Les vétérinaires « influenceurs » sur les réseaux sociaux - La Semaine Vétérinaire n° 2052 du 18/10/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2052 du 18/10/2024

DOSSIER

Auteur(s) : Sarah André

Depuis maintenant plusieurs années, les réseaux sociaux font parler d’eux et leur popularité ne cesse de croître. Après les lancements d’Instagram en 2010 et de TikTok en 2016, du chemin a été parcouru. Ces canaux de communication font désormais partie de la vie de plus de 60 % de la population mondiale1. Quelle place les vétérinaires ont-ils prise dans cet univers digital ? La création de contenus se développe dans tous les domaines, du monde du livre jusqu'à la mécanique automobile … et la santé animale ne fait pas exception.

Les vétérinaires sont de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux. Vulgarisation scientifique, partage de leur quotidien… plusieurs milliers de consommateurs de contenus s'abonnent à ces comptes qui décloisonnent le monde de la santé. Océane Sorel (Liège 11), créatrice de @thefrenchvirologist, s'est lancée pendant la pandémie de Covid-19 : « J’ai commencé en février 2021, quand les vaccins sont arrivés sur le marché. Il y avait une grosse désinformation sur les réseaux sociaux. Au début, je répondais aux messages envoyés sur mon compte Instagram privé. Ensuite, j'ai fait des stories. J’avais tellement de questions que j’ai voulu créer un compte spécifique. » La jeune génération s’empare aussi des téléphones pour partager ses connaissances. Sacha Bourlon (UCH CEU Valencia 23), créateur de @docteur.bourlon, a débuté fin décembre 2023, à l'occasion de sa première expérience de praticien : « Je ressentais tout de même ce besoin d’avoir une activité créative. De plus, j’ai remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup de vétérinaires sur les réseaux sociaux et que de nombreux propriétaires ignoraient un grand nombre de choses sur leurs animaux de compagnie. » D’autres se sont pris au jeu en s’inspirant de personnes déjà présentes sur les réseaux. C’est le cas d’Esteban Mourra (L 12), créateur de @vetostreaming : « J’ai lancé mon compte Instagram en avril 2021 après avoir vu le live d’une avocate qui évoquait son métier. Je me suis dit : "Pourquoi pas parler du mien et du milieu vétérinaire en général pour informer et vulgariser cette profession ?” J’ai aussi créé une chaîne Twitch, il n’y a presque pas de vétérinaires sur ce service de streaming vidéo. »

Influenceur or not influenceur ?

Même si leur cible est le grand public, ces vétérinaires sont aussi suivis par des consœurs et confrères, des étudiants vétérinaires et des professionnels de santé. « De plus en plus de professionnels de santé me suivent et se servent de son contenu pour éduquer leur patientèle. Certaines pharmacies m’ont même demandé l'autorisation de reprendre mes posts pour les imprimer et pour les afficher », confie Océane Sorel. Cette création de contenus fait-elle d’eux des influenceurs ? Le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a défini ce terme dans son guide de bonne conduite2 comme suit : « L’influenceur désigne toute personne physique ou morale qui, à titre onéreux, mobilise sa notoriété auprès de son audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus faisant la promotion, directement ou indirectement, de biens, services ou causes quelconques. Dès lors que je reçois une contrepartie financière ou en nature, pour faire la promotion d’une marque, je suis un influenceur. » Nos trois interlocuteurs sont unanimes sur ce mot, qui n’est pas vu d’un bon œil. Sacha Bourlon reconnaît ainsi : « Je n’aime pas trop le mot "influenceur". Je me décrirais surtout comme quelqu’un qui a une passion et qui aime transmettre ses connaissances. On m’a parfois surnommé le "véto 2.0". Je définirais un influenceur comme quelqu’un qui a une audience et qui peut influer sur son audience par ses paroles ou par ses actes. » Un avis que partage Esteban Mourra : « J’ai tendance à dire que je suis un "influenceur", mais n’importe qui présent sur un réseau social peut influencer son public. » Les vétérinaires se considèrent donc plus comme des créateurs de contenus ou des vulgarisateurs. Néanmoins, l’influence peut être positive et utilisée à bon escient. Océane Sorel se considère comme « une créatrice de contenus, voire une sorte de "média". Le terme "influenceuse" a une connotation péjorative. Mais si l’influence est bénéfique pour la santé publique, alors oui, je suis une influenceuse. Mais on a tous une influence sur les autres, avec ou sans réseaux sociaux. Il faudrait éduquer les gens à distinguer influences positives et influences négatives. »

