Bien-être du cheval de sport : quels indicateurs ? - La Semaine Vétérinaire n° 2074 du 18/04/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2074 du 18/04/2025

Bientraitance

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Par Sarah André

Savoir détecter un état de mal-être chez un animal est fondamental. Qu’en est-il du cheval de sport de haut niveau dont le mode de vie est souvent différent des autres équidés et quel rôle le vétérinaire peut-il jouer ?

Les besoins fondamentaux des équidés ont été mis en évidence par plusieurs études sous la forme des « 3 F », à savoir « friends », correspondant aux interactions avec les congénères, « forage », traduisant un accès illimité au fourrage, et « freedom », pour la liberté dans les déplacements. Ces éléments sont essentiels pour chaque cheval mais ils ont surtout été évalués pour ceux évoluant au sein de centres équestres et dans le milieu des courses. Qu’en est-il des chevaux de sport de haut niveau ? Des limites sont parfois évoquées par les propriétaires et détenteurs de ces équidés, notamment leur isolement en box pour prévenir les blessures au paddock ou encore l’accès limité au fourrage pour éviter une prise de poids.

Ce point fait l’objet d’une thèse de Romane Phelipon, toujours en cours1, dont l’objectif est d’évaluer le bien-être de ces équidés dont les conditions de vie sont parfois différentes et sous restrictions : entraînements importants, déplacements souvent internationaux ou encore suivi médical renforcé. Une étude publiée par la doctorante en décembre 2024 a mis en lumière les premiers résultats2. Elle concerne un total de 56 chevaux de sport de haut niveau (saut d’obstacles et en concours complet au niveau international) provenant de 13 écuries privées françaises (12 juments, 30 hongres et 14 étalons), dont certains ont participé aux Jeux olympiques de Paris 2024.

Des contacts sociaux

Les interactions sociales entre équidés comprennent trois points : la visualisation de congénères, le contact tactile entre eux (comme le grooming) ainsi que le contact olfactif. Cette étude démontre que les chevaux de sport de haut niveau nécessitent un niveau élevé de contacts sociaux. Les équidés étudiés qui ne peuvent interagir que visuellement avec leurs congénères et ceux n’ayant que des contacts olfactifs présentent plus de comportements anormaux (stéréotypies, comportements d’agressivité envers l’humain, etc.) en comparaison avec ceux pouvant interagir pleinement entre eux. Une des hypothèses serait l’expression d’une frustration du fait de ne pouvoir interagir socialement que de manière limitée.

Une liberté de mouvements

La liberté de mouvements inclut des sorties ou un accès à l’extérieur en dehors du travail. À noter que le marcheur n’est pas compris dans ces sorties puisque le cheval n’est pas libre de ses déplacements. Les résultats de l’étude dévoilent que plus les chevaux ont un accès à l’extérieur, moins ils présentent de comportements anormaux. En outre, les chevaux vivant exclusivement en box sont ceux qui ont présenté le plus d’oreilles en arrière au moment de la prise alimentaire. Les bénéfices d’une sortie quotidienne, même de courte durée, sont notables : diminution des comportements de stéréotypie et d’agressivité envers les humains et réduction du stress. Ces sorties libres permettent ainsi d’améliorer le bien-être des équidés. Cette étude démontre aussi que les chevaux qui ont un accès quotidien à l’extérieur ne sont pas forcément ceux qui ont le plus de blessures. Les comportements résultant du stress en box peuvent en revanche en engendrer. Les chevaux vivant exclusivement en box présentent un score d’alopécie supérieur à celui des chevaux vivant davantage au pré ou au paddock.

Un accès illimité au fourrage

Enfin, l’étude atteste également que les chevaux ayant un accès illimité au fourrage ont montré peu (ou pas) de comportements anormaux en comparaison avec ceux ayant un accès restreint. Il est posé comme hypothèse que les chevaux n’ayant pas d’activité de recherche de nourriture, et donc un accès limité au fourrage, soient perturbés par le fait de ne pas pouvoir réaliser cette activité. Ces derniers pourraient alors adopter un comportement d’observation pour « passer le temps » ou bien par anticipation de la prochaine distribution de nourriture. Un fourrage illimité est donc essentiel au bien-être des chevaux de sport de haut niveau. Par ailleurs, la note d’état corporel (NEC) n’est pas forcément augmentée lorsque le fourrage est donné en illimité chez les chevaux de haut niveau, probablement du fait que ces derniers ont une activité physique importante.

