Femmes et secteur de la santé : entre mythes, préjugés et réalité - La Semaine Vétérinaire n° 2069 du 07/03/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2069 du 07/03/2025

DOSSIER

Auteur(s) : Par Catherine Bertrand-Ferrandis (T 06)*

En France, les femmes représentent 49,3 % des médecins en activité et 59,8 % des vétérinaires inscrits à l’Ordre. Pourtant, ces pourcentages en apparence paritaires cachent des réalités multiples et en pleine mutation, dont l’exploration commence à peine dans le secteur vétérinaire. À l’occasion de la Journée des droits de la femme, le 8 mars, on fait le point sur ce que l’on sait, et ce qu’il reste à explorer.

Regroupant 2 700 femmes et hommes du secteur sanitaire, le collectif Femmes de santé a abordé pour la deuxième fois depuis sa création le vaste sujet de la place des femmes dans le secteur professionnel de la santé lors de ses états généraux en décembre 20241. Au programme : ateliers de travail, point d’étape sur les évolutions et production de recommandations transmises par la suite au gouvernement. Et, nouveauté 2024, les vétérinaires, jusque-là absents, ont fait leur apparition dans les professions traitées dans la revue bibliographique servant de base aux discussions. L’occasion de se rendre compte des parallèles existants entre les différents secteurs.

Les femmes, piliers (bon marché) des professions de santé

Dans les professions liées aux secteurs de santé humaine, les femmes sont à égalité ou majoritaires en nombre d’actifs, activités salariées et libérales confondues2. Elles représentent 49,3 % des médecins en activité inscrits à l’Ordre ; 50,1 % des chirurgiens-dentistes inscrits à l’Ordre ; 51,4 % des kinésithérapeutes ; 67,5 % des pharmaciens inscrits à l’Ordre ; entre 51 et 63 % des salariés de l’industrie de la santé (selon la taille de l’entreprise). Les professions de sage-femme et d’infirmier restent les plus fortement féminisées, se situant respectivement à 93 % et 82 % en 2024.

Côté santé animale, la situation des femmes n’est pas différente de celle de leurs consœurs d’humaine. « Nous sommes arrivés à la parité en 2017 », explique Corinne Bisbarre, membre du conseil national de l’Ordre des vétérinaires. En 2024, les femmes représentaient 59,8 % des vétérinaires inscrits à l’Ordre3, avec un sex-ratio de nouveaux inscrits désormais supérieur à 50 % de femmes dans toutes les régions. Côté auxiliaires vétérinaires, la féminisation atteignait 95 % en 20224.

Le bât blesse cependant d’un point de vue égalité salariale. En exercice libéral, le gap est abyssal en santé humaine, avec un revenu moyen de 39 % inférieur pour les femmes médecins comparé à leurs homologues masculins5. La différence est légèrement moindre chez les consœurs vétérinaires exerçant en libéral, avec un revenu moyen annuel brut de 32 % inférieur à celui des confrères vétérinaires (selon l’Atlas vétérinaire, 2024). Cette différence s’expliquerait, entre autres, par un temps de travail inférieur sur l’année, les femmes libérales exerçant moins en nombre d’heures que les hommes du fait de la charge de la famille. L’écart de rémunération entre homme et femme semble moindre chez les vétérinaires salariés et les personnels de santé humaine hospitaliers avec quelques pourcents de différence.

Une féminisation oui, à tous les niveaux non

Cette représentation numéraire ne se retrouve pas dans le niveau de responsabilité ou de représentativité des postes. En 2018, la plateforme mondiale pour l’équité femme-homme, coprésidée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et Women in global health (WGH), publiait un rapport intitulé « Des services dispensés par des femmes dans un secteur dirigé par des hommes »6. Selon la revue de littérature internationale effectuée à cette occasion, les 70 % des personnels de santé femmes dans le monde n’occuperaient que 25 % des fonctions à responsabilités.

En France, les chiffres du secteur santé humaine font écho à ce rapport, bien que dans des proportions de disparité moindre. En guise d’exemple, alors que 55,6 % des praticiens hospitaliers sont des femmes, elles ne représentent plus que 25,6 % des professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PUPH). Il en va de même pour les directeurs d’hôpitaux (DH), avec 48,2 % de femmes ayant le statut de DH, mais seulement 26,8 % étant des cheffes d’établissement en poste7.