Une activité chronophage

Esteban Mourra est présent sur Instagram et TikTok. Chaque semaine, il publie une à deux vidéos dans lesquelles il présente certains aspects de son activité de vétérinaire équin itinérant, et des vidéos de vulgarisation de la santé animale en général. « Je consacre environ deux heures de travail à chacune, je choisis mes sujets en fonction des cas cliniques intéressants rencontrés les jours précédents », décrit-il. Une autre forme de communication : les live, des vidéos diffusées en direct pendant lesquelles les internautes peuvent réagir en temps réel. Esteban est un adepte : « Je fais des lives sur Twitch, réseau social où je fais aussi des lives gaming. Néanmoins, je suis moins régulier, car cette activité est chronophage. En général, je propose un live sur un sujet donné – cela me demande beaucoup de recherches bibliographiques en amont. La communauté est ici plus engagée comparé à TikTok, où beaucoup s’y retrouvent "par hasard". »

Sacha Bourlon est aussi présent sur Instagram et TikTok, il publie une vidéo par jour, accompagnée de stories. Actuellement interne en animaux de compagnie, il s'organise en fonction de ses activités. « J’y consacre plusieurs heures par semaine, soit sur mes jours off, soit le soir après ma journée en clinique. Instagram et TikTok reflètent la société d’aujourd’hui : les gens consomment beaucoup de contenus et cherchent des informations claires et concises. Ils passent plus de temps sur ces réseaux sociaux, il leur faut donc du contenu facilement accessible et rapide », rapporte-t-il.

Océane Sorel se consacre désormais à temps plein à son compte Instagram et à sa newsletter : « J’étais déjà sur Instagram, et je ne me voyais pas faire des vidéos longues sur YouTube, c’est donc tout naturellement que j’ai choisi ce canal. Je publie trois vidéos hebdomadaires. Cela représente environ 20 à 30 % de mon temps de travail. Je m’organise de manière à avoir deux semaines d’avance et je choisis les sujets en fonction de l’actualité. Instagram reste intéressant pour le contenu court sous un format fun et léger. Ce qui me prend le plus de temps reste ma newsletter, où j'approfondis les choses. Je publie une newsletter deux fois par mois. J'y consacre quatre heures au quotidien et ce pendant quinze jours, y compris le week-end. C’est comme écrire un chapitre de livre toutes les semaines, un livre qui ne s’arrête jamais ! »

Cette activité prend du temps, et les vétérinaires vulgarisateurs reçoivent peu d’aide extérieure. « Je fais tout seul, que ce soit la recherche d’idées, la préparation des scripts, le tournage, le montage ou la publication », témoigne Sacha. Organisation et priorisation des tâches sont les maîtres mots pour réussir à tout concilier, comme le relate Esteban, qui lui non plus ne bénéficie d'aucune assistance : « Ce n’est pas évident, il faut réussir à prioriser les tâches. Mon temps libre est consacré à ma famille. Sur mon temps de travail, je suis vétérinaire avant d’être créateur de contenus et je fais donc passer cela avant. J’ai trouvé un rythme où je publie une vidéo par semaine, je ne me mets pas la pression pour en faire davantage, cela doit rester un divertissement. » Océane a, pour le moment, fait appel à un professionnel : « Aujourd’hui, je délègue le montage de mes vidéos à un monteur, je me dégage ainsi du temps pour d’autres tâches. » Elle se consacre à 100 % à son compte depuis quelques mois : « Pendant plus de deux ans, j’ai combiné mon job à temps plein avec la création de contenus sur les réseaux. Plus cette activité a commencé à grandir, plus cela a été compliqué. J’ai fait un burn out, et j'ai dû choisir. Une décision facile à prendre : j’ai préféré la liberté d'être mon propre patron et me sentir vraiment utile. Je ne regrette rien, ça se développe bien. »

