Congrès VMX : « Les institutions vétérinaires américaines poussent à s’emparer des nouvelles technologies » - La Semaine Vétérinaire n° 2069 du 07/03/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2069 du 07/03/2025

E-santé animale

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Propos recueillis par Tanit Halfon

Aux États-Unis, les vétérinaires praticiens ont accès à un nombre grandissant d’innovations technologiques, en particulier fondées sur l’intelligence artificielle. Elles préfigurent de nouvelles approches dans le soin médical, analyse Grégory Santaner, vétérinaire spécialiste en e-santé animale. Entretien.

Les nouvelles technologies, notamment combinées à l’intelligence artificielle (IA), occupent une place croissante au Veterinary Meeting and Expo (VMX), lieu de rendez-vous annuel des vétérinaires américains dont l’édition 2025 s’est déroulée fin janvier. Les solutions présentées permettent déjà d’envisager une médecine plus personnalisée et prédictive. Le point avec Grégory Santaner, vétérinaire consultant en e-santé animale pour VetoNetwork et associé Anicoon Vétérinaires.

Quelle place occupaient les nouvelles technologies et l’IA à l’édition 2025 du VMX ?

Sur 735 exposants, je dirais qu’il y avait bien une cinquantaine de stands dédiés aux nouvelles technologies et l’IA. Leur place est grandissante d’année en année. L’exemple typique est le logiciel de scribes [rédaction automatisée de comptes rendus de consultations à partir d’un enregistrement, NDLR] : il y en avait une vingtaine cette année, contre trois à quatre l’an dernier.

L’IA, autrefois réservée aux grandes entités, est désormais plus accessible grâce aux nouvelles IA génératives, ce qui a favorisé l’émergence de tout un tas de startups et de solutions comme les scribes. À côté de cela, il y a l’IA algorithmique, fondée sur l’exploitation de grandes bases de données, qui demande des moyens conséquents pour son développement et un accès facilité à un grand volume de données.

Est-ce que les grandes sociétés savantes et institutions professionnelles américaines se sont emparées du sujet des nouvelles technologies et de l’IA ?

C’est le cas depuis déjà quelques années. En témoigne notamment le Veterinary innovation council (VIC) qui est une émanation du North american veterinary community1 (NAVC) [la structure pour la formation continue des vétérinaires, NDLR]. Cette entité organise chaque année un congrès dédié aux innovations et relaie des informations de qualité sur les innovations. Cette réalité, qui est absente en France au niveau des instances officielles, est très liée à la culture américaine qui ne sépare pas la science du reste : le management et les innovations participent à la science.

De manière générale, les institutions vétérinaires américaines poussent à s’emparer de ces nouveaux outils et à les tester pour mieux les évaluer tout en conservant un esprit scientifique face à ces nouveautés. Elles insistent aussi sur le fait qu’au final, ce sera toujours le vétérinaire qui restera responsable de ses actes. Cette vision est également motivée par la pénurie majeure en main-d’œuvre vétérinaire et auxiliaire spécialisé vétérinaire qui ne va pas s’améliorer rapidement selon les prospectives. Tout outil qui ferait gagner du temps de travail est donc étudié avec attention.

Les vétérinaires américains sont-ils déjà passés de la théorie à la pratique ?

Je dirai que oui. J’ai l’exemple des scribes qui se révèlent particulièrement utiles pour des vétérinaires américains qui ont une grande culture des dossiers très complets (pour des raisons légales). Avec ce genre d’outils, un vétérinaire peut gagner plus d’une heure par jour. Pour exemple, Scribenote, qui était un des trois logiciels du genre à être présent au VMX 2024, a levé 8 millions de dollars quelques mois après le congrès, grâce à une preuve de concept avec un réseau de cliniques. À cette échelle, le retour sur investissement est bien plus visible et ce genre de logiciels peut apparaître comme un bon levier de croissance ou, à défaut, une bonne solution de gestion pour gagner en efficacité de travail et réduire la fatigue du personnel.

L’IA est associée à la promesse d’avoir une médecine plus prédictive et personnalisée. Le VMX a-t-il montré que c’était déjà le cas ?

Sur l’aspect personnalisation, les IA génératives permettent de produire différents niveaux de compte rendu : un pour les vétérinaires et un autre pour les détenteurs d’animaux, avec des mots plus simples à comprendre. Pour la partie prédictive, différents outils existent déjà avec des capacités d’assistance au diagnostic en radiologie ou en lecture de lames de cytologie. Ces solutions rivalisent désormais avec les vétérinaires humains, y compris parfois des spécialistes.

Ces bonnes performances doivent inciter à voir l’IA comme un partenaire du vétérinaire, et pas un remplaçant, permettant de pallier certaines limites humaines : on peut être fatigué, inattentif, ne pas avoir le temps, voire manquer de connaissances pour certains cas. In fine, l’IA pourrait aider à limiter le risque d’erreur. Cela a aussi un côté rassurant pour les plus jeunes diplômés.