Dans les entreprises vétérinaires, le constat est identique qu’en santé humaine. Les femmes sont à près de 54 % en statut salarié, contre 25 % seulement pour les hommes. Une thèse récente consacrée au sujet des inégalités de revenus dans la profession8 identifie des causes structurelles et culturelles à ces disparités, y compris « les biais de genre dans le recrutement, l’évaluation et la promotion, ainsi que la “pénalité maternelle” qui limite les opportunités professionnelles des femmes ». Les différences de spécialisation et de type de pratique contribuent également aux écarts de rémunération, les femmes étant souvent concentrées dans des domaines moins rémunérateurs.

Côté représentativité dans les instances de la profession, la situation s’améliore ces dernières années, mais l’écart est encore important : lors des élections des conseillers ordinaux de 2023, seules 42,5 % de femmes ont été élues. Mais cette représentativité progresse d’élection en élection. À l’Académie vétérinaire de France, la représentation féminine est encore malheureusement bien basse : on dénombre 19 % seulement de femmes dans la liste des membres titulaires disponible en ligne. « Il est anormal d’avoir une représentation féminine de plus de 50 % dans les actifs et de ne pas retrouver cette représentation dans les organisations professionnelles vétérinaires, commente Corinne Bisbarre. Et on en est encore loin, même s’il y a un vrai progrès et s’il y a une forme de parité qui s’est installée au moment des élections ordinales, tant régionales que nationales. »

Ces diverses données sont à remettre en perspective avec les résultats du baromètre 2024 de l’association Donner des elles à la santé (en partenariat avec Ipsos). Mené auprès de femmes travaillant dans le secteur de la santé humaine, il montre que seulement 31 % des femmes de moins de 45 ans souhaitent des postes à responsabilités contre 58 % pour les hommes9 — nous ne connaissons pas d’équivalent à ce baromètre chez les vétérinaires. Ici, comme précédemment pour la répartition du temps de travail rémunéré, la question se pose : convient-il de conclure à une perpétuation des stéréotypes de genre, à une autocensure, un syndrome de l’imposteur ? Est-ce la démonstration de la réalité d’une priorisation différente de leurs activités par rapport à un modèle masculin, priorisation faite de façon autonome et éclairée ? Ou bien est-ce l’héritage d’une société formatée par une représentation genrée des rôles de chacun ?

Une évolution de la représentation des métiers

L’étude des représentations stéréotypées genrées et de leur influence sur les choix de carrière est intéressante pour éclairer ce sujet, notamment concernant l’influence des rôles modèles pour inspirer les jeunes femmes. On parle souvent de la représentation masculine du métier de vétérinaire ou de médecin. Mais est-ce encore bien le cas à l’heure de l’omniprésence des écrans ?

Dans un rapport sur la représentation des femmes dans les médias audiovisuels pendant l’épidémie de Covid-19, consultable en ligne, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (devenu l’Arcom) notait : « Seuls 21 % des experts en santé présents à l’antenne sont des femmes. De surcroît, seuls 24 % des experts en santé invités en plateau et 15 % de ceux interrogés dans le cadre d’un reportage sont des femmes. »

Le rapport ne s’arrête pas à ce constat. Le rédacteur poursuit, s’appuyant sur un article du journal Le Monde : « Cette faible proportion n’est toutefois pas sans lien avec la réalité du milieu médical. En effet, en 2016, les femmes ne représentaient que 19 % des PUPH et elles sont encore très peu à occuper des postes de haut niveau de responsabilités à l’hôpital (chef de service, de pôle, etc.) ».10 La poule et l’œuf donc. Moins de femmes à des postes de haut niveau, donc moins de visibilité, moins de rôles modèles auxquelles s’identifier, et moins de choix de carrière à forte responsabilité.

Le rapport note également que « le traitement de l’actualité “à chaud” aggrave […] la tendance à la sous-représentation des femmes expertes », alors que les émissions événementielles ou régulières permettent une meilleure prise en compte de la diversité des profils des intervenants. Un récent rapport de l’Arcom sur la représentation des femmes à la télévision et à la radio semble confirmer cette hypothèse, puisqu’on note 46 % de femmes expertes en plateau sur la thématique de la santé en 2023, post-crise sanitaire donc.

