Maladie infectieuse
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Les données cumulées sur les cas d’infections au virus influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) H5N1 montrent que les signes neurologiques et respiratoires sont courants en cas de formes cliniques. La maladie n’est pas à exclure d’office du diagnostic différentiel pour les chats d’intérieur.
Ces derniers mois, les nombreuses contaminations félines au virus influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) H5N1 du clade 2.3.4.4b aux États-Unis ont apporté de précieuses connaissances sur la maladie. Si elles sont évidemment utiles en premier lieu pour les praticiens américains, elles pourraient aussi aider les vétérinaires français à gérer d’éventuelles suspicions. Selon une étude publiée en mars 2025, menée par les équipes de l’école nationale vétérinaire de Toulouse1, des cas d’infections félines à H5N1 sont bien présents sur le territoire et pourraient être plus fréquents qu’on ne le supposait (voir encadré). Alors, que sait-on des signes cliniques de la maladie ? Quels en sont les principaux facteurs de risque ? Comment les chats se contaminent-ils ? On fait le point.
Des signes neurologiques et respiratoires
Selon l’American Veterinary Medical Association (AVMA)2, la maladie peut débuter par des signes généraux classiques : perte d’appétit, léthargie ou fièvre. La clinique va ensuite évoluer rapidement vers des troubles plus marqués : signes neurologiques (par exemple, ataxie, mouvements circulaires, tremblements, convulsions ou cécité), dépression sévère, écoulements nasaux et oculaires abondants, signes respiratoires, (en particulier une respiratoire rapide ou difficile) et éventuellement éternuements ou toux.
Selon des scientifiques vétérinaires de l’école de santé publique de l’université du Maryland qui ont recensé toutes les données3 de la littérature sur les infections félines connues dans le monde depuis 2004, les maladies respiratoires et neurologiques sont les plus courantes. La présentation de la maladie et sa gravité pourraient varier selon la voie d’exposition et la quantité de virus à laquelle est exposé le chat. Un des scientifiques du Maryland, interrogé par l’American Animal Hospital Association (AAHA), indique aussi que les atteintes neurologiques sont souvent associées à un taux de mortalité plus élevé. Dans les premiers rapports de cas d’infections de chats d’élevage, il ressortait qu’environ 50 % des chats exposés étaient morts. Ce taux de létalité pourrait être plus élevé. Des infections subcliniques et asymptomatiques sont également possibles.
Des voies multiples de transmission virale
L’AVMA liste plusieurs sources d’infection. Il y a la classique exposition à des animaux infectés (oiseaux domestiques ou sauvages et bétail) ou à l’environnement contaminé. L’autre grande source d’infection est l’alimentation contaminée : consommation de viande crue ou insuffisamment cuite (comme la volaille) et consommation de colostrum cru et autres produits laitiers de bovins non pasteurisés. La contamination par les produits laitiers est spécifique des États-Unis, où le virus circule depuis plusieurs mois dans les exploitations laitières. À la grande différence des voisins outre-Atlantique, les élevages bovins laitiers européens sont épargnés… mais fin mars, le Royaume-Uni a signalé une infection d’un mouton dans le Yorkshire.
L’AVMA signale aussi une contamination possible à la suite d’une exposition aux personnes qui travaillent dans les fermes touchées et à leurs vêtements ou objets contaminés. Cette source d’infection a été suspectée en mai 2024 pour deux chats du Michigan, qui vivaient uniquement en intérieur4. Ces deux chats appartenaient à des personnes travaillant dans des élevages bovins laitiers. Un premier ouvrier avait la charge du transport de lait non pasteurisé de différentes fermes ; il ne portait pas d’équipement de protection individuelle lors des manipulations et était soumis à des projections de lait sur le visage, les yeux et les vêtements. Son chat se roulait dans ses vêtements de travail à la maison. L’autre ouvrier ne travaillait pas directement avec les animaux ; sa ferme n’avait pas été touchée, mais il y avait des foyers à proximité. Il n’utilisait pas non plus d’équipements de protection individuelle. Il laissait cependant ses vêtements de travail dans un endroit inaccessible au chat. Les deux ouvriers ont refusé de faire un test de dépistage, mais ont rapporté avoir eu des signes cliniques.
Plusieurs maladies à inclure dans le diagnostic différentiel
Suspecter la maladie impose d’être en présence de signes cliniques compatibles associés à la présence de facteurs de risque. Selon l’AAHA, qui a interrogé une vétérinaire épidémiologiste, directrice médicale de la North Peninsula Veterinary Emergency Clinic, il convient de se questionner face à un chat qui présente de manière soudaine des signes respiratoires, neurologiques ou les deux, avec de la fièvre et une détérioration clinique rapide. Côté facteurs de risque, le mode de vie de l’animal doit être questionné. Plusieurs situations peuvent interpeller, notamment le chat ayant un accès à l’extérieur ou chasseur et, pour les États-Unis, les chats ayant un lien avec des élevages laitiers ou ayant consommé des aliments crus dont des produits laitiers. Le fait que plusieurs animaux du foyer soient touchés est aussi un facteur de risque. Dans cette démarche clinique, il convient de ne pas négliger le diagnostic différentiel, en particulier, la rage doit être envisagée en cas de signes neurologiques. Un tableau5 détaillant ce diagnostic différentiel est visible sur le site de l'AAHA.
Face à une suspicion, se protéger
Si la transmission de la maladie du chat à l’humain semble rarissime, il convient d’adopter des mesures d’hygiène et de biosécurité adéquates face à une suspicion. L’American Veterinary Medical Association (AVMA) conseille d’éviter les contacts directs et étroits non protégés avec l’animal et de porter un équipement de protection individuelle lors de manipulations et de prélèvements : masque au moins certifié N95, gants, lunettes/écran facial, blouse, couvre-cheveux et couvre-chaussures.
Des chats séropositifs en France
Dans l’étude de l’école nationale vétérinaire de Toulouse, 728 chats (642 domestiques et 86 errants) ont fait l’objet d’un prélèvement sanguin sur une période de 14 mois, de décembre 2023 à janvier 2025. Quarante-quatre établissements de soins vétérinaires étaient impliqués, répartis dans 30 départements. Tous les chats avaient accès à l’extérieur et vivaient en dehors des grandes agglomérations françaises, afin de viser les individus les plus à risque de côtoyer l’avifaune domestique. En tout, 67 % des félins vivaient dans des zones connues pour être plus à risque. Bilan : la séropositivité globale était de 2,6 % (19 chats sur 728). Pour deux échantillons, le titrage sérique était plus élevé contre le virus faiblement pathogène H5N3. Les chats domestiques non chasseurs avaient 94 % de risques en moins d’être séropositifs, par rapport aux chats errants.
Une étude du même genre avait déjà été entreprise en Europe, aux Pays-Bas. Elle avait montré que l’exposition des chats errants aux virus aviaires était courant. Dans les deux études, les scientifiques ont alerté sur le rôle potentiel des chats comme réservoirs pour l’émergence de souches adaptées à l’humain. En effet, le chat peut être exposé à des virus influenza animaux et humains.