Une seule violence
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Chantal Béraud
PEMA, pour Pôle environnement et maltraitance animale. Quatre lettres, quatre mots, qui symbolisent une collaboration qui se veut désormais coordonnée et efficace entre vétérinaires, forces de l’ordre (police et gendarmerie) et le parquet de Toulouse. La signature d’un protocole en novembre 2024 encadre la poursuite de ce dispositif local spécifique d’exception.
Lancé fin 2022, le PEMA, pour Pôle environnement et maltraitance animale, de Toulouse* a déjà produit des fruits. En effet, globalement, l’activité pénale du parquet s’est traduite en 2024 par une augmentation des signalements de maltraitance de l’ordre de plus 18 % (et surtout de plus 75 % en deux ans). Cette action se fonde sur trois piliers. D’abord, le recours à des procédures rapides. Ensuite, le développement de peines alternatives adaptées (dont des stages de sensibilisation au bien-être animal et à la lutte contre la maltraitance animale) pour pouvoir répondre à l’ensemble des faits. Enfin, des animaux sont saisis ou confisqués, avec parfois la prononciation (temporaire ou définitive) d’une peine d’interdiction de détention d’un animal. Pour mettre ainsi un terme rapide aux situations de maltraitance et d’en éviter la réitération…
Signature d’un protocole avec les vétérinaires
Un grand pas de plus vient d’être réalisé via la signature en novembre 2024 d’un protocole inédit entre le parquet général de la cour d’appel de Toulouse, l’école nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) et le conseil régional de l’Ordre des vétérinaires (CROV) Occitanie. « Cette signature permet d’organiser les acteurs de manière formelle, en précisant la feuille de route pour chacun d’entre eux », explique Élisabeth Tané, praticienne en canine, responsable du pôle de la commission BEA (Bien-être animal) au CROV Occitanie. Le but est notamment d’instaurer un « maillage territorial » de praticiens formés aux constatations judiciaires et auxquels les forces de l’ordre pourront recourir prioritairement. « Pour trouver des vétérinaires souhaitant s’engager dans cette démarche, nous avons publié une newsletter spécifique à l’intention des praticiens de notre région », commente Élisabeth Tané. Avec pour résultat, près de trois mois plus tard, une quinzaine de volontaires « recrutés » dans ce réseau encore en phase de construction. Dont une majorité exerce en Haute-Garonne, en pratique canine ou mixte.
Les premières Assises régionales de la maltraitance animale
Ensuite, une première édition des Assises régionales de la maltraitance animale aura lieu à l’ENVT, le 17 mars 2025. Afin de mettre en place une politique pénale partenariale, différents acteurs de la justice ainsi que des forces de l’ordre viendront y rencontrer d’autres parties prenantes, dont l’école vétérinaire, le CROV, la Direction départementale de la protection des populations, des associations de protection animale et des élus. « Trois thèmes y seront abordés, sous forme d’une conférence introductive suivie d’une table ronde puis de débats avec les participants, détaille Caroline Lacroux, directrice adjointe de l’ENVT et professeure en anatomie pathologique. Premièrement : le statut juridique de l’animal, par Loïc Dombreval, président du Conseil national de la protection animale. Puis le procureur de la République de Saint-Gaudens abordera les relations entre les vétérinaires et la justice, dans le cadre du PEMA. » Enfin, une conférence de la Dre Dominique Autier-Dérian, sur le thème d’une seule violence, conclura la rencontre. Cette journée ne sera pas ouverte au public mais la Fondation groupe Dépêche en assurera une transmission en direct sur sa chaîne YouTube.
Une formation pour mieux signaler
Au cours du deuxième trimestre 2025 devrait normalement s’ensuivre à l’ENVT une journée de formation par le parquet général, à destination des praticiens qui ont accepté d’être prioritairement réquisitionnés pour les cas de signalement de maltraitance animale. « Par exemple, illustre Élisabeth Tané, il est utile de se former pour mieux savoir rédiger les certificats d’examen clinique avec la précision qu’en attend le parquet. Il convient aussi d’apprendre à utiliser la plateforme numérique Chorus Pro, pour en maîtriser le processus de connexion, puis le remplissage de ses différentes rubriques, jusqu’à l’acte de facturation finale. »
Un recours à l’ENVT
Cette signature de protocole encadre aussi le recours à l’ENVT essentiellement pour la réalisation d’autopsies d’animaux ainsi que pour des interventions complexes, concernant notamment des animaux sauvages ou d’élevage. « Il s’agit de remplir une véritable mission de service public, commente Caroline Lacroux. Pour l’heure, nous répondons dans le cadre du PEMA à environ une dizaine de réquisitions par an. Qui concernent pour l’heure essentiellement des chiens. Nous ne savons pas encore si ce nombre de requêtes va augmenter ou non, au fur et à mesure de la montée en puissance du dispositif. »
Une justice éducative aussi
Et Caroline Lacroux d’ajouter : « Je suis également déléguée du procureur de la République de Saint-Gaudens, notamment chargée du contentieux lié à la maltraitance animale. À ce titre, je participe à une formation des forces de l’ordre du ressort. Par exemple, pour leur expliquer quels peuvent être les attendus d’une autopsie d’animal dans le cadre d’une procédure judiciaire ». Par ailleurs, que pense-t-elle des peines de stages de sensibilisation qui sont prononcées à l’encontre de certains auteurs de maltraitance animale ? « Ces stages animés par une association de protection animale et une vétérinaire ont un effet pédagogique réel : ils permettent une vraie prise de conscience pour la majorité des mis en cause. Qui ont souvent mal agi soit par ignorance soit par inconscience. »
Stéphane Cluseau
Expert près la cour d’appel de Toulouse, membre de la commission Bien-être animal du CROV Occitanie
Soyons tous sentinelle
Même si tout praticien est dit capable de remplir un certificat d’examen à la suite d’une observation de lésions sans suivre aucune formation supplémentaire, je sais que certains vétérinaires ne se sentent pas assez compétents et n’osent pas en faire… Une formation pour mes confrères d’Occitanie qui s’engagent en priorité dans le cadre du Pôle environnement et maltraitance animale est donc fort bienvenue ! Dommage toutefois que certains magistrats soient à mon sens parfois encore un peu trop cléments dans les peines qu’ils prononcent. Il n’en demeure pas moins que ce dispositif local représente d’importants premiers pas vers une évolution culturelle et sociétale qui devrait continuer à « infuser » durant plusieurs générations… À l’Association contre la maltraitance animale et humaine (Amah)*, nous insistons sur le fait que les vétérinaires (et plus largement tous les intervenants du secteur médical) mais aussi d’autres professions spécifiques (enseignants, coiffeurs, etc.) ont vraiment vocation à devenir des sentinelles pour détecter toutes sortes de maltraitances se déroulant au sein des foyers. Enfin, j’espère de tout cœur que Toulouse s’engage ici dans une expérience pilote vouée à essaimer dans d’autres grandes agglomérations.