Romane Phelipon, doctorante en comportement et cognition animale

« Mettre les chevaux en liberté ne signifie pas forcément plus de blessures »

Avec quels indicateurs un vétérinaire peut-il détecter un état de mal-être lors d’une visite d’écuries de chevaux de sport ?

Pour détecter un éventuel mal-être, quatre grands indicateurs ont été répertoriés : l’agressivité envers l’humain (menaces à l’approche d’un cheval ou de son box), l’hypervigilance (état de surveillance excessive caractérisé par une posture d’alerte : tension musculaire généralisée, encolure haute, oreilles raides et pointées vers l’avant, regard fixé au loin et naseaux dilatés), les stéréotypies (comportements répétitifs qui, à première vue, n’ont pas de fonction précise, mais qui sont en réalité utilisés par le cheval pour réguler son stress via la régulation de cortisol) et l’apathie, sans doute le signe le plus inquiétant, qui peut être comparé à un état dépressif chez l’humain.

Un autre outil précieux pour évaluer la douleur est l’échelle de grimace faciale, validée scientifiquement. Elle permet d’analyser six régions de la face : oreilles fixes en arrière, œil mi-clos, tension au-dessus des yeux, contraction des muscles masticateurs, bouche et menton tendus, naseaux dilatés et tendus. Facile et rapide à utiliser, cette échelle peut être un bon moyen d’identifier une douleur en cas de doute.

En quoi la détection de comportements anormaux chez les chevaux de sport est-elle importante ?

La détection des comportements anormaux est essentielle. On pourrait penser que les chevaux de sport, avec leurs conditions de vie très particulières, sont à l’abri de tout problème. Pourtant, ils restent avant tout des équidés, avec des besoins fondamentaux propres à leur espèce. Dans notre étude, nous avons observé que les chevaux de sport dont les conditions de vie respectaient les « 3 F », n’exprimaient pas, ou très peu, de comportements anormaux. À l’inverse, ceux qui étaient privés de l’un ou plusieurs de ces éléments en manifestaient davantage. Ces comportements anormaux sont donc de précieux indicateurs du bien-être mental des chevaux, y compris pour ceux de sport !

Vous avez prouvé que l’accès libre à l’extérieur est compatible avec les performances du cheval de sport. Quels bénéfices un vétérinaire peut-il exposer à un propriétaire qui privilégie le box pour son cheval ?

C’est justement tout l’enjeu de nos projets sur le bien-être équin : montrer que certaines pratiques sont bénéfiques pour le cheval sans nuire à sa performance. Mais encore faut-il réussir à convaincre de changer des habitudes ancrées depuis longtemps. Avant tout, il est important de rassurer les propriétaires sur le fait que mettre les chevaux en liberté ne signifie pas forcément plus de blessures. Bien sûr, si un cheval habitué à passer 23 heures par jour en box est soudainement mis en extérieur, il peut y avoir un effet « rebond » : un trop-plein d’énergie ou d’excitation pouvant potentiellement entraîner des blessures. C’est pourquoi il est préférable d’y aller progressivement, d’observer comment le cheval réagit et d’augmenter peu à peu son temps de sortie.

En plus des bénéfices physiques, vivre dehors permet aussi au cheval de s’alimenter en continu en broutant, un comportement bien plus naturel que d’être rationné. En moyenne, les chevaux passent environ 16 heures par jour à s’alimenter. Ne pas respecter ce rythme augmente le risque d’ulcères. Enfin, permettre au cheval d’être dehors avec un ou plusieurs congénères favorise également son équilibre mental.

  • 1. Romane Phelipon est doctorante en comportement et cognition animale au sein de l’équipe Cognition Éthologie Bien-être (CEB), à l’Inrae Nouzilly (Indre-et-Loire), depuis 2022. Son sujet de thèse, financé par le fonds ÉquiAction de la Fédération française d’équitation, sous la supervision de Léa Lansade, est le suivant : « Identification d’émotions positives chez le cheval ». bit.ly/4i2ajia
  • 2. Phelipon R. et coll. Forage, freedom of movement, and social interactions remain essential fundamentals for the welfare of high-level sport horses. Frontiers in Veterinary Science, 2024, 11, pp.1504116. bit.ly/3RBXr7n