« Reverse reconversion » : franchir le cap - La Semaine Vétérinaire n° 2015 du 15/12/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2015 du 15/12/2023

Vie professionnelle

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Amandine Violé

Redevenir praticien après des années d'interruption relève d’un challenge audacieux dont la réussite impose un encadrement adéquat et un investissement total.

Peut-on revenir en clientèle à la suite d’aventures professionnelles éloignées de tout exercice clinique ? Désireux de valoriser la diversité des métiers envisageables en tant que vétérinaire, le Club Vétérinaires et Entreprises (CVE), s’est emparé de cette question à l’occasion d’une webconférence organisée le 14 novembre dernier. Plusieurs intervenants ont été invités à échanger et métisser leurs expériences à ce sujet. Malgré des parcours variés au sein des diverses industries (agroalimentaire, pharmaceutique, humaine, animale) ou dans d’autres secteurs, parfois éloignés de leur cœur de métier originel, tous ont ressenti le besoin de revenir à une activité clinique. Alors, comment expliquer cette « reverse reconversion » sur le tard ? Et comment la préparer au mieux ?

Une profession, des opportunités

« Ce n’est pas parce que je ne suis pas praticien que je ne suis pas vétérinaire ». Laurent Jessenne, président du CVE, martèle cette phrase comme un adage. Ces vétérinaires, retirés de l’exercice clinique pour se réorienter dans un autre secteur, public ou privé, il les connaît bien. D’après lui, ils seraient 8 à 10 %, pour la plupart chefs d’entreprise, salariés ou consultants auprès de l'industrie pharmaceutique, agroalimentaire ou pour des laboratoires de recherche, qui un jour ont dit adieu à veaux, vaches, chiens, chats et cochons pour une durée indéterminée.

Durant cette période, ils s'épanouissent dans leur(s) activité(s), avant que, après cinq, dix ou vingt ans, les questionnements reviennent. Passage à vide, perte de sens ou non alignement avec les valeurs de l’entreprise qui les emploie : un besoin de renouvellement surgit. Et, avec lui, la nécessité de retourner à une activité de soin, au contact des animaux. « J’ai de nouveau ressenti cette vocation du métier », note Maxime Albouy, de retour en clinique à l’aube de ses 40 ans, après des années passées au sein de l’industrie pharmaceutique. Or, malgré ce désir renouvelé, reprendre le chemin de l’exercice clinique relève, si ce n’est d’un saut dans le vide, a minima d’un grand défi. Car si la problématique financière s’avère centrale, celle de la remise à niveau scientifique n’en est pas moins vertigineuse.

Un désir, des contraintes

Face à un métier qui ne leur est pourtant pas étranger, tous confessent avoir dû le repenser de zéro. Dès lors, les questions ne manquent pas d'affluer : quelles espèces traiter, quelles spécialités privilégier, quel type d’exercice envisager ? « À ma sortie de l'école, en 1996, j’avais principalement fait de l’équine, un peu de canine. Après de nombreuses expériences professionnelles, j’ai décidé de reprendre en tant qu’urgentiste à domicile. Je ne me voyais absolument pas refaire de l’équine », raconte Isabelle Villar. « Il est indispensable de baliser le projet de reconversion pour qu’il soit réussi », souligne immédiatement Maxime Albouy.

Première étape donc : partir dans de bonnes conditions et bénéficier d’un accompagnement adéquat. Après quinze ans dans l’industrie vétérinaire à des postes à responsabilités, Olivier Guillaume l’affirme : « Le plus important était de construire ma reconversion. Je souhaitais la sécuriser d’un point de vue financier, pour ma famille ». En guise d’encadrement, il choisit de réaliser un bilan de compétences, dont, a posteriori, il se félicite. Et sur le marché, les propositions sont nombreuses : coachings personnalisés (dont certains réalisés par d’anciens vétérinaires reconvertis), prises en charge associatives (Vétos-Entraide, par d’exemple) ou aides sociales comme dans le cas de Maxime Albouy, qui a pu bénéficier des indemnités de Pôle emploi jusqu’à la fin de son parcours.

Une remise à niveau

Deuxième étape : se former, de nouveau. Alors que Marion Mellin décide, du jour au lendemain, de retrouver une activité canine, celle-ci admet : « Ça a été très compliqué car évidemment, il y avait une grande différence entre ce qui existait il y a vingt ans et maintenant ». Une réalité qui, elle le confesse, pourrait expliquer l’échec de sa reconversion : « Ai-je été mal préparée, ai-je trop peu travaillé, ou est-ce parce que l’activité de praticienne ne me convenait pas à ce moment ? ». En l'occurrence, face à une pratique dont les modalités techniques et théoriques ont évolué, beaucoup choisissent de repasser par les bancs de la formation.

Et malgré l’absence de programmes de mentorat spécifiques – un fait que tous déplorent –, des opportunités existent. « J’ai repris confiance grâce à des stages », témoigne Sophie D’Oléac, revenue travailler auprès des chiens, des chats et des NAC après sept ans d’absence. Olivier Guillaume s’est pour sa part orienté vers un CEAV de médecine interne, un programme « très enrichissant » qui, il l’atteste, lui a apporté la « stimulation intellectuelle » qu’il recherchait. Une formation également plébiscitée par Maxime Albouy : « J’ai trouvé la formation passionnante, retrouvé de l’intérêt à retourner à l’école. Par la suite, un copain a un peu fait mon mentorat ».

Un retour gagnant

Si tous ne concrétisent pas leur projet, pour ceux qui y parviennent, fierté et enthousiasme sont au rendez-vous. « Je suis ravi de ma reconversion, je m’éclate au quotidien », s’enhardit Olivier Guillaume. Un retour d’autant plus gagnant que ces profils, enrichis d’expériences hybrides et plurielles, font mouche sur le marché du recrutement. À plus forte raison étant donné la situation de pénurie actuelle que connaît la profession. Isabelle Villar se rappelle ainsi avoir été surprise de la considération qui lui a été accordée : « On m’a dit : "on adore votre type de profil" ; "vous savez vous remettre en question" ; "vous savez voir les choses sous un autre angle" ». Sophie D’Oléac, elle, se félicite de pouvoir mettre quotidiennement à profit son expérience de coaching en entreprise auprès de ses collègues. 

Ces parcours témoignent de la multiplicité des passerelles qui existent entre les différentes branches de la profession, au sein desquelles un va-et-vient est toujours possible. Certains resteront cliniciens toute une vie, d’autres essaimeront, enrichis d’expériences à forte valeur ajoutée. Tous et toutes se sentent vétérinaires. Quels que soient les chemins empruntés, chacun d’entre eux atteste du défi qu’impose une reconversion si tardive. Accompagnement et transmission semblent indispensables à un come-back réussi. Des évolutions concernant l’encadrement de tels projets sont néanmoins à souhaiter. Édith Graff, ancienne présidente de Vétos-Entraide, rappelle in fine : « L’unité de la profession vétérinaire est importante face à cette diversité de parcours. L’entraide et le partage sont les clés pour que chacun puisse s’épanouir selon ses choix de vie ».

Vétérinaire, mais pas à n’importe quel prix

Pourquoi certains vétérinaires se détournent-ils de la clientèle ? Floriane Chapuis, fraîchement sortie de l’école nationale vétérinaire d’Alfort, a cherché, à travers son travail de thèse, à comprendre l’origine de ces premières reconversions1. Si certains se sont éloignés de la clientèle par pure opportunité professionnelle, la plupart mettent en cause la répétitivité des tâches quotidiennes, des perspectives d’évolution de carrière jugées insatisfaisantes et un déséquilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Le relationnel avec les propriétaires, notamment en secteur animaux de compagnie, apparaît également comme un facteur important. Des problématiques qui semblent préoccuper préférentiellement les jeunes professionnels, comme en témoigne la forte participation des vétérinaires de la génération Y (1980-1995) à cette étude. Du reste, un tiers des vétérinaires sortants du tableau de l’Ordre ont moins de 40 ans2.

1. Chapuis F., Consultation des vétérinaires sur leurs raisons de ne pas pratiquer la médecine des animaux en clientèle, ENVA, 2023. urlz.fr/ozKp

2. Atlas démographique de l’Ordre des vétérinaires de 2023 : urlz.fr/oOTm