Allier performance individuelle et dynamique collective - La Semaine Vétérinaire n° 2074 du 18/04/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2074 du 18/04/2025

DOSSIER

Auteur(s) : Alexandra Briend-Marchal

La performance globale d’une organisation repose à la fois sur la performance individuelle des collaborateurs et sur la qualité des interactions collectives. Installer durablement la performance, c’est être capable d’agir sur ces deux leviers.

La performance au travail est une préoccupation majeure tant pour les individus que pour les organisations. Elle ne se limite pas exclusivement à la productivité ou à l’atteinte d’objectifs chiffrés, mais englobe également des dimensions plus subtiles, telles que la qualité des interactions, la gestion des émotions et l’équilibre entre bien-être et efficacité. La performance individuelle, si essentielle soit-elle, ne prend toutefois tout son sens que lorsqu’elle s’inscrit dans une dynamique collective cohérente. Il est donc crucial d’examiner comment les performances individuelles et organisationnelles s’articulent pour construire un environnement de travail qui délivre durablement des résultats satisfaisants pour toutes les parties prenantes.

Qu’est-ce que la performance individuelle ?

La performance individuelle au travail a été définie de multiples manières, dont la suivante : la performance est un ensemble de comportements ou d’actions qui contribuent aux objectifs d’une organisation et qui peuvent être évalués en fonction du niveau de compétences et de l’impact sur ces objectifs. Depuis les années 1990, la source de la performance au travail n’est plus considérée sous le seul angle quantitatif de la productivité, c’est-à-dire de la capacité technique à exécuter correctement un travail dans un temps minimal à la manière d’une machine qui n’aurait aucune sorte de lien émotionnel avec ce qui est produit.

Elle est également abordée sous un angle qualitatif, c’est-à-dire touchant au bien-être — entendu comme la combinaison de la santé et de la satisfaction — que les collaborateurs peuvent éprouver dans le cadre de leurs fonctions et qui va être à l’origine de décisions et de comportements adaptés et favorables à l’ensemble de l’organisation. Dans les professions de services, il existe une interaction avec un client ; dans les professions du soin, se rajoute une interaction avec un patient. L’activité vétérinaire relève en même temps de ces deux interactions professionnelles complexes, génératrices d’émotions (positives ou négatives) qui vont avoir un effet direct sur les comportements à l’échelle des individus et des équipes et, in fine, de l’organisation.

La conscience de soi, une clé du bien-être

La conscience de soi désigne la capacité d’un individu à reconnaître et à comprendre ses propres schémas de pensées, ses émotions et ses comportements. Elle inclut deux dimensions principales : la conscience de soi interne qui est la conscience et la compréhension de ses valeurs, de ses émotions, de ses croyances limitantes, de ses motivations et de ses biais cognitifs ; et la conscience de soi externe qui est la représentation de la façon dont une personne est perçue par les autres et l’impact sur ces interactions.

La conscience de soi est un levier puissant pour améliorer sa performance au travail. Développer cette compétence est un investissement qui bénéficie autant aux collaborateurs qu’aux organisations, en favorisant un environnement de travail sain et cohérent sur le long terme. En milieu professionnel, l’individu éprouve un besoin inconscient et légitime de contrôle de soi-même et des situations. Or la survenue des émotions met à mal ce contrôle. Cela génère un stress continu et d’intensité souvent élevée. Le travail sur la conscience de soi est en mesure de désamorcer ce stress lié aux situations de « perte de contrôle » en permettant à chacun d’identifier et de comprendre ses émotions et de mieux gérer ses interactions avec les autres et avec son environnement. L’objectif ? Agir dans le sens de ce qui est bon pour soi, plutôt que de risquer de réagir de manière impulsive et parfois d’aller à l’encontre de ses intérêts.

Rompre le cercle vicieux des émotions négatives

En effet, dans l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux, les émotions sont multiples et quasi-permanentes. D’une situation d’urgence au client désagréable, en passant par le matériel qui tombe en panne ou une intervention qui ne se passe pas comme prévu, l’ascenseur émotionnel est permanent. Il entraîne un état d’hypervigilance donc un stress psychologique et physiologique chronique qui peut aller jusqu’à l’épuisement. Et c’est un cercle vicieux : plus l’individu est inquiet et fatigué, moins il maîtrise ses émotions et plus celles-ci lui font perdre le contrôle, ce qui l’inquiète et le fatigue encore plus, et ainsi de suite. Développer la conscience de soi, c’est précisément s’attaquer à ce cercle vicieux : savoir quels vont être les déclencheurs des émotions négatives, avoir anticipé les situations qui fragilisent, savoir prendre de la distance face aux évènements. L’objectif est alors de comprendre et d’influencer de manière efficace les situations plutôt que de tomber dans les impasses décrites par le modèle des « 3 F » face aux événements désagréables : fight (lutter), flight (fuir) ou freeze (se figer).

