Accompagner nos jeunes - La Semaine Vétérinaire n° 2015 du 15/12/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2015 du 15/12/2023

Management

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

Point fort panprofessionnel du congrès, le temps consacré au partage d’expérience et aux témoignages d’intégration dans la profession livrés par des étudiants et jeunes confrères. Un moment nécessaire pour prendre à bras-le-corps le mal-être qui touche particulièrement les nouveaux diplômés.

C’est le conte Jean-Louis &Théo1, composé et chanté avec talent par Anthony Leclaire (N 05), qui a ouvert le temps d’échanges entre les générations, réunissant praticiens et étudiants, lors de modules consacrés à l’intégration des jeunes vétérinaires.

La peur tenace de ne pas être un bon véto

Artagnan Zilber (A 86) et Édith Beaumont-Graff (Liège 82), membres de Vétos-Entraide, sont revenus brièvement sur les points clés des enquêtes qu’ils ont conduites auprès des étudiant(e)s en 2018 et 2022, en reprenant et traduisant un questionnaire de l’American Veterinary Medical Association (AVMA). Diffusé dans les 4 ENV, celui-ci a eu un taux de réponse de 25 % avec de riches verbatims2. Aux États-Unis comme en Europe, dont la France, l’estime de soi est défaillante chez les étudiant(e)s et ne fait que diminuer après les stages, indiquant que nous sommes tous responsables. Plus la charge de travail augmente, plus l’anxiété croît. La multiplication des stages pendant l’été empêche par ailleurs les étudiant(e)s ayant besoin de financer leurs études de travailler. Parmi leurs attentes, notons la valorisation de leurs réussites (au lieu de mettre l’accent avec insistance sur leurs erreurs ou échecs), la lutte contre le perfectionnisme, le respect des plannings de travail et la bienveillance dans les échanges entre professeurs et étudiants.

La douche froide pour les diplômés de l’étranger

Notre jeune confrère Benoît Viviano, diplômé de l'université CEU Cardenal-Herrera de Valence (Espagne), revient de loin, suite à une Prépa véto qu’il a quittée pour la fac après avoir été profondément dévalorisé par une prof de biologie. En fac, il fait le constat que son rêve est toujours d'être véto. Alors, il part en Espagne, souscrit un emprunt, apprend l’espagnol. « J’en reviens grandi et vétérinaire, ce qui n’a pas de prix ». Pour autant, le retour en France est rude : « Tu viens d’Espagne, vu le niveau tu vas en baver », lui dit-on. Aux quinze CV envoyés, il ne reçoit que deux réponses. Aujourd’hui, il remercie l’équipe du Dr Milou et de V2TU qui l’ont embauché sur Montpellier comme urgentiste. Son slogan est fédérateur : « Nous écouter dans nos attentes, nous entendre pour des solutions et nous donner notre chance ». Son plaidoyer pour être préservé et entendu en dit long sur la dureté du milieu professionnel à laquelle il a été confronté.

Cultiver la positive attitude

Louis Petton, étudiant responsable de l’initiative réussie d’Hackavet à l’ENVA, a souligné l’aspiration de sa génération (la Z) à une transmission horizontale des savoirs et non plus verticale. Les étudiant(e)s souhaitent des solutions concrètes, ici et maintenant ; le fait de comprendre étant supérieur à celui d’apprendre, celui de convaincre l’emportant sur le contraindre. Le hackathon organisé par Hackavet en mars 20233 s’est appuyé sur l’expérience de mentors de 25 à 65 ans, ce qui a permis de coconstruire des projets innovants comme le MotiVet Score4, qui met en avant le renforcement positif en félicitant ses collègues. La règle de 4 compliments pour un reproche constructif est une approche universelle, dans la sphère professionnelle comme personnelle.

Se faire respecter de ses clients

En pratique équine, la problématique de l’accompagnement des jeunes confrères, seuls dans leur voiture et en consultation, a demandé de l’inventivité à Hameline Virevialle (A 03), praticienne au sein du cabinet Équivéto de Gémenos (Bouches-du-Rhône). Elle a mis en place des réunions d’équipe régulières et a formé ses salariés à communiquer avec tous les clients, difficiles ou pas, pour savoir notamment comment répondre à un entraîneur ou… ne pas se laisser draguer (un des risques du métier !).

S’enrichir des différents profils

Christophe Degueurce (A 90), directeur de l’ENVA, a souligné la richesse des métiers vétérinaires auprès des 10 % d’étudiants qui ne seront pas praticiens. Il a invité tous les professionnels en exercice à participer, en 2024, à la réécriture du référentiel des compétences professionnelles et des formations nécessaires. Il estime nécessaire d’enseigner la communication (toujours classée comme une soft skill, bien qu’elle soit essentielle) en fin de cursus. Il appelle les praticiens à tenir la main des jeunes, pour les accompagner avec bienveillance, au lieu de les lâcher dans le grand bain sans ménagement. Pour lui, la voie post-bac est efficace, en permettant une meilleure adéquation des attentes avec une diversification sociologique et géographique.

Des différences générationnelles et des valeurs partagées

Didier Truchot, professeur émérite de psychologie sociale à l’université de Bourgogne-Franche-Comté de Besançon, a brossé le portrait des différentes générations, depuis les boomers, qui étaient nombreux dans la salle, jusqu’à la génération Z, actuellement dans les écoles. En reprenant les résultats de ses enquêtes5, il a mis en évidence beaucoup plus de ressemblances que de différences, avec des valeurs partagées. Ainsi, l’organisation d’une activité diversifiée est plus importante pour les Y que pour les boomers ou les X. Le feed-back positif de la hiérarchie et l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle est aussi une aspiration plus forte des jeunes générations (Y et Z) que des précédentes, même si le workaholisme persiste encore trop.

Aider à franchir le cap du passage à la pratique

Installé depuis 1993, notre confrère François Manfroni (L 88), praticien à la clinique SanterVet de Roye (Somme), a fait le constat que refaire son site Internet ne suffit pas à attirer les jeunes. L’exercice professionnel ne doit plus être un sacerdoce et l’accompagnement lors de l’embauche doit être offert, afin que les jeunes ne trébuchent plus sur la marche d’escalier entre la sortie d’école et l'arrivée en clientèle, entre la surspécialisation technologique et l’exercice de praticien généraliste, autrement dit ce vétérinaire de famille que beaucoup de clients recherchent. Animé par Éric Bomassi (A 95), le court débat qui a conclu ces échanges a permis de faire émerger des constats et des solutions. Selon un praticien participant, il faut prévoir économiquement cette marche, entre l’école et la pratique, en accueillant les desiderata et exigences légitimes des jeunes. « En embaucher trois pour en avoir deux à temps plein, au début », par exemple. Les employeurs ne doivent pas attendre des jeunes diplômés une opérationnalité parfaite ; aucun d'eux ne l’a été, ont rappelé les boomers (« nous aussi avons tremblé »).

Cependant, on ne peut que souhaiter une diminution de ces peurs et appréhensions lors de l’entrée dans la vie active. La possibilité d’en parler, d’apprendre à communiquer dès l’école avec ses pairs, avec les clients et les