et est interrompue par des temps de repos.
Des ouvrières qui protègent
Une population d’abeilles a pour mission de défendre le nid : les gardiennes. Ce comportement transitoire s’effectue en même temps que d’autres tâches comme le butinage. Le rôle principal des gardiennes est de vérifier si l’abeille arrivant au nid appartient à la colonie. Pour ce faire, elles approchent la nouvelle arrivante et l’inspectent en quelques secondes avec leurs antennes. Elles peuvent reconnaître ses hydrocarbones cuticulaires (CHC) et les comparer à ceux de la ruche. Les CHC sont un mélange complexe de longues chaînes d’hydrocarbones qui protègent l’abeille de la dessiccation en agissant comme une enveloppe imperméable à l’eau et leur confèrent une grande résistance aux températures élevées. Les membres d’une même colonie présentent une « formule chimique uniforme » portée par ces hydrocarbones et permet la reconnaissance entre individus.
Une alerte face aux prédateurs
L’autre rôle des gardiennes est d’alerter la colonie de la présence d’un prédateur en émettant des phéromones d’alarme produites par la glande à venin. Elles sortent alors leur dard et diffusent les phéromones en battant des ailes. Les phéromones sont aussi automatiquement émises en cas de piqûre et l’intensité de la réponse de défense est corrélée à la quantité de phéromones dans l’air. Les phéromones d’alarme rassemblent une quarantaine de composants, produits pour la plupart par la glande de Koschevnikov et les glandes situées autour de l’aiguillon comme la glande à venin. La principale molécule est l’acétate d’isopentyl. Elle provoque un comportement défensif par alerte et recrutement des abeilles.