Plus spécifiquement à la profession vétérinaire, une thèse est également parue en 202411 sur le thème de la perception de la femme docteure vétérinaire en zone rurale. Contrairement aux idées reçues, les femmes vétérinaires semblent être reconnues, soutenues et appréciées par les éleveurs. « Si les préjugés existent et ont existé, ils disparaissent pour la majorité grâce à l’expérience et aux progrès techniques, qui permettent à tout type de gabarits d’exercer de manière égale. » Mais cette réalité de terrain, on ne la voit toutefois pas souvent au journal de 20 heures.

Des impacts genrés sur la santé à ne pas négliger

Côté santé physique, l’initiative Vigie Véto Ergone/SNVEL a récemment permis de faire le point sur la santé au travail dans les structures de soins vétérinaires. Si 73 % des femmes (salariées ou pas, vétérinaires et auxiliaires confondues) déclarent être en bonne santé, contre 81 % des hommes, près de 23 % d’entre elles ont une maladie chronique (25 % pour les hommes). En haut du podium se trouvent les maladies rhumatologiques (9,8 %), puis les endocriniennes et hormonales (3,8 %), puis les gynécologiques et urinaires (3,6 %). Troubles psychiques et psychiatriques arrivent juste derrière en quatrième position (3,1 %).

Concernant la santé mentale justement, à l’honneur en France cette année, l’Ordre a engagé depuis 2021 une étude longitudinale sur son état chez les vétérinaires. Didier Truchot, professeur de psychologie sociale reconnu pour ses travaux sur le burn-out chez les médecins et les agriculteurs, explique qu’il ne s’attendait pas aux caractéristiques genrées qu’il y a trouvées : « À l’origine, la question des femmes n’était pas une question centrale. La question centrale, c’était “quels sont les causes de suicides, du burn-out, du stress, de la mauvaise santé, etc.” ». Mais rapidement, la nécessité d’une présentation genrée des résultats est devenue une évidence.

L’étude montre que les femmes vétérinaires sont plus épuisées émotionnellement que leurs confrères, caractéristique qui se retrouve en population générale, ainsi que chez les consœurs médecins. Le professeur Truchot liste au rang des raisons la bien connue charge familiale, en plus de la charge professionnelle, qui n’est pas forcément bien partagée entre les hommes et les femmes. « Les stéréotypes pèsent aussi sur les femmes, poursuit-il. Il y a le sexisme classique, plutôt agressif, que l’on connaît bien, mais aussi tout le sexisme bienveillant, celui du commentateur sportif qui dit “En plus de ça, elle est mignonne”. Mais cette discrimination-là, cette prétendue bienveillance, fait beaucoup plus de mal que le sexisme agressif, car elle est insidieuse. » En effet, les études montrent que ce sexisme bienveillant (félicitations sur la tenue/attitude/beauté et non pas sur le travail) conduit les femmes à se percevoir comme plus sociables mais aussi moins compétentes12.

Des spécificités surprenantes chez les femmes vétérinaires

Sans y voir forcément de lien avec le sexisme mais sans l’exclure non plus, l’enquête de l’Ordre montre une caractéristique étonnante chez les femmes vétérinaires : leur niveau de cynisme, équivalent à celui des hommes, est pour le coup bien supérieur à celui de leur consœur d’humaine. Autre caractéristique des vétérinaires : l’addiction au travail. « Perfectionnisme et workaholisme sont très présents chez des vétérinaires. C’est peut-être lié au recrutement, mais c’est sans doute aussi la profession qui favorise ce genre d’addiction au travail, explique Didier Truchot. Ce qui est assez frappant, c’est que les femmes vétérinaires sont tout aussi addicts au travail, voire plus que les hommes vétérinaires, ce qui n’est pas le cas chez les médecins. » On observe donc chez les femmes vétérinaires des niveaux élevés d’épuisement émotionnel, de cynisme, de perfectionnisme et d’addiction au travail. Or, le lien entre ce type de stresseurs et le burn-out ou les idéations suicidaires n’est plus à démontrer.