La conscience de soi est donc un formidable moyen de se protéger du stress chronique. Elle favorise des relations professionnelles plus harmonieuses et permet de se consacrer de façon plus directe, sans interférences négatives, à son travail. Prendre le temps de développer la conscience de soi est un investissement bien souvent sous-estimé pour améliorer la qualité et la quantité du travail produit, donc pour améliorer la productivité. Cela se répercute finalement sur la performance globale de l’organisation dans laquelle l’individu évolue.

Le piège de la validation externe

Fonder son identité professionnelle uniquement sur les retours de la part de son environnement au travail est fragilisant, car ces sources sont fluctuantes et subjectives. Certes, recevoir un feed-back positif de la part de collègues ou obtenir une gratification matérielle pour une gestion particulièrement efficace d’une situation est stimulant, mais que se passe-t-il chez l’individu quand il ne reçoit plus ces marques d’encouragement ou, pire, quand un retour négatif sur l’un de ses comportements lui est fait ? Il perd confiance en lui, culpabilise, se démotive et remet en question la qualité de son travail, sa capacité à faire de bons choix et, parfois même, sa capacité à poursuivre sa carrière.

Pourtant, il est établi que les attentes de la hiérarchie dépendent des priorités organisationnelles du moment, que celles des clients dépendent de facteurs complètement décorrélés de l’exercice professionnel et que les collègues eux-mêmes sont traversés par des émotions qu’ils canalisent plus ou moins bien. Donc en indexant sa motivation et sa valeur professionnelle sur la validation par des tiers, l’individu se fragilise et s’expose à une perte de repères en cas de changement de contexte. C’est pourquoi il est essentiel de cultiver une identité professionnelle solide, ancrée sur ses propres valeurs, sur ses compétences et sur ses objectifs à moyen et long termes, afin de rester serein face aux incertitudes externes et de tenir le cap fixé à soi-même sur la durée.

Travailler sur son identité se fait dans le cadre d’un accompagnement psychologiquement sécurisant, où le questionnement, la verbalisation et la remise en question en dehors de tout contexte professionnel permettent de définir sa valeur de manière plus objective, sans dépendre de l’approbation des autres. Il ne s’agit pas de rigidifier l’opinion de soi-même ni de pratiquer l’autopersuasion ou l’autoproclamation, mais de relativiser l’importance des jugements que les autres portent sur ce qu’une personne est, pense et fait.

Les leviers pour construire une dynamique organisationnelle

La conscience de soi est donc un atout solide pour faire émerger et permettre l’installation de la performance professionnelle à l’échelle des collaborateurs. Mais quels leviers considérer pour installer une culture de la performance au sein d’une petite organisation ? Créée à la fin des années 1970 par Thomas Peters et Robert Waterman, consultants chez McKinsey, la matrice « 7S » propose d’évaluer sept aspects fondamentaux de l’entreprise qui doivent être harmonisés pour garantir le succès d’une transformation au sein d’une organisation et mener celle-ci vers la performance. Ces sept aspects sont : strategy (les plans d’action à long terme pour atteindre les objectifs de l’organisation), structure (l’organisation hiérarchique, la répartition des responsabilités et des rôles de chacun dans l’organisation), systems (les processus, procédures et mécanismes qui permettent à l’organisation de fonctionner au quotidien), shared values (les valeurs partagées, c’est-à-dire la culture et les croyances communes qui guident le comportement des membres de l’organisation), skills (les compétences clés des individus au sein de l’organisation), style (le style de management impulsé en interne) et staff (les ressources humaines, leur nombre, leur formation, leur recrutement, etc.).

Si la matrice « 7S » de Mc Kinsey est utilisée efficacement pour les entreprises de grande taille, elle reste assez peu applicable en très petite entreprise (TPE). En effet, le temps et le budget associés qu’il faudrait consacrer pour tenter d’adapter et de personnaliser cette matrice aux petites organisations ne sont généralement pas à disposition des dirigeants de celles-ci. C’est pourquoi ces dirigeants de sociétés de moins de dix salariés se retrouvent souvent seuls pour tenter d’identifier les points saillants qui leur permettraient d’influencer la performance de leur entreprise.

