«Il est nécessaire de donner au contentieux de la maltraitance animale une visibilité» - La Semaine Vétérinaire n° 2067 du 21/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2067 du 21/02/2025

Justice

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Propos recueillis par Anne-Claire Gagnon

Franck Rastoul, procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, a créé la Cellule de lutte contre la maltraitance animale en novembre 2024 à Aix-en-Provence. Il revient sur l’évolution de la lutte contre les mauvais traitements des animaux. Une justice plus engagée pour protéger le vivant. Entretien.

Après avoir mis en place à<0x00A0>Toulouse le premier Pôle environnement et maltraitance animale (Pema) en septembre 2022, vous avez mis en place, à<0x00A0>Aix-en Provence, la Cellule de lutte contre la maltraitance animale (Cluma) depuis novembre. Pourquoi?

Il est nécessaire de donner au contentieux de la maltraitance animale une visibilité et une place à<0x00A0>l’instar de celle donnée à<0x00A0>tout champ pénal traité par les parquets, ni plus ni moins. Celui qui se rend coupable de maltraitance animale enfreint la loi. Il commet une infraction qui est, selon les cas, une contravention ou un délit. En d’autres termes, c’est un délinquant à<0x00A0>qui il faut appliquer la loi pénale comme à<0x00A0>tout autre délinquant.

Quels enseignements du Pema avez-vous acquis?

Que ce soit dans ce domaine comme dans tout autre, la politique pénale relève plus du marathon que du 100<0x00A0>mètres. En outre, ce champ était, il faut le dire, quelque peu en jachère judiciaire par le passé. Les choses sont en train de changer et il faut continuer à<0x00A0>aller de l’avant. Il faut jouer pour cela sur la politique pénale impulsée par les parquets généraux (c’est-à-dire les priorités d’action définies) et sur l’action publique exercée par les parquets (c’est-à-dire la traduction concrète de la politique pénale au travers de la décision prise dans chaque affaire). Le ministère public défend les intérêts de la société et doit répondre à<0x00A0>ses attentes en matière de réponse pénale. Aujourd’hui, le seuil de tolérance de la maltraitance animale s’est sensiblement abaissé. Il faut s’en féliciter tant il est vrai qu’il n’existe qu’une seule violence dont l’expression est protéiforme. En outre, la protection des animaux s’inscrit dans une prise de conscience quant à<0x00A0>la nécessité de protéger ce que l’on appelle «le vivant» sous toutes ses formes. À<0x00A0>cet égard, la différence existant au niveau de la protection juridique accordée, d’une part, aux animaux domestiques ou captifs et, d’autre part, aux animaux dits sauvages n’est, à<0x00A0>mon sens, plus entendable mais c’est là un débat qui relève du législateur et non de l’autorité judiciaire.

Qui sont les membres de la Cluma?

La Cluma comprend une avocate générale, cheffe de service au parquet général, et la cheffe de cabinet qui travaille au quotidien à<0x00A0>mes côtés. J’y prends également toute ma part dans la mesure de ma disponibilité. Cette cellule entend également s’appuyer sur les magistrats des huit<0x00A0>parquets du ressort chargés du contentieux de la maltraitance ainsi que sur l’ensemble des partenaires institutionnels et associatifs de même que sur tous les professionnels concernés. Les vétérinaires tiennent naturellement une place première parmi ces derniers.

Et quels sont ses objectifs?

Ses objectifs sont ceux qui relèvent de la compétence d’un parquet général. À<0x00A0>savoir, d’une part, soutenir les poursuites pénales pour les affaires de maltraitance animale venant devant la cour d’appel après avoir été jugées dans l’un des huit tribunaux judiciaires du ressort (Aix-en-Provence, Marseille, Toulon, Nice, Grasse, Draguignan, Tarascon et Digne-les-Bains) et, d’autre part, impulser une politique pénale active en la matière avec, notamment, un suivi renforcé des poursuites exercées et des décisions judiciaires rendues ou encore le développement d’actions de formation. Je rappelle que le champ de la maltraitance animale est large et technique et va bien au-delà des violences exercées sur un animal par son propriétaire.

Le ressort d’Aix-en-Provence a la particularité d’avoir une activité d’élevage, une faune sauvage protégée importante avec les loups en plus des animaux de compagnie. Quelle vigilance particulière aurez-vous pour ces espèces?

C’est un sujet très sensible auquel j’ai été confronté lors de mon précédent poste avec la problématique de l’ours en Ariège. La destruction d’espèces protégées est un délit et lorsque la loi pénale est violée, encore une fois dans ce domaine comme dans tout autre, le parquet est là pour sanctionner ces faits. Pour autant, il est évident que la problématique posée par l’ours ou par le loup appelle bien d’autres réponses que judiciaires. Comme l’on dit de nos jours, c’est un sujet du «vivre ensemble», faire vivre ensemble éleveurs et protecteurs de la nature, faire vivre ensemble l’homme avec les animaux, d’élevage comme sauvage. Le parquet doit apporter sa pierre à<0x00A0>la difficile construction de cet édifice.

Trois structures en France pour lutter contre la maltraitance

À<0x00A0>ce jour, à<0x00A0>notre connaissance, il existe trois<0x00A0>structures en France, rattachées aux parquets, pour lutter contre la maltraitance animale:

- Le Pema, premier Pôle environnement et maltraitance animale, mis en place en septembre<0x00A0>2022 auprès de la cour d’appel de Toulouse, à<0x00A0>l’initiative du procureur général Franck Rastoul;

- Le Colden, Comité de lutte contre la délinquance environnementale liée à la maltraitance animale, mis en place auprès de la cour d’appel de Lille en septembre 2023, à<0x00A0>l’initiative de la procureure générale Carole Étienne.

- La Cluma, Cellule de lutte contre la maltraitance animale, a été mise en place le 6 novembre 2024 par le procureur général Franck Rastoul auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en présence des représentants de l’Association contre la maltraitance animale et humaine (Amah), la Société protectrice des animaux (SPA), la Brigade de protection animale (BPA), l’Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), la Fondation 30 millions d’amis, l’association les 4 pattounes et la Fondation Brigitte Bardot.

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