La fièvre aphteuse, une menace d’actualité - La Semaine Vétérinaire n° 2075 du 25/04/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2075 du 25/04/2025

Épidémiologie

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Prémila Constantin en collaboration avec Clothilde Barde

Disparue du territoire français il y a déjà plusieurs dizaines d’années, la « cocotte », de son appellation familière qui désignait la fièvre aphteuse autrefois, fait encore parler d’elle. Les découvertes de nouveaux foyers se multiplient en Europe centrale depuis janvier 2025 et incitent la France à la plus grande vigilance.

Au niveau mondial, 77 % du bétail est touché par la fièvre aphteuse selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA)1. Cette maladie virale contagieuse touche principalement les bovins, les ovins, les caprins, les porcins, les camélidés et les cervidés. La « cocotte », de son appellation familière, est actuellement présente de manière enzootique en Turquie, au Proche et au Moyen-Orient, en Afrique, dans de nombreux pays d’Asie et dans certaines parties de l’Amérique du Sud. Elle se retrouve également sous forme épizootique en Afrique du Nord2. Concernant l’Europe, la mise en œuvre d’une vaccination généralisée et obligatoire au sein de l’Union européenne, couplée à des mesures d’abattage dans les foyers d’infection, a permis d’éradiquer la maladie à partir de 19913.

De retour en Europe en 2025

Seuls quelques foyers sporadiques ont été décrits depuis : en 2001, une épizootie majeure avait concerné le Royaume-Uni, puis la France (deux foyers), l’Irlande et les Pays-Bas (26 foyers)2 et avait conduit à l’abattage d’environ 6,5 millions d’animaux infectés ou ayant été en contact avec des animaux contaminés3 (dont près de 50 000 sur le territoire français4). Puis, en 2011, la Bulgarie a également connu une épizootie en lien avec la population de sangliers sauvages. Le pays a pu recouvrer son statut de pays indemne en quelques mois au terme d’une campagne d’abattages préventifs et à la suite de la mise en place de mesures de biosécurité drastiques3. Toutefois, depuis le début de l’année 2025, les foyers en Europe se sont succédé. Au 1er avril, cinq foyers ont été détectés en Slovaquie, quatre en Hongrie et un en Allemagne selon les experts de la plateforme d’épidémiologie en santé animale (ESA)5.

Des enjeux épidémiologiques importants

La situation évoluant rapidement, la fièvre aphteuse peut se propager facilement par-delà les frontières. Les pays actuellement indemnes de fièvre aphteuse demeurent donc sous la menace constante d’une introduction du virus sur leurs territoires. Or la maladie, extrêmement contagieuse, peut causer des pertes économiques considérables. C’est pourquoi elle doit faire l’objet de notifications obligatoires auprès de l’OMSA. Depuis 2009, une stratégie internationale de lutte contre la fièvre aphteuse4 a été entreprise par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et par l’OMSA.

Stéphan Zientara

Directeur du laboratoire de santé animale de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire et de l’environnement (Anses)

« Dans le contexte actuel, alerter rapidement les autorités de toute suspicion est crucial »

Comment les foyers récemment découverts en Europe centrale ont-ils été gérés ?

Les interventions des autorités sanitaires (analyses de laboratoire et abattage) ont été rapides à partir du moment où les premiers signes cliniques de fièvre aphteuse ont été décelés en Allemagne, en Hongrie et en Slovaquie. Ce qui est étonnant, c’est la forte vitesse de dissémination de la maladie entre la Hongrie et la Slovaquie. En effet, en ce qui concerne les foyers slovaques qui se situent à proximité du premier foyer hongrois (une vingtaine de kilomètres), il est possible que la transmission ait été aérienne car les conditions météorologiques font état de beaucoup de vent sur les lieux et les périodes concernées. Néanmoins, les derniers foyers détectés étant plus éloignés les uns des autres, l’hypothèse d’une transmission via des échanges d’animaux ou par manquement aux règles de biosécurité ne peut être exclue.

Quelle est l’origine des souches virales allemandes, slovaques et hongroises ?

Comme les souches ont été envoyées à notre laboratoire [laboratoire de référence de l’Anses et laboratoire de référence de l’Union européenne, NDLR], nous avons pu montrer que celles qui avaient été isolées au sein du premier foyer détecté en janvier 2025 en Allemagne ne sont pas les mêmes que celles retrouvées en mars 2025 en Slovaquie et en Hongrie. Cela signifie qu’il n’y a pas de lien épidémiologique entre le foyer allemand d’une part, et les foyers hongrois et slovaques d’autre part. En revanche, le lien épidémiologique entre les souches virales des foyers hongrois et slovaques est démontré. De plus, ces souches semblent plutôt apparentées à un pool de virus isolés en Turquie, en Iran et au Pakistan, mais en l’absence de démonstration d’introduction, il est difficile d’être plus précis.

Quels sont les risques d’introduction de la maladie en France ?

