DOSSIER
Auteur(s) : Dossier réalisé par Tanit Halfon
Depuis une dizaine d’années, les écoles vétérinaires ont entamé une véritable révolution pédagogique pour se centrer davantage sur les étudiants. Les mots d’ordre de cette transformation : diversité des approches, engagement actif des élèves, responsabilisation, travail en équipe, feed-back régulier… Cette nouvelle approche, qui s'appuie notamment sur les possibilités numériques, touche aussi la formation clinique.
Fin de la classe préparatoire vétérinaire, rééquilibrage des voies d’accès aux écoles, création de la voie d’entrée post bac… Ne vous y trompez pas : la restructuration du cursus vétérinaire dépasse le simple recrutement. Au-delà de l’actualisation des contenus, c’est toute la méthode pédagogique qui a changé. « Depuis une dizaine d'années, l’approche centrée sur l’étudiant1 s’impose dans les écoles vétérinaires, souligne Henry Chateau, directeur des formations à l'École nationale vétérinaire d'Alfort (EnvA) et professeur d'anatomie. En caricaturant, ce n'est pas le contenu qui importe, mais ce que l’étudiant retient. » L’engagement des étudiants y tient une place centrale, grâce à l’essor de méthodes actives d’enseignement en présentiel (travaux dirigés et pratiques, préparations de projets, simulations, quizz interactifs pendant les cours, classes inversées2, etc). Ce qui s’est « traduit par une réduction drastique du nombre d’heures de cours magistraux. À l’EnvA, dans les années 2000-2010, nous avions 60 % des cours magistraux pour 40 % de travaux dirigés/travaux pratiques (TD/TP)… Aujourd’hui, c’est l’inverse. Toutes les études montrent qu’avoir un étudiant passif n’est pas efficace dans les apprentissages ».
Des approches variées et collaboratives
En anatomie par exemple, « nous avons aujourd’hui quarante heures au maximum de cours magistraux, en association avec les TP. Ce n’était pas loin du double dans les années 2000 ». À Oniris, la transformation est similaire : en toxicologie clinique et environnementale, « nous n’avons plus que six cours magistraux de cinquante minutes, tout le reste étant des séances de travaux dirigés ( huit fois deux heures). C’est pour le mieux, car il est plus facile d’interagir avec des groupes de trente étudiants, explique Hervé Pouliquen, directeur de formation. En pharmacie galénique, les étudiants ont deux interventions en amphithéâtre de cinquante minutes, ainsi qu’un polycopié à disposition. Puis ils doivent constituer deux groupes pour travailler sur un sujet précis à rendre sous la forme d’un diaporama, évalué en fin d’année. »
Avec ces nouveaux formats d’enseignement, il s'agit aussi d'encourager l’apprentissage collaboratif… tout comme de s'adapter à la nouvelle génération d'étudiants, dont « la capacité d'attention – et des études l’ont montré – est en décroissance, souligne Pierre Sans, directeur de l'École nationale vétérinaire de Toulouse. Ils sont aussi caractérisés par des comportements multitâches. Il faut aussi savoir s’adapter à cela, au travers des approches et des outils variés ». Hervé Pouliquen abonde dans le même sens : « C’est compliqué d’envisager les enseignements avec une seule modalité pédagogique. Donc on varie les approches, même pendant un même exercice d’enseignement. »
Apprendre à son rythme
« La diversification des approches, dans l’enseignement tout comme les évaluations, permet également de s’adapter à la diversité des profils », indique aussi Pierre Sans. À VetAgro Sup, le directeur des formations, Sébastien Lefebvre, souligne que « personne n’apprend de la même manière, ni au même rythme. L’école fournit aujourd’hui un certain nombre d’outils, notamment via la plateforme numérique de l’enseignement des ENV, Moodle, pour que chacun utilise la méthode optimale. » Outre les supports des cours, cette plateforme numérique fournit aux étudiants des activités pédagogiques variées et interactives, avec le grand avantage d’y avoir accès à tout moment, et donc de les faire et refaire, à leur rythme. Dans ce cadre, les autoévaluations tiennent désormais une place importante, pour que « chaque étudiant puisse améliorer ses apprentissages de façon autonome et régulière, plutôt que de se concentrer uniquement sur des évaluations sommatives finales, indique Henry Château. Sont mis en ligne par exemple des cas cliniques virtuels incluant des scénarios interactifs où les étudiants peuvent s’entraîner en autonomie ». Signe du poids des autoévaluations, « la plateforme de l’EnvA enregistre plus de cinquante mille questions posées ! » Ce qui appuie d’autant plus la responsabilisation des étudiants sur leurs apprentissages. « Moodle gère également les activités collaboratives avec des forums de discussion, des wikis, des blogs et autres activités de groupe », souligne l’enseignant.
