Biodiversité
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Caroline Rocher
Les espèces animales invasives constituent une menace pour la faune endémique tout comme pour l’humain, notamment via l’introduction de nouveaux agents pathogènes potentiellement zoonotiques. Le vétérinaire praticien a un rôle à jouer de sensibilisation.
Ragondins, tortues de Floride, ratons laveurs... toutes ces espèces sont considérées, en France, comme des espèces exotiques envahissantes (EEE). Elles ont un impact sur la biodiversité et peuvent avoir de lourdes conséquences sanitaires. Guillaume Le Loc’h, enseignant-chercheur en médecine zoologique et santé de la faune sauvage à l’École nationale vétérinaire de Toulouse, a abordé ce sujet lors d’une conférence1 à l’école le 14 mai dernier.
Il ne faut pas confondre les espèces exotiques, qui peuvent s’échapper temporairement de chez leurs propriétaires, avec les espèces exotiques envahissantes (EEE), comme les visons d’Amérique ou les perruches à collier, dont le commerce et le transport sont interdits. Les deux types d’espèces sont introduits par des activités humaines, mais les espèces envahissantes s’établissent dans des territoires non natifs, se disséminent et causent des dommages environnementaux, économiques ou sanitaires. De plus, certaines espèces exotiques ont plusieurs statuts réglementaires et peuvent être considérées à la fois comme des EEE et des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD), comme le pigeon ramier. « Faire cette distinction est crucial pour concentrer les efforts de conservation sur les espèces à risque et optimiser les ressources disponibles », a expliqué Guillaume Le Loc’h. Cette problématique touche l’ensemble du vivant, et constitue l’une des cinq menaces majeures pour la biodiversité… tout comme elle a un coût non négligeable : entre 1970 et 2017, la gestion des espèces invasives aura coûté 1 600 milliards d’euros à l’échelle mondiale ! En 2020, l’Europe comptait plus de 12 000 espèces exotiques, dont 10 % étaient invasives et responsables d’environ 60 % des extinctions mondiales connues à ce jour.
Des risques sanitaires
Les EEE peuvent avoir un impact considérable sur la faune sauvage et sur l’élevage mais aussi sur la santé humaine, en introduisant des agents pathogènes. « En tant que vétérinaire et dans le contexte du "One Health", il est crucial de comprendre les maladies infectieuses associées à ces espèces, et de savoir identifier les risques », a précisé Guillaume Le Loc’h. Par exemple, la Bernache du Canada, importée initialement à des fins esthétiques, s’est propagée au Royaume-Uni et dans certaines régions de la France. Des analyses de ses excréments dans les eaux ont révélé la présence de la bactérie Escherichia coli ainsi que de parasites responsables de la giardiose et de la cryptosporidiose, représentant ainsi un danger potentiel direct pour la santé humaine. Autre exemple : en Gironde, les ratons laveurs, peu farouches et attirés par la nourriture des animaux domestiques, peuvent transporter divers parasites. Récemment, un cas d’infestation par Baylisascaris procyonis a été détecté chez cette espèce dans le nord-est de la France, près des frontières belge et luxembourgeoise. Ce nématode zoonotique est préoccupant, car il est responsable de la larva migrans cutanée, une infection potentiellement mortelle pour l’homme. À ce jour, l’origine de l’introduction de ces animaux en France reste inconnue. Par ailleurs, des études en cours dans le Massif Central se concentrent sur la population de ratons laveurs et leur rôle potentiel en tant que porteurs de virus affectant les carnivores domestiques. L’hépatite de Rubarth, détectée chez plus de la moitié des individus étudiés en Europe, suscite des préoccupations quant à sa potentielle transmission accidentelle à d’autres espèces, comme chez le chien. Bien que le virus de la maladie de Carré n’ait pas été identifié chez eux à ce jour, sa présence signalée en Allemagne est inquiétante pour les espèces sauvages comme le lynx.
Des enjeux de conservation d’espèces
En France, les EEE sont responsables de nombreuses extinctions, en particulier dans les écosystèmes aquatiques. « Tous les milieux aquatiques en France sont touchés, particulièrement les milieux insulaires, en raison des échanges commerciaux et du tourisme, ce qui montre l’importance de la biosécurité », a rappelé le Dr Le Loc’h. Des efforts sont déployés pour protéger les populations locales, mais les défis éthiques et pratiques restent importants, notamment en ce qui concerne la gestion des populations exotiques déjà établies.
Les EEE entrent aussi en compétition avec des espèces endémiques, comme c'est le cas entre l’écureuil gris, introduit en Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle pour des raisons ornementales, et l’écureuil roux natif de nos régions européennes. En plus d’affaiblir considérablement les arbres, l’écureuil gris a introduit le virus de la variole (Sciuripoxvirus squirrelpox), contribuant ainsi au déclin de la population des écureuils roux.
Les autorités françaises ont instauré diverses mesures pour contrôler les espèces exotiques envahissantes, notamment en renforçant la législation depuis 2017. Des actions de prévention, d’évaluation des risques, et de gestion des populations sont entreprises, bien que certains défis persistent. « C’est un vrai débat actuel, et pour certaines espèces, il est peut-être déjà trop tard pour agir avant qu’elles ne soient implantées dans des zones où elles ne devraient pas l’être », a estimé Guillaume Le Loc’h.
Sensibiliser
Le vétérinaire praticien joue un rôle crucial de sensibilisation et de conseil auprès des propriétaires de nouveaux animaux de compagnie (NAC) exotiques, a estimé Guillaume Le Loc’h. « Il est essentiel d’éduquer le public sur les impacts environnementaux et sanitaires potentiels liés à la détention de certains NAC. En effet, il arrive que des propriétaires abandonnent illégalement leurs animaux domestiques dans la nature, ce qui cause des dommages sur la faune locale. » De manière générale, il est utile pour le vétérinaire praticien d’avoir une connaissance approfondie des maladies infectieuses et de leur épidémiologie, tant chez les animaux domestiques que les espèces sauvages. Cette expertise apparaît nécessaire pour surveiller, prévenir et contrôler la propagation de ces maladies.
Aujourd’hui, il existe une liste des 100 pires espèces invasives2, qu’il est urgent de traiter en priorité. Il est par ailleurs crucial de limiter les mouvements des animaux lors de leur acheminement vers les centres de soin, afin de minimiser la propagation de pathogènes. Dans ce sens, il est utile de recenser les centres de soins les plus proches de son lieu d’exercice, pour assurer une gestion optimale de ces situations.
Lorsque d’autres mesures ne sont pas possibles, la gestion ou l’éradication des populations peut être nécessaire. Cependant, ces actions peuvent être mal perçues par le public. Aujourd’hui, il est souvent utopique de penser pouvoir éliminer complètement certaines espèces envahissantes, comme la tortue de Floride. La surveillance joue donc un rôle essentiel : plus la zone d’infestation est petite, plus il est facile de la contenir.
Le chat haret : un cas particulier
Les chats harets, d'anciens chats domestiques retournés à l’état sauvage, impactent significativement la biodiversité mondiale en chassant des espèces locales comme le pétrel de Barau à La Réunion. Classés comme des EEE dans certains territoires, ils font l'objet d'abattages en Australie. Cependant, hors classement EEE, la gestion de ces populations soulève des dilemmes éthiques, opposant l’euthanasie pour protéger les espèces endémiques à des méthodes alternatives comme la stérilisation et le relâchement. Ce débat reflète la tension entre conservation de la faune et bien-être animal.