Mais l’IA n’est pas la seule innovation qui risque de faire significativement évoluer la médecine. Par exemple, le laboratoire Idexx2 a présenté au VMX son dernier outil de dépistage précoce du lymphome canin plusieurs semaines avant l’apparition des signes cliniques grâce à la détection de biomarqueurs spécifiques à partir d’une simple prise de sang.

Ces nouveaux outils sont-ils tous pertinents pour la médecine vétérinaire ?

À mon sens, on doit se poser la question suivante : est-ce que ces outils sont valides scientifiquement et répondent à un besoin médical ? Si un fournisseur de solutions n’est pas en mesure de prouver scientifiquement ses promesses, il faudrait probablement se méfier. Mais ce serait dommage de remettre en cause ces innovations juste par principe ou par méconnaissance.

L’intégration des nouvelles technologies, notamment associées à l’IA, ne risque-t-elle pas d’augmenter les prix des soins vétérinaires ?

Les nouvelles approches médicales qui découlent de ces outils – c’est la médecine dite des 4P, personnalisée, préventive, prédictive et participative – vont amener à détecter les troubles de santé plus tôt dans la vie de l’animal, avec l’aide notamment de tests génétiques. L’animal pourra probablement vivre «malade», mais en relative bonne santé, plus longtemps. Indirectement, cela aura donc des conséquences sur les coûts globaux de soins vétérinaires sur l’ensemble de la vie de l’animal.

Si vous deviez comparer la France aux États-Unis, que diriez-vous ?

La France est en retard sur le développement et l’adoption de ces solutions technologiques. Nos institutions, y compris au niveau académique, se sont trop peu emparées de ces outils et leurs conséquences. Nos jeunes diplômés sont trop peu exposés à ce que sont la e-santé, les nouveaux outils technologiques et l’IA, lors de leur formation initiale. C’est inquiétant car à force de ne pas se consacrer suffisamment à ce sujet, une forme de dette technologique se creuse.

Qu’est-ce qui apparaît comme le plus prometteur pour la pratique clinique ?

Les outils prédictifs, qui révéleront l’existence de maladies avant même l’apparition des signes cliniques traditionnellement surveillés, sont très prometteurs. Les tests génétiques et certains outils diagnostics prédictifs à base d’IA vont nous emmener dans une autre approche de la médecine vétérinaire qui va être fascinante.

États-Unis versus Europe

L’association représentative des intérêts des vétérinaires américains, l’AVMA (American Veterinary Medical Association), a récemment créé un groupe de travail sur les innovations (Task force on emerging technologies and innovation). Ses objectifs sont d’identifier les technologies émergentes susceptibles d’avoir des effets sur les pratiques vétérinaires et d’élaborer une politique pour encourager le développement de ces outils, tout comme leur utilisation responsable pour la pratique vétérinaire. En France, de telles initiatives institutionnelles de grande ampleur pour une profession n’existent pas encore. Mais le prochain séminaire du Syndicat national des vétérinaires exercice libéral (SNVEL) sera consacré au sujet : de là à aboutir à une task force à la française, regroupant différentes parties prenantes ? À voir. Du côté de l’Ordre des vétérinaire, c’est au sein du Comité de liaisons des institutions ordinales — le Clio, qui regroupe 16 professions libérales réglementées — que l’intelligence artificielle est mise au programme officiel des discussions. C’est un des cinq sujets prioritaires, avait indiqué Jacques Guérin aux derniers vœux de l’Ordre.

Le vieux continent à la traine

À l’échelle vétérinaire européenne, un groupe de travail sur le sujet avait été créé à l’initiative du European coordination committee on veterinary training (ECCVT). Mais il s’agissait d’un groupe éphémère, ayant vocation à produire un seul rapport sur une question précise à un moment donné. Ce rapport, daté de septembre 2020, s’était penché sur l’impact des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle (IA) sur l’éducation et la pratique clinique. Dans la conclusion, les auteurs estimaient que, malgré les multiples possibilités offertes par ces outils, « la profession vétérinaire n’est pas encore prête à intégrer pleinement ces technologies dans la pratique en raison de l’absence de politiques appropriées au niveau national et européen ».

Le nouveau règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI act), adopté en mars 2024, permettra-t-il d’apporter des réponses ? Ce règlement est la première législation générale au monde sur l’IA. Il définit quatre niveaux de risque pour les systèmes IA, chacun étant associé à des règles spécifiques (pouvant aller jusqu’à l’interdiction) pour le maîtriser. « Le règlement sur l’IA est conçu pour faire en sorte que l’IA développée et utilisée dans l’UE soit digne de confiance, des garanties étant prévues pour protéger les droits fondamentaux des citoyens », nous précise la Commission européenne. Mais « la législation sur l’IA ne contient aucune disposition traitant explicitement des risques de l’IA en ce qui concerne les animaux ou le secteur de la santé animale. Elle ne s’applique pas aux animaux, son champ d’application étant limité aux systèmes d’IA développés et utilisés par l’homme ».