Académie vétérinaire de France
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Chantal Béraud
Le 7 mars 2025, la modification proposée par l’Union européenne visant à abaisser le niveau de protection du loup est entrée en vigueur. Quelques mois plus tôt, en septembre, l’Académie vétérinaire de France évoquait les « nuisances et bénéfices » d’une cohabitation avec la faune sauvage dans un colloque dont les débats ont interrogé la gestion du loup.
De « strictement protégé » à «protégé». Le statut de protection du loup dans l’Union européenne (UE) a été rétrogradé dans un texte entré en vigueur le 7 mars 2025. Une mesure adoptée par le Conseil de l’UE le 25 septembre 2024, à la veille d’un colloque «Vivre avec la faune sauvage» organisé par l’Académie vétérinaire de France*, sur avis de sa commission biodiversité. La sensible coexistence humains-loups n’a pas manqué d’animer le débat. Avec ce colloque, l’académie souhaitait ainsi engager «une réflexion sur une méthodologie et une éthique de prise en compte rénovée de la notion de populations animales (ou d’individus) susceptibles d’occasionner des dégâts (PAISOD) dans le contexte actuel du réchauffement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de l’anthropisation grandissante des espaces ruraux et de l’urbanisation croissante des populations humaines». Avec l’ambition d’en tirer, «en se dégageant des controverses d’opinion», une «gestion rationnelle des bénéfices et des nuisances» d’une coexistence avec la faune sauvage. La journée a en fait également montré combien, dans la pratique, les prises de position, même dites «scientifiques», sont parfois loin d’être unanimement alignées. Et aussi combien le vivant, de par sa complexité, constitue un véritable défi à l’intelligence humaine.
Le cas d’école du loup
Nicolas Lescureux, ethnoécologue, chargé de recherches au CNRS (UMR Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier), a dressé l’épopée du loup, rappelant qu’en France son éradication totale avait pris moins de deux siècles. «Ce projet d’éradication, rappelle-t-il, est né de la volonté de favoriser le commerce des laines, quand on a compris que les toisons blanchiraient mieux en pâturage d’été de plein air. Dès 1850, des armes, des pièges et des poisons pour tuer les loups ont fortement été perfectionnés.» Il faudra attendre les années 1940-1960 pour qu’aux États-Unis ils reviennent un peu en grâce, se transformant ensuite en un « symbole de la nature sauvage». Protégés dès 1972 en Italie, les loups repeuplent ensuite l’espace européen, jusqu’à aujourd’hui… «Les humains, constate le chercheur, ont tenté de s’y adapter, en multipliant les bergers, les parcs électrifiés, les chiens de protection… Mais les loups semblent, eux, s’être adaptés à ces moyens de protection. En 2018, il y a eu plus d’attaques de jour que de nuit.» D’où la mise en place progressive de tirs de défense, censés réapprendre aux loups à coexister avec les humains. Puis, enfin, leur déclassement par l’Union européenne le 7 mars 2025, de statut «strictement protégé» à statut «protégé». Passant ainsi d’une logique de protection à celle d’une régulation. Cette décision a été critiquée par plusieurs associations de défense de la nature, arguant qu’elle «met en péril la survie d’une espèce déjà vulnérable sans pour autant résoudre les difficultés auxquelles font face les éleveurs».
Quel «éclairage» par les scientifiques?
L’exposé de Nicolas Lescureux a été complété par une prise de parole de Philippe Castanet, préfet de Lozère jusqu’en novembre 2024, montrant tout le défi — mais aussi la nécessité — qu’il y a de faire intervenir la parole de scientifiques (chercheurs, écologues, vétérinaires, etc.) quand surgissent des conflits de terrain. «Le problème, débute-t-il, c’est que sur ce genre de sujets, on parle trop et il se dit dans le débat public n’importe quoi avec beaucoup d’aplomb! C’est pourquoi nous avons vraiment besoin de l’avis de scientifiques dans nos instances. Mais je constate qu’ils sont parfois mal à l’aise pour y intervenir. En tout cas, je peux vous affirmer qu’il n’y a pas de complot invisible visant à nous réensauvager.» Et de montrer que la réalité de terrain est parfois surprenante: «Dans les classes en Lozère, les enfants qui disent s’opposer au loup sont minoritaires.» Dans ce même département, il s’est également créé des équipes d’aide aux bergers, pour leur permettre notamment de dormir un peu la nuit, lorsque des loups tentent d’attaquer leurs troupeaux.
D’autres solutions possibles?
À l’histoire séculaire «œil pour œil, dent pour dent» (à la prédation répond des demandes de prélèvements des chasseurs/éleveurs), peut-on imaginer d’autres scénarios plus complexes tout en étant efficaces ? Jean-Jacques Camarra, grand spécialiste de l’ours brun et agent retraité de l’Office français de la biodiversité, a souligné toute l’importance qu’il y a de faire un suivi fin de la population d’ours. «Ce sont des animaux souvent très différents les uns des autres. Certains ours n’attaqueront jamais de toute leur vie. C’est pourquoi j’ai toujours été partisan d’un effarouchement très rapide quand une prédation survient.» «Il y a également des loups qui attaquent des troupeaux, d’autres non, complète Nicolas Lescureux. De même qu’il y a des différences alimentaires selon les meutes".
Une expérience en Bourgogne-Franche-Comté
À la suite d’attaques de loups sur des ovins (notamment dans le bocage de Saône-et-Loire) mais aussi après des attaques en 2022 «contre des montbéliardes, notre vache sacrée», a souligné Stéphane Woynaroski, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté et vice-président du Parc national de forêts, il avait été mis en place un comité de pilotage multi-acteurs pour chercher des solutions pour une meilleure cohabitation «élevages - grands prédateurs». «Deux médiateurs, dont l’un est un ancien éleveur ovin dans la Meuse, ont été embauchés sur des crédits d’État, explique l’élu. Nous testons notamment depuis 2023 et durant trois ans un collier flash lumineux anti-loup sur des bovins.» Mais le problème est de savoir si les loups, à la longue, ne s’y habitueront pas aussi? Par ailleurs, il a été noté que les vaches qui possèdent encore leurs cornes peuvent évidemment mieux se défendre en cas d’attaque.
Encore de nombreuses questions
En définitive, si tuer les prédateurs est «facile», cohabiter avec eux reste difficile et suppose de le vouloir vraiment, en inventant une dynamique de partage des ressources avec l’ensemble du vivant. Ce qui pose évidemment la question annexe de déterminer, par exemple, quelle intensité pastorale l’être humain choisit de développer sur telle ou telle zone. Et une personne dans la salle d’avertir également: «Attention aussi à l’erreur de vouloir raisonner uniquement espèce par espèce!» Selon d’autres intervenants de l’auditoire, il resterait par ailleurs à mieux étudier scientifiquement «ce qui fait qu’un loup passe à l’attaque, quels sont les critères de vulnérabilité d’une proie, quelle est l’efficacité des tirs létaux et leurs conséquences sur le reste de la meute, etc.». Sachant, en plus, que le loup est un animal très mobile…