Mésinformation
ENTREPRISE
Auteur(s) : Par Catherine Bertrand-Ferrandis1
Pas simple de s’y retrouver au milieu des annonces qui fusent aux États-Unis depuis le début d’année 2025. Mais certaines pourraient avoir un impact plus fort qu’on ne le pense sur la pratique vétérinaire. Et déboucher sur une situation complexe pour la science : la remise en cause d’un de ses fondements, la confiance dans la méthode scientifique.
Il y a moins d’un an, dans une enquête menée conjointement par La Semaine Vétérinaire et Olylo2 auprès de 227 vétérinaires, la vaccination arrivait en deuxième position des thèmes de mésinformation les plus fréquents (63 %). Spoiler : ce n’est pas près de s’améliorer.
L’année 2025 a connu son premier tournant dès le 7 janvier avec la prise de parole de Mark Zuckerberg, P-DG de Meta (Facebook, WhatsApp, Instagram, etc.), dans une vidéo. Et c’est une bombe. Il annonce un retour à la mission d’origine des plateformes : donner une voix aux utilisateurs. Pour lui, cela implique la suppression des activités de fact-checking traditionnelles et l’introduction d’un système de « notes communautaires » similaire à X (ex-Twitter). Les équipes de modération sont même délocalisées depuis la Californie vers le Texas pour « réduire les biais perçus dans la modération ». Les conséquences dépassent largement l’arène politique. Et c’est là où le bât commence à blesser pour les soignants.
Pourquoi autant d’inquiétude devant ce changement ?
Pour mémoire, en 2022, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que 51 % des posts associés aux vaccins sur les médias sociaux contenaient des informations inexactes ou trompeuses3. Plus d’un post sur deux donc. Or, vérifier et démystifier une information scientifique demande un peu plus de connaissances et d’expertise que celles requises pour la vérification d’une citation de discours ou de la réalité d’un éboulement dans une région reculée. Le système de fact-checking professionnel n’est pas parfait, mais sa professionnalisation, donc sa rémunération et sa priorisation d’activité, permet d’aller vite dans le repérage et le ciblage de la mésinformation circulante. L’exposition de la population aux diverses infox et fake news, qui une fois vues ont la fâcheuse tendance à s’ancrer très profondément dans les cerveaux, est ainsi réduite.
L’idéal serait d’utiliser les deux techniques : professionnels et foule, mis en équipe. Mais avec la fin du fact-checking traditionnel, la vérification repose sur les uniques utilisateurs, qui feront usage de leur « bon sens » et ne sont pas formés à détecter leurs propres biais de raisonnement. Il se peut que d’aucuns soient qualifiés pour vérifier certaines informations. Mais il est fort probable qu’une bonne partie des vérifications communautaires se fasse via une recherche sur un chat d’IA génératives, qui se trompent encore plus d’une fois sur deux pour des questions factuelles (même les meilleurs modèles4). Dans le cas où la vérification se ferait directement sur internet, ce n’est pas mieux : une étude publiée fin 2023 a montré que les recherches en ligne visant à évaluer les mésinformations peuvent accroître la perception de leur véracité5. Ces constats sont peu rassurants, que ce soit pour la qualité de la vérification des faits, ou pour la montée du raisonnement par le « bon sens ».
Censure versus free speech
Revenons à Mark Zuckerberg. Un de ses arguments pour arrêter le fact-checking est que cette pratique servirait à couvrir des activités de censure de l’expression populaire par le gouvernement Biden et l’Europe. Il explique à quel point il est inacceptable que les équipes de Meta aient eu à supprimer, sous pression du gouvernement, des informations « vraies » à propos des effets secondaires des vaccins qui étaient postées sur les réseaux sociaux6.
Mettons de côté, d’une part, la confusion des genres entre limitation de la circulation de désinformation et censure, et, d’autre part, celle entre causalité et corrélation. Ne gardons que le fait de pouvoir s’exprimer. Le problème est alors le suivant : depuis janvier, si l’expression des Américains a été « libérée », la santé publique, elle, n’a pas eu droit au même traitement. Les exemples sont multiples : arrêt des publications de mise à jour des données épidémiologiques des centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) telles que les informations sur l’évolution de la H5N1, licenciement en masse des scientifiques, effacement de données7, censure de certains mots dans les projets de recherches (dont « socio-économique », « systémique », « femme », « équité », etc.)8. Free speech, mais pas free science apparemment.
Création d’une nouvelle académie de santé publique
La reprise en main de la science ne s’arrête pas là. Le champ de la recherche scientifique américaine compte deux nouveau-nés : l’Académie de santé publique et le journal scientifique associé, The Journal of the Academy of Public Health (JAPH). Seuls les membres de l’académie peuvent écrire dans ce journal. Et pour en devenir membre, il faut être coopté par un autre. À la tête du JAPH se trouvent des chercheurs appartenant à de grandes universités américaines, dont le renom est accompagné d’engagements républicains et d’oppositions à la vaccination des enfants, à l’obligation vaccinale, aux mesures de confinement, etc.
Le paysage de la publication scientifique avec ses mastodontes, ses dérives et ses revues prédatrices compte donc de nouveaux joueurs. À l’avenir, il se pourrait bien que des études de ces scientifiques, publiées et revues par des pairs dans le JAPH, soient brandies comme preuves scientifiques… pour refuser un vaccin par exemple. Un biais de plus dans la mécanique de justification par la preuve.
Aller vers une confiance éclairée envers la science
Peut-être vous dites-vous, « Ça se passe au loin tout ça, ça ne touchera pas mon activité, mes clients font confiance à leur vétérinaire ». Certes, les Français font encore confiance à leurs soignants, vétérinaires inclus, mais une immense étude9 (72 000 personnes, 68 pays) montre que si le grand public fait confiance à la méthode scientifique et aux scientifiques post-pandémie, 83 % pensent que ces derniers devraient investir davantage d’efforts dans la communication scientifique avec le public. Or les évolutions en cours mettent justement en danger la communication scientifique et la compréhension de ce qui fait une méthode et une publication de qualité.
La situation actuelle semble franchement dystopique. Il va falloir réapprendre à parler de science avec les clients — même si cela devient de plus en plus compliqué —, les accompagner dans leurs recherches pour éloigner le « bon sens » et ancrer les décisions dans la science, accepter leur participation et prêter encore plus d’attention à la rendre éclairée. N’oublions pas que l’humain est au cœur du métier de vétérinaire.
Explication de texte pour les non-experts
Le « fact-checking traditionnel » est l’activité de vérification des faits qui s’est professionnalisée depuis le début des années 2010. Elle demande de plus en plus d’expertise pour faire face au volume croissant des informations et à la technicité des outils permettant de falsifier images, vidéos et voix. Les fact-checkers ont été particulièrement sollicités pendant la crise de Covid-19.
Le système de notes communautaires est, quant à lui, fondé sur « la sagesse de la foule ». Ici, ce ne sont plus des professionnels qui vérifient l’information, mais des utilisateurs « approuvés », par le biais d’un système de notes ajoutant du contexte ou corrigeant des informations erronées.