Au-delà de Moodle, les outils numériques occupent une place croissante dans les enseignements (voir photos et témoignages). Pour maîtriser ces nouvelles méthodes et outils, les enseignants ont l’appui d’ingénieurs pédagogiques.
Des innovations pédagogiques
Parmi les innovations pédagogiques, les salles de simulation permettent aux étudiants de progresser à leur rythme. « Cela a été une vraie révolution, indique Sébastien Lefebvre. Car on donne la possibilité de s’essayer à un geste technique sans stress, et surtout de pouvoir le répéter. » « En matière de simulation, nous avons aussi des comédiens qui viennent, et simulent une consultation. L’étudiant est filmé permettant un débrief de sa communication avec le client », ajoute aussi Hervé Pouliquen.
UniLaSalle, la dernière école vétérinaire française, a choisi l’innovation pédagogique dès sa création. La vétérinaire Caroline Boulocher (L 03), directrice développement et innovation de ce nouveau cursus explique : « L’innovation, ce n’est pas forcément l’outil, mais la démarche. Nous ajustons la formation aux besoins du terrain, et aux attentes des nouvelles générations d’étudiants qui suivent notre cursus, avec la prise en compte de l’évolution des connaissances de l’éducation ». Estelle Lefrançois (A 92), vétérinaire, responsable de l’équipe approches intégrées de la santé et santé publique vétérinaire, doctorante en sciences de l’éducation précise : « L'innovation pédagogique permet de transmettre des compétences plus transversales, voire des valeurs favorables à la vie professionnelle, par exemple la pensée critique, la pensée systémique, la capacité observationnelle, le sens du collectif ou la prise en compte de l’écosystème vétérinaire dans un monde en transition. Cela permet aussi de soutenir la motivation et l’engagement. »
Suivre les compétences cliniques
Charlotte Beerts, vétérinaire, responsable de l’équipe sciences fondamentales et propédeutique vétérinaire, liste quelques pratiques : « Nous avons mis en place des jeux de rôle dont certains avec des jeux de cartes ; des ateliers avec des prises de parole pour débattre, et apprendre à argumenter ; des ateliers dessin ; des ateliers où les étudiants doivent élaborer puis présenter un poster sur un sujet précis pour lequel ils auront eu au préalable accès à des ressources documentaires (pédagogie inversée), etc. Il y a au final autant de TD/TP que de cours magistraux ». Dans les bâtiments en construction, UniLaSalle s’est doté d’une extension avec une salle de pédagogie active favorisant le travail de groupe avec des bureaux en îlots et des petites salles équipées de gradins. Pour la formation clinique, des démarches innovantes sont attendues dans le futur hôpital, dont la construction a démarré début mai 2024. Dans ce cadre d’apprentissage centré sur l’étudiant, il est aussi important de fixer des limites : « On doit rester conscient du niveau de compétences attendues au premier jour de l’exercice clinique, et rester raisonnable », indique Caroline Boulocher, visant à plus de confiance des étudiants.
Du côté des ENV, l’acquisition des compétences cliniques est suivie de près grâce à l’application CompetVet, mise en place dans les hôpitaux. Elle permet aux étudiants de recevoir des retours détaillés et constructifs sur leurs performances en situation clinique (voir témoignage). Les stages sont eux aussi intégrés dans cette démarche d’évaluation et de feed back, avec la plateforme StageVet, qui met en relation les étudiants et les structures vétérinaires pour les stages, tout en permettant de fournir des retours sur les compétences acquises.
Enfin, depuis quelques années, a été mis en place un système de tutorat : un étudiant est accompagné par un enseignant qui doit l’aider à construire son projet professionnel.
Des feed-back d’étudiants
En toile de fond de ces évolutions pédagogiques, on trouve le référentiel de l’enseignement vétérinaire, acté en 2017, qui prône une approche par compétences. Il définit les compétences minimales à acquérir en sortant du cursus, telles que voulues par l’A3EV. « Cette approche a profondément fait évoluer les pratiques pédagogiques. Elle va de pair avec l’approche centrée sur l’étudiant et la pédagogie de contrat d’objectifs en définissant des buts précis, atteignables et mesurables, explique Henry Chateau. Plutôt que de se concentrer uniquement sur la transmission de connaissances théoriques, cette approche met l'accent sur la capacité des étudiants à appliquer leurs connaissances de manière pratique et contextualisée. » Dans cette optique, à l’EnvA par exemple, depuis plus de dix ans, le cursus est organisé en unités de compétences et non plus en unités d’enseignements. Cette approche a fait évoluer les modalités d’évaluations qui visent à davantage tester les compétences en situation réelle.
Mais toutes ces évolutions ne seraient rien … sans un retour des principaux intéressés : les étudiants ! Ce feed-back est aujourd’hui bien formalisé dans le cadre de la démarche qualité, avec des questionnaires à la fin de chaque semestre.
Pour l'avenir, les écoles sont en train de réviser le référentiel de compétences, consolider et améliorer leurs approches pédagogiques, renforcer des enseignements ... Pour Sébastien Lefebvre, l'intelligence artificielle sera une grande perspective d'avenir, tout comme le développement de la simulation. Avec l’éternelle problématique, comme le rappelle Pierre Sans : « Dans un temps fini, si on ajoute quelque chose, il faudra enlever autre chose ou faire autrement. »
DOROTHEE LEDOUX (A 03)
enseignante-chercheuse à VetAgro Sup en zootechnie et médecine des troupeaux
Le collectif pour améliorer l’enseignement
Tous les enseignants des établissements d’enseignement supérieur sous tutelle du ministère de l’Agriculture ont accès à une formation pédagogique. Avec d’autres enseignants d’écoles agronomiques et de l’École nationale vétérinaire d'Alfort, nous avons souhaité aller plus loin dans notre réflexion sur nos pratiques en créant le réseau Espoir, dans le cadre d’un appel d’offres du ministère. Un de nos premiers axes de travail a été de réfléchir sur la posture que peuvent adopter les enseignants lors d’approches pédagogiques du type gestion de projet : quel niveau d’implication doivent-il avoir ? Doivent-il être experts ?, etc. Nous nous sommes aussi penchés sur les modalités d’enseignement en distanciel. Pour y répondre, nous avons notamment choisi d’interroger nos étudiants car c’est de leur réflexion que grandissent nos pratiques pédagogiques ! Cela a abouti à l’élaboration de capsules vidéos visant à faire réfléchir chaque enseignant sur ses pratiques. Nous sommes aussi en train de finaliser des fiches d’actions pédagogiques, et de construire le site internet du réseau.
GIOVANNI MOGICATO (T 01)
enseignant-chercheur en anatomie à l’École nationale vétérinaire de Toulouse
Apprendre par le jeu
À Toulouse, cela fait quatre ans que l’enseignement d’anatomie intègre des escapes games, à destination des étudiants de A2 et de A3. L’objectif est de leur faire réviser leurs cours, après qu’ils aient suivi les enseignements magistraux, et avant d’attaquer les travaux pratiques. Ils en refont également un autre avant leurs examens. Nous avons repris tous les codes de l’escape game : c’est un cours à part entière en amphi, mais durant lequel les enseignements ont le rôle de maître du jeu, et les étudiants y jouent en petit groupe devant un ordinateur. Dans chaque scénario, il faut trouver des indices, avec certains qui ne serviront pas forcément à avancer dans le jeu. Nous essayons de choisir des thématiques qui parlent à nos générations d’étudiants, par exemple l’année dernière, c’était Stranger Things ; cette année, c’était Harry Potter. Un des intérêts du format est que les étudiants ont moins peur de répondre aux questions, et de faire des erreurs. Cela répond aussi à leur besoin d’interaction. Nous sommes en train d’évaluer le bénéfice de cette approche. L’enseignement magistral évolue aussi, avec l’ajout de quizz interactif au milieu du cours pour garder du rythme et maintenir leur attention.
ANTOINE ROSTANG (L 08)
enseignant-chercheur en pharmacologie à Oniris VetAgroBio
Devenir acteur de ses apprentissages
Dans ma discipline, qui peut être rébarbative, je m’efforce de proposer une démarche qui rend l’étudiant acteur de ses apprentissages. Par exemple, pour l’unité d’enseignement dédiée à l’étude des anti-infectieux, il n’y a quasiment plus de cours magistraux à part pour expliquer quelques notions transversales. À la place, un polycopié regroupant les monographies des cent cinquante-six molécules à apprendre est distribué, avec une hiérarchisation des connaissances en rang A ou en rang B. Chaque semaine, les étudiants doivent travailler des chapitres, pour préparer les travaux dirigés. Pour les aider, ils ont accès à des outils d’autoévaluation sur la plateforme Moodle. Les TD, en groupes de taille plus limitée, débutent toujours par une séance de quizz collectif où les étudiants commentent les réponses individuellement, les uns après les autres. Je leur propose ensuite des cas cliniques virtuels pour travailler leurs monographies de manière différente et concrète. Au fil des TD, ils apprennent de nouvelles monographies, tout en réutilisant ce qui a déjà été vu. Au final, les monographies seront travaillées plusieurs fois, de différentes manières. De plus, avec les cas cliniques, les étudiants perçoivent mieux l’intérêt de cet apprentissage. Le dernier TD de cette UE est un atelier avec trois serious games, pour réviser, avant l’évaluation finale.
MAXIME KURTZ (A 17)
enseignant-clinicien au Chuva (EnvA), service de médecine interne
Une appli pour évaluer les compétences cliniques
En clinique, nous avons depuis plusieurs mois l’appui de l’application CompetVet, pour évaluer de manière objective les compétences cliniques des étudiants. Une première version est testée depuis plusieurs mois ; une seconde est attendue sous peu. L’idée était de pouvoir disposer d’un outil d’évaluation standardisée, avec des objectifs d’apprentissage clairement définis, et une acquisition des compétences traçables. Tout en répondant aux critères de l’A3EV qui conditionne l’accréditation aussi à la qualité de l’évaluation. En pratique, enseignants comme étudiants ont l’application sur leur portable en clinique. Un premier volet permet d’évaluer au fil de l’eau, que ce soit un geste technique, ou une démarche diagnostique. L’étudiant peut demander à être évalué tout comme l’enseignant peut décider de le faire. Cela permet à l’étudiant de voir où il en est, et de lui spécifier les pistes d’amélioration. Un deuxième volet permet d’évaluer les compétences incontournables à maîtriser, en fin de semaine d’une rotation. Enfin, il y a un volet de cas cliniques que les étudiants doivent remplir. Avec ce suivi continu, l’enjeu est aussi de pouvoir discuter en temps réel et de manière positive avec chaque étudiant, tout comme de les faire participer activement à l’acquisition de leurs compétences.