Le risque est important : on observe une circulation active du virus, avec la présence de foyers très proches de la frontière autrichienne. Les autorités hongroises et slovaques font le maximum pour éradiquer les foyers mais les élevages étant de taille très importante, les jours et semaines à venir vont être déterminantes pour savoir s’ils parviennent à stopper la propagation. L’Union européenne est très inquiète et des réunions, en présence des autorités vétérinaires, ont lieu tous les jours pour faire le point sur l’évolution de la situation.

Y a-t-il d’autres foyers dans le monde qui représentent également une menace pour l’élevage français ?

Oui, à l’instar de l’épizootie de fièvre aphteuse qui a touché la Bulgarie en 2011, une propagation de la maladie à partir des pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Libye et Turquie) est possible car le virus circule actuellement activement dans ces pays.

Quelles sont les autres sources possibles de contamination ?

La commission européenne et les États membres ont mis en place des mesures pour circonscrire la circulation virale mais nous ne sommes pas à l’abri de mouvements illégaux d’animaux, qui existent et ne sont pas maîtrisables. On peut également craindre un acte malveillant car, à ce jour nous n’avons toujours pas de preuve de l’origine de l’introduction du virus en Europe. La détection de deux épisodes, à deux mois d’intervalle, alors que l’Union européenne était indemne depuis 2011, paraît étonnante. De plus, s’agissant d’un virus très résistant dans le milieu extérieur, les produits d’origine animale contaminés peuvent également être une source potentielle de diffusion de la maladie. Indépendamment des cas sévissant actuellement en Europe, il faut également avoir à l’esprit que le non-respect des règles de biosécurité peut être une source de contamination : des personnes qui seraient allées dans des fermes infectées en zone à risque (en Turquie par exemple) et qui reviendraient en France, à proximité d’autres élevages, sans prendre de précautions particulières pourraient être vecteurs de la maladie.

Quels sont les outils de surveillance de la fièvre aphteuse en France ?

À ce jour, il n’y a pas de dispositif de surveillance active de la maladie (du type réseau d’animaux sentinelles) même si, à la suite de l’apparition des foyers en Europe, la surveillance aux frontières est renforcée. Selon moi, la sensibilisation des acteurs est un élément essentiel. Pour cela, la Direction générale de l’alimentation (DGAL) a, par exemple, organisé un webinaire avec toutes les parties prenantes pour informer les réseaux professionnels de la situation en Europe.

Comment les praticiens et les éleveurs peuvent-ils agir pour prévenir le risque ?

Dès qu’il y a une suspicion de fièvre aphteuse, comme l’apparition de boiteries ou la présence d’animaux qui bavent, il faut qu’elle soit rapidement déclarée à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) par le vétérinaire. Des épidémiologistes de garde, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, se chargent alors de lever la suspicion ou, au contraire, d’émettre un doute sur la base des photographies et des données épidémiologiques envoyées. En cas de doute, des prélèvements sont réalisés par le vétérinaire qui doit les faire envoyer au plus vite jusqu’au laboratoire. Ensuite, des virologistes, disponibles également 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, vont prendre en charge les prélèvements et réaliser des analyses (PCR, recherches antigéniques ou sérologiques) permettant d’infirmer ou de confirmer l’infection. Alerter rapidement les autorités de toute suspicion est crucial. La situation est tellement sensible qu’il vaut mieux appeler en cas de doute, plutôt que de prendre le risque de passer à côté de la détection d’un foyer. Il faut également veiller à éviter toutes les pratiques à risque, d’un point de vue épidémiologique : ne pas introduire d’animaux aux statuts sanitaires non contrôlés par exemple, tout en gardant à l’esprit que toutes les espèces n’ont pas la même sensibilité face au virus aphteux. En effet, alors que les porcins et bovins auront tendance à présenter des signes cliniques (les porcs excrétant beaucoup plus de virus), les ovins et les caprins, eux, sont asymptomatiques la plupart du temps, ce qui représente un réel danger.

Quels symptômes rechercher ?

En cas de suspicion de fièvre aphteuse, différentes typologies de symptômes sont à explorer. À commencer par des lésions de type vésicules au niveau du museau, de la langue, des lèvres, de la cavité orale, des espaces interdigités, au-dessus des onglons, sur les trayons et aux points de compression sur la peau. Très fréquemment, sont aussi observés de la fièvre (hyperthermie), une dépression, une hypersalivation, une perte d’appétit et de poids et une chute de la production de lait.

  • 2. « Fièvre aphteuse en Europe centrale : deux nouveaux foyers en Hongrie », plateforme ESA. bit.ly/3FZtJqr
  • 3. « L’exemple de l’éradication de la fièvre aphteuse en France », La Revue du praticien. bit.ly/4lpKjjp
  • 4. « La fièvre aphteuse », 21 janvier 2025, Anses. bit.ly/4jtYy5g
  • 5. « Bulletin hebdomadaire de veille sanitaire internationale du 01/04/2025 », plateforme ESA. bit.ly/4igNcR4