Deux axes à cibler dans les petites entreprises

Il est toutefois possible de partir de l’équation de Gallwey qui postule que la performance est égale au potentiel duquel on retranche les interférences. Le potentiel d’une petite entreprise est porté par deux principaux axes : les pratiques organisationnelles, dont la planification opérationnelle, et les pratiques managériales en vigueur dans l’entreprise, notamment celles de type collaboration ou partenariat entre les managers et leurs équipes. La planification opérationnelle s’entend comme la structuration détaillée des actions et des ressources nécessaires pour atteindre les objectifs à court terme. C’est le versant quantitatif de la performance organisationnelle. Cette planification doit rester agile en petite entreprise pour ne pas rigidifier les pratiques d’adaptation de l’organisation à l’environnement. Le partenariat couvre les rapports interpersonnels et l’approche collaborative au sein de l’entreprise fondée sur la confiance et le partage d’objectifs pour atteindre des résultats communs. C’est le versant qualitatif de la performance organisationnelle. Le dirigeant cherche à passer d’un management transactionnel (formulation d’un contrat de type effort/récompense) à un management transformationnel (avec une considération personnalisée pour chaque collaborateur, une stimulation intellectuelle, une plus grande autonomie et une motivation inspirationnelle).

Les interférences les plus significatives, c’est-à-dire identifiées comme les plus destructrices de valeurs dans les petites organisations, sont les conflits et les erreurs de communication. Le conflit s’entend comme un désaccord ou une opposition entre individus ou groupes sur des objectifs, des intérêts ou des valeurs. Il ne s’agit pas de barrières (techniques) ni uniquement de résistances (psychologiques) au changement. La communication est définie dans ce cadre comme l’échange d’informations, d’idées ou d’instructions pour coordonner les actions et atteindre les objectifs communs. Une communication peut être de mauvaise qualité dans sa forme, dans son contenu, dans son flux (embolie, n’atteignant pas les cibles, etc.).

Aligner les objectifs

Pour implémenter la culture de la performance dans une entreprise, il convient de faire converger performances individuelles et performances organisationnelles. Et pour cela, plusieurs principes clés doivent être respectés. Tout d’abord, les objectifs individuels et les objectifs collectifs doivent former un tout cohérent. Les collaborateurs doivent comprendre en quoi leur travail contribue à la stratégie de l’entreprise. Celle-ci doit pouvoir être communiquée de façon simple et concrète. Une stratégie floue ou mal expliquée anéantit tous les efforts faits par chacun pour contribuer aux résultats de l’organisation. Ensuite, il est nécessaire de favoriser l’ajustement rapide des décisions et des comportements grâce à une communication ouverte, constructive et régulière. Ceci contribue très directement au sentiment de bien-être au travail des collaborateurs en favorisant leur autonomie, ce qui renforce leur sentiment de compétences, le sens qu’ils donnent à leur travail et la motivation qu’ils déploient dans le cadre de leurs fonctions.

L’installation d’un climat de collaboration, alliant soutien et confiance entre les individus, favorise une dynamique collective vertueuse. En clinique vétérinaire, il est par exemple important de ne pas laisser s’installer de « mauvaises pratiques » comme une contribution déséquilibrée de chacun aux tâches ingrates ou une forme de favoritisme sur la gestion des plannings. Apparemment secondaires face à des priorités impliquant plus directement la pérennité de la clinique, tels que la qualité des soins ou la gestion des stocks, ces traitements de faveur vont faire naître frustration et sentiment d’injustice qui sont des ressentis particulièrement délétères pour les performances des individus, des équipes et de l’organisation sur le long terme.

Implémenter une culture de la performance ne se limite pas à la définition d’objectifs ambitieux ou à l’application de processus rigoureux. Il s’agit d’une approche systémique, c’est-à-dire ici qui touche l’ensemble des éléments fonctionnels de l’entreprise, qui repose avant tout sur une convergence profonde entre la vision stratégique de l’organisation et les moteurs individuels de motivation. Le schéma ci-dessous résume les principaux leviers sur lesquels travailler pour transformer la culture de son entreprise dans le sens de la mise en place de performances durables au bénéfice de l’ensemble des parties prenantes de l’organisation.

Éric Waysbort, praticien canin en Seine-et-Marne

Un équilibre harmonieux

Nous avons fondé notre famille au moment même de la création de notre clinique. Un équilibre harmonieux entre activité professionnelle et vie de famille a toujours été notre fil directeur. C’est grâce à cet équilibre des valeurs et des priorités que nous avons réussi à nous relever d’une très grosse épreuve personnelle qui nous aurait fort logiquement conduits à arrêter notre pratique en clientèle. Plus de 20 ans après cette installation, notre volonté d’exercer en clientèle arrive à perdurer grâce à des objectifs professionnels raisonnés et raisonnables et à l’aide d’une communication interne et externe que nous essayons de rendre la plus fluide possible.