Entre satisfaction et haters

Qui dit exposition sur les réseaux sociaux dit réactions des abonnés. Sous forme de commentaires ou de messages privés, les internautes interagissent directement avec les influenceurs. Nos vétérinaires semblent avoir bien plus de retours positifs et encourageants que de véritables « haters », ces personnes qui dénigrent le travail des créateurs de contenus, dont ils ne partagent pas les opinions. « Quand il s’agit de questions, je réponds presque à tout le monde. Concernant les haters, je ne réponds pas et je bloque. C’est peut-être un peu radical, mais si certains n’aiment pas ce que je fais, ils ne sont pas obligés de rester. Et puis cela me permet de protéger ma santé mentale », glisse Océane Sorel. Esteban Mourra abonde : « J’ai peu de commentaires négatifs et cela ne m’atteint pas. J’essaie de répondre à tous, qu’ils soient positifs ou négatifs. Je crée du contenu pour les autres, ce serait dommage de ne pas réagir à ce que l'on m'envoie. » Des propos que partage Sacha Bourlon : « J’essaie de répondre à un maximum de commentaires, car les gens se donnent la peine de les écrire. Je me dois de le faire, ça leur fait plaisir et, parfois, cela leur apporte même du soutien. Par exemple, des personnes se sont livrées à moi après l’euthanasie de leur animal, et le fait d'échanger les a aidées. J’ai parfois des commentaires négatifs, je n’y réponds pas lorsqu’ils sont méchants, mais je le fais si cela reste respectueux et constructif. »

Tous trois trouvent un bon nombre d’avantages à cette activité de création de contenus. Épanouissement personnel, créativité, possibilité de communiquer un message à une large audience, c'est ce qu'Esteban apprécie tout particulièrement. Pour Océane, la liberté de création, le fait de travailler depuis n’importe où et la sensation d'être utile sont autant de points positifs à la vulgarisation sur les réseaux. Sacha, pour qui cette activité est une passion, aime éduquer les propriétaires d’animaux et transmettre aux jeunes l'envie de devenir vétérinaire. Côté inconvénients, être publiquement exposé laisse parfois un goût amer. Esteban pointe le côté chronophage, la difficulté de trouver des sujets intéressants et le fait de s’exposer : « Il faut faire attention, surtout avec sa vie privée. Je dirais aussi qu’il faut veiller aux contenus que l’on propose en tant que véto, car certaines personnes peuvent surinterpréter nos propos ou, au contraire, faire preuve d'un manque d’interprétation. » Sacha partage ce point de vue quant au fait d'être exposé : « Je ne vois qu’un inconvénient, le fait de ne pas avoir droit à l’erreur. » Ces observations font aussi écho chez Océane, qui ajoute : « On doit avoir un bon mental pour surpasser l'exposition aux gens et donc aux haters. Il faut aussi faire attention au risque de burn out, car c’est un travail chronophage, et à l’isolement, parce qu'on est seul chez soi, sans collègues. »

Quid des collaborations ?

