Code de déontologie
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Dans un avis publié en février 2025, l’Ordre a rappelé l’obligation de permanence et continuité des soins pour les vétérinaires s’occupant des plans sanitaires d’élevage (PSE). Des contentieux, notamment disciplinaires, sont en cours entre des groupements et des praticiens de proximité.
« Le vétérinaire assure la continuité des soins aux animaux qui lui sont confiés. » Ce devoir fondamental inscrit dans l’actuel code de déontologie de la profession s’applique aussi aux vétérinaires qui s’occupent des plans sanitaires d’élevage (PSE), qu’ils soient salariés du groupement ou libéraux liés par convention, a rappelé l’Ordre dans un communiqué1 publié dans sa revue de février 2025. De même, ces praticiens doivent également assumer la permanence des soins. « Ces obligations sont inhérentes à tous les vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre, ce qui inclut aussi les vétérinaires des PSE, tout comme ceux de dispensaires, de fourrières, etc. », explique Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV). « Dès lors qu’un vétérinaire a une clientèle et des animaux qui lui sont confiés, il doit assurer la continuité de leurs soins, précise-t-il. La permanence des soins, elle, est une obligation plus large de toute la profession, qui permet de répondre à des cas particuliers, par exemple, lorsque le détenteur et son animal ne sont pas sur leur lieu de résidence, ou qu’un animal est amené en situation de péril immédiat. Hormis ces cas particuliers, la continuité des soins se suffit à elle-même. »
Des contentieux en cours
Même si le vétérinaire d’un PSE a pour mission première de gérer des problématiques sanitaires de manière collective et préventive, il reste bien un vétérinaire à part entière avec pour prérogative d’établir des diagnostics. « Dès lors qu’il gère des lots d’animaux, il peut faire des diagnostics et des prescriptions, soutient Jacques Guérin. S’il est effectivement contraint dans son arsenal thérapeutique au regard du Code de la santé publique, rien n’empêche l’éleveur de se faire délivrer les médicaments prescrits auprès d’une pharmacie d’officine. »
Ce sujet était toutefois loin d’être prioritaire, souligne le président du CNOV, mais l’Ordre a eu connaissance de situations conflictuelles sur le terrain dans certaines régions. « Des contentieux, notamment disciplinaires, sont en cours entre des groupements de producteurs qui portent des PSE et des vétérinaires de proximité, avec des doléances concernant la permanence et continuité des soins (PCS). » À ce stade, il n’est pas possible d’avoir accès aux documents associés à ces affaires. Ceci dit, de manière générale, Jacques Guérin souligne qu’« il existe des typologies d’élevages où le vétérinaire de proximité peut être sollicité uniquement pour des urgences. C’est plus prégnant pour certaines filières que d’autres, notamment la filière ruminants ».
« Le vétérinaire de proximité ne doit pas être une variable d’ajustement »
Cette source potentielle de conflits avait été pointée du doigt dans un rapport2 du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur les PSE rendu public en octobre 2024… mais datant d’avril 2023. Il y était tout d’abord rappelé que, « comme tous les vétérinaires, ceux du PSE ont l’obligation de répondre aux exigences du code de déontologie et, en application de l’article R. 242-48 du Code rural et de la pêche maritime, d’assurer la continuité des soins aux animaux qui leur sont confiés dans le cadre du PSE ». Et, dans ce contexte, « des vétérinaires travaillant pour des groupements et des vétérinaires conseils spécialisés ont indiqué que cette continuité des soins ne posait pas de difficultés sauf pour les bovins. En revanche, les vétérinaires libéraux regrettent d’être appelés pour les urgences d’éleveurs des groupements qui ne font jamais appel à eux sauf dans ces situations ».