Au bilan, la situation numéraire, les revenus, la représentation et la santé des femmes vétérinaires sont parallèles, si ce n’est pire, à ceux de leurs consœurs de santé humaine. Des efforts sont faits par la profession et les lignes bougent doucement. Trop doucement ? En santé humaine, les efforts se multiplient pour inverser la tendance, notamment pour éveiller à la puissance et l’ancrage des stéréotypes de genre. Depuis le 17 février 2025, ce sont même les hommes qui prennent la parole pour « dénoncer publiquement le sexisme systémique dans le monde médical hospitalier et universitaire » dans une tribune publiée dans Le Monde13. Ils appellent à briser l’omerta et à réagir. Une source d’inspiration pour des actions futures par nos confrères vétérinaires ?

Bibliographie : 

1. bit.ly/3EZwSWK

2. https://www.ompl.fr/images/RapportsActivite/ompl_rapport_dactivite_2022.pdf

3. bit.ly/3FeUEOz

4. Observatoire des métiers dans les professions libérales, 2022.

5. bit.ly/3QG4FH0

6. bit.ly/41qLt5n

7. bit.ly/4ijGzOc

8. Maëlle Taupin. Inégalités de revenus entre homme et femme dans l’exercice de la médecine et de la chirurgie vétérinaire : analyse bibliographique des causes structurelles, des stéréotypes de genre, des dynamiques économiques et évolutions législatives. Sciences du Vivant [q-bio]. 2024. dumas-04893567. bit.ly/4bquPqY

9. Baromètre « Donner des elles à la santé », édition 2024, réalisé par Ipsos [En ligne]. Disponible : donner-des-elles-a-la-sante-barometre-IPSOS-2024.pdf (donnerdeselles.org).

10. « Un monde hospitalo universitaire si peu féminin », Le Monde, le 28 décembre 2018. bit.ly/4h1iA5v

11. Coraline Bouyer. Perception de la femme docteure vétérinaire en zones rurales. Médecine vétérinaire et santé animale. 2023. dumas-04511555. bit.ly/4i1MoQu

12. Sarlet M. et Dardenne B. (2012). Le sexisme bienveillant comme processus de maintien des inégalités sociales entre les genres. L’Année psychologique, Vol. 112(3), 435-463. bit.ly/4h4UAOU

13. « Nous, médecins, souhaitons dénoncer publiquement le sexisme systémique dans le monde médical hospitalier et universitaire », Le Monde, le 17 février 2025. bit.ly/3QOkpI1

Professionnels de santé ?

D’aucuns réagiront en lisant le titre de ce dossier : « Mais les vétérinaires ne sont plus des professionnels de santé depuis la Directive “services” européenne ». Soit. En France désormais, les vétérinaires et leurs auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) sont acteurs de la santé, et non « professionnels » de santé. Il n’empêche : que cela soit en s’engageant dans le parcours long et difficile des études vétérinaires ou en décidant de devenir ASV, c’est bien au service de la santé et du bien-être des animaux (et de leurs propriétaires) que ces professionnels se placent. Dans ce dossier, nous adoptons donc sans rougir un point de vue « One health » sur l’approche des professions « actrices » de santé.

Les écoles vétérinaires osent une enquête genrée sur la santé mentale

Une vaste étude sur la santé mentale des étudiants vétérinaires est en cours dans les quatre écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises. Menée par le professeur Didier Truchot, elle vise à dresser un état des lieux approfondi du bien-être étudiant. Son originalité : aller au-delà du simple constat en identifiant non seulement les facteurs de risque mais aussi les leviers d’amélioration potentiels. « L’idée n’était pas uniquement de mesurer combien il y a de [...] pourcentages qui sont déprimés, anxieux, qui ont des troubles X ou Y [...] mais aussi de faire le lien avec quels sont les facteurs de causalité. [...] L’idée, c’était surtout d’identifier quels étaient les principaux “stresseurs” pour eux et quelles étaient les principales ressources sur lesquelles ils pouvaient s’appuyer », explique Pierre Sans, directeur de l’ENV Toulouse.

Les résultats, attendus courant mars 2025, seront genrés et serviront de socle à l’élaboration de plans d’action spécifiques dans chaque établissement. Une présentation détaillée sera faite aux communautés étudiantes et enseignantes, marquant la volonté d’une démarche transparente et constructive.

  • * spécialisée dans la communication des risques, la gestion de l’infodémie et la formation des professionnels de la santé à l’échelle internationale (société de conseil Olylo).