Les réseaux sociaux sont désormais un canal de communication pour les entreprises, les associations, etc. Les collaborations sont en plein essor pour donner de la visibilité à une marque, à un produit par le biais des influenceurs. Esteban n’est pas intéressé : « Je ne cherche pas les collaborations, bien que je reçoive certaines demandes parfois. » Sacha ajoute : « Oui, je reçois des demandes de collaboration assez souvent, environ une par mois, parfois plus. » Quant à Océane, elle profite de ces opportunités pour faire connaître les instituts de recherche : « Je collabore avec l’Institut Pasteur de Paris, l’Institut Pasteur de Lille, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou encore The French Gut de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) qui porte sur le microbiote. Je privilégie les collaborations sur le long terme. Je crée des contenus pour faire connaître le travail de ces structures et pour les aider à récolter des fonds pour la recherche. L’éthique est importante. » La plupart du temps, ce sont les demandes de collaborations qui parviennent jusqu’aux influenceurs, comme le confirme Océane : « Ce sont les partenaires qui me contactent dans 95 % des cas ». Plus la notoriété, c’est-à-dire le nombre d’abonnés, est grande, plus les marques sont susceptibles d'entrer en relation avec les créateurs de contenus.

Des idées en perspective

Quoi qu’il en soit, nos trois vétérinaires ont chacun de beaux projets pour leurs réseaux. Esteban souhaite faire participer des consœurs et des confrères : « J’aimerais les recevoir sur mes réseaux et leur donner la parole sur différents sujets. Filmer le quotidien de certains vétérinaires serait intéressant pour témoigner de la réalité du métier », mais aussi pour toucher un autre public, les étudiants vétérinaires. « J'aimerais m'addresser à eux en leur montrant le quotidien d'un vétérinaire selon le type d’activité pratiqué afin qu’ils découvrent ce qu’est "la vraie vie" en dehors de l’école. » Océane a elle aussi des projets collaboratifs : « Je souhaiterais verser une partie de mes revenus à une association de lutte contre la désinformation en créant une forme de participation financière. J’ai plein d’autres idées, comme celle de créer des ebooks sur divers sujets. Ma vision globale est d’améliorer la santé publique et de prouver que l’on peut faire une activité viable dans l’éducation de la santé publique grâce à la participation d’une communauté, et ce sans vendre son âme au diable. » Enfin, Sacha s'attacherait à élargir son auditoire : « J’aimerais continuer sur cette lancée : partager mon quotidien et ouvrir les portes du monde vétérinaire à tous, tout en continuant de faire grandir une belle communauté. »

Pourquoi pas vous ?

Si vous souhaitez vous lancer, mener une vraie réflexion en amont est recommandé par tous. « Oui, je le conseillerais, mais pas à tout le monde, car il faut vraiment avoir envie de le faire pour que cela reste amusant, avec un rendu positif. Il faut aussi avoir un mental solide pour arriver à surpasser certains retours négatifs. Les vétos ne sont pas assez présents sur les réseaux sociaux, c’est notamment pour ça que j’ai commencé. Ils sont de plus en plus nombreux, c'est cool, parce que les gens ont une image du vétérinaire éloignée de la réalité. Je trouve ça bien de montrer que ce monde se digitalise », avance Sacha. Océane acquiesce : « Je conseillerais de se lancer uniquement si on est réellement motivé et si on y prend du plaisir, car c’est un long chemin qui demande beaucoup de temps. Il est important de ne pas se décourager si, au début, les vidéos n'ont pas beaucoup de succès. La vulgarisation sur les réseaux sociaux est un marathon, pas un sprint. » Des propos que corrobore Esteban : « Je ne pense pas que je conseillerais aux vétos de se lancer à moins qu’ils ne soient très motivés et qu’ils prennent un temps de réflexion pour voir et comprendre ce que cela signifie dans la réalité. Il ne faut pas le faire pour les chiffres (abonnés et vues), mais pour le plaisir et le partage. La jeune génération est de plus en plus présente, ce qui est bien, mais cela peut aussi être dangereux. Il faut faire attention à ce que l’on dit et ne pas dire de bêtises : en tant que vétérinaire sur les réseaux sociaux, je représente la profession et je fais donc passer nos messages, je ne représente pas Esteban Mourra. »

  • 1. D’après un rapport réalisé en 2024 par l’agence We Are Social en partenariat avec Meltwater, disponible sur : urlr.me/16Qnw
  • 2. urlr.me/rgMts