Vétérinaires en première ligne : les outils pour détecter les violences domestiques - La Semaine Vétérinaire n° 2046 du 06/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2046 du 06/09/2024

DOSSIER

Auteur(s) : Par Jessica Depigny

Les praticiens ont aujourd'hui diverses ressources à leur portée pour les aider à prévenir, détecter et signaler les violences faites aux femmes et aux mineurs à partir de la détection de maltraitance animale. Grilles d’évaluation, questionnaires ciblés, organismes à contacter… Tour d’horizon des moyens mis à leur disposition.

La détection de situations de violences envers une femme et/ou un mineur dans un contexte familial nécessite une approche pluridisciplinaire et une vigilance de tout professionnel au contact des potentielles victimes. C’est pourquoi les équipes vétérinaires ont besoin d’outils pour les reconnaître et les signaler. De plus, la notion de lien entre maltraitance animale et humaine est aujourd’hui démontrée dans de nombreux articles scientifiques et illustrée par des exemples. Ainsi, il est primordial pour tout professionnel de savoir reconnaître les signes de maltraitance animale pour la signaler et pouvoir la mettre, ou non, en relation avec de potentielles violences exercées sur la femme et/ou les mineurs du foyer. Pour cela, des outils utiles à la détection des signes de maltraitance sur l’animal consulté sont indispensables. En effet, selon une étude observationnelle menée auprès de 396 cliniques vétérinaires pour contextualiser le cadre de travail d’une thèse1, 85,4 % praticiens de ces établissements répondent oui (169 sur 198 réponses) lorsqu’il leur est demandé s’ils aimeraient avoir des outils supplémentaires à ce qui leur est proposé pour apprendre à détecter de telles situations et y réagir. Ainsi, la thèse propose une grille d’évaluation de ces signes, à partir d’une liste de 27 éléments d’anamnèse et de commémoratifs, de signes cliniques et d’évaluation du comportement de l’animal et de son accompagnant (voir visuel 1). Plus le nombre de cases cochées est élevé, plus l’hypothèse d’un traumatisme non accidentel (TNA) est à privilégier.

De plus, l’Association contre la maltraitance animale et humaine (Amah) a développé un arbre décisionnel récapitulant la conduite à tenir en cas de suspicion de maltraitance animale, basée sur la méthode DVDR (pour Demander, Valider, Documenter, Référer) (voir visuel 2).

Si, à l’issue de l’utilisation de ces deux outils, le vétérinaire conclut à l’existence de maltraitance animale, se pose ensuite la question des violences envers les individus vulnérables de la famille. En effet, le lien entre les maltraitances animales et humaines est établi par plus de 150 études publiées dans des revues scientifiques. Par exemple, les femmes vivant en centre d’accueil pour victimes de violences conjugales rapportent 11 fois plus de cas de maltraitance animale, et significativement plus de menaces envers leurs animaux par leur conjoint, que les femmes n’ayant jamais été violentées par leur conjoint. Si l’on interroge les hommes arrêtés pour violences domestiques, la prévalence de ceux avouant avoir également commis au moins un acte de maltraitance animale varie entre 41 % et 52 %2.

Une fois encore, plusieurs outils ont été développés pour guider les professionnels dans cette démarche. Deux grilles d’évaluation permettent de statuer sur la potentielle existence de violences dans le foyer. La première évalue le comportement violent ou non de l’individu accompagnant l’animal en consultation (voir visuel 3).

La deuxième évalue les signes de violences domestiques pouvant être décelés par le vétérinaire (voir visuel 4).

Une fois l’hypothèse de l’existence de violences domestiques confirmée à l’aide de ces deux grilles d’évaluation, les vétérinaires ont besoin d’outils pour les aider à communiquer avec les victimes, leur faire comprendre qu’elles sont en sécurité à la clinique vétérinaire et que les personnes y travaillant sont à même de les aider et de les orienter dans leurs démarches pour s’en sortir. Un document à faire remplir par la victime permet de commencer à aborder le sujet avec elle et d’évaluer les risques pour les individus vulnérables du foyer (voir visuel 5).

Une fois l’établissement du diagnostic de violences domestiques et l’évaluation des risques auxquels les individus de la famille sont exposés, le vétérinaire est invité à suivre les étapes de l’arbre décisionnel crée par l’Amah (voir visuel 6).

Pour l’étape « Référer », une liste d’organismes à contacter pour venir en aide aux victimes selon l’urgence de la situation et les besoins des victimes est proposée, outil qui est le plus plébiscité par les vétérinaires ayant répondu à l’enquête préparatoire à la thèse. Un tableau à personnaliser a été créé pour faciliter les démarches (voir visuel 7).

En ce qui concerne la prévention, et afin de libérer la parole des victimes et leur faire comprendre que la clinique est un lieu où les victimes peuvent trouver de l’aide, des affiches de communication et de prévention ont été dessinées (voir visuel 7). Elles insistent sur le lien entre les maltraitances animales et humaines, et fournissent les principaux numéros d’aide et d’urgence.

En plus de tous ces outils développés dans la thèse, il est aujourd’hui nécessaire de créer des formations (ou d’enrichir celles déjà existantes) afin d’apprendre aux professionnels vétérinaires à reconnaître les signes de violences domestiques et à les signaler en toute sécurité. En effet, malgré la confirmation de l’existence des signes auxquels porter attention, il est légitime de penser qu’encore un grand nombre de professionnels rencontrera des difficultés à engager les démarches d’accompagnement des victimes car c’est un processus impressionnant, chronophage et pouvant faire ressentir un sentiment d’insécurité pour le professionnel se lançant dans les démarches. Ces formations seraient idéalement dispensées au moins aux étudiants dans les écoles vétérinaires, mais aussi aux praticiens de terrain.

Le guide l’AMAH

L’Amah a publié un guide à l’usage des équipes vétérinaires

  • 1. Jessica Depigny, « Mise à disposition d’outils dédiés aux professionnels vétérinaires pour prévenir, détecter et signaler les violences faites aux femmes et aux mineurs à partir de la détection de maltraitance animale », thèse vétérinaire, VetAgro Sup, 2023.
  • 2. Animal abuse in the context of adult intimate partner violence : A systematic review ; Cleary et al. 2021. https://urlz.fr/rfte