Quelles solutions pour éviter d’arriver à ce genre de situations ? « Il faut en passer par une contractualisation entre les groupements et les praticiens de proximité, affirme Jacques Guérin. Ces derniers ne doivent pas être une variable d’ajustement, au risque d’alimenter le délitement du maillage vétérinaire au service des animaux de rente. La PCS est un des éléments qui y contribuent. Si le cadre est fixé à l’avance, avec des conditions acceptables, il n’y a pas de raison que cela se passe mal. » Toutefois, « le vétérinaire de proximité a la liberté de ne pas accepter. Dans ce cas, et si le groupement ne peut pas réunir les conditions du bon déploiement de son PSE, il lui revient de prendre la décision qui s’impose ».
Des tensions plus globales
Ce genre de discussions sera-t-il vraiment possible ? Car au-delà de la question de la PCS, le dispositif des PSE apparaît de manière générale comme une source de tensions au sein de la profession vétérinaire. Dans le rapport du CGAAER, il est écrit que, pour la profession vétérinaire, ce troisième ayant droit qu'est le PSE, « serait à l’origine d’une désertification vétérinaire en captant la clientèle qui permettrait aux vétérinaires libéraux de conserver une activité suffisante dans ces zones et filières ; pour elle, leur suppression est donc souhaitable pour redonner aux vétérinaires et, pour la seule dispensation, aux pharmaciens impliqués dans cette activité, la pleine responsabilité et maîtrise des traitements des animaux, tant prophylactiques que métaphylactiques, zootechniques et curatifs ». Il existe toutefois « des vétérinaires qui estiment que les groupements ne représentent pas plus de concurrence que certains autres confrères ». Les auteurs du rapport indiquent qu’il n’y a pas de données précises sur les volumes de prescriptions ou sur le chiffre d’affaires du médicament par les PSE, ni sur l’usage des marges dégagées par la vente des médicaments. Il est néanmoins indiqué que « les groupements représentent, depuis des années, environ 20 % du marché du médicament vétérinaire national », avec le bémol que ce pourcentage pourrait être différent depuis la suppression des anticoccidiens.
Dans le rapport, cette vision s’oppose à celles des groupements, qui estiment que « l’accès à une action préventive abordable pour les éleveurs est indispensable pour maintenir un maillage vétérinaire de prévention » dans un contexte où les praticiens libéraux manquent dans les zones rurales de faible densité et pour certaines filières (petits ruminants). Les PSE sont présentés comme « un contre-pouvoir pour maintenir un tarif du médicament intéressant ».
Vers une évolution des PSE ?
Du côté du CNOV, le discours est clair : « L’Ordre n’a aucune velléité de remettre la question des PSE sur la table. Et il n’y a pas de corrélation entre les dossiers PSE et contrat de suivi sanitaire permanent. L’Ordre est là pour rappeler le cadre réglementaire et faire en sorte que les vétérinaires soient transparents et loyaux sur la prise en charge des animaux en dehors des horaires de travail. Le périmètre d’action d’un Ordre ne se superpose pas à celui d’un syndicat. » En revanche, « si la PCS continue à se déliter, nous devrons envisager de revoir la réglementation à ce sujet. Cette piste est d’ailleurs explorée par le Comité d’éthique animal, environnement, santé, chargé d’un avis sur l’évolution du code de déontologie ».
Dans le rapport du CGAAER, les recommandations faites n’incluent pas la suppression des PSE, mais plutôt une évolution : « Faute de données chiffrées et d’arguments solides, la mission n’a pas la capacité de déterminer si c’est la perte de vétérinaires libéraux engagés dans la prévention qui suscite l’adhésion des éleveurs à un PSE ou si, au contraire, la force des groupements agréés constitue un facteur aggravant la désertification vétérinaire. Elle ne peut pas plus établir que la suppression des PSE irait de pair avec une amélioration du maillage. »
Près de 250 plans sanitaires d’élevage
Selon le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), au 5 août 2022, étaient comptabilisés 159 groupements avec un agrément, pour un total de 244 plans sanitaires d’élevage (PSE), dont 82 pour l’apiculture, 57 pour les bovins, 34 pour les ovins, 26 pour les porcins, 21 pour l’aviculture, huit pour la cuniculture et un pour les équidés. Environ 300 à 450 vétérinaires salariés de groupements ou conventionnés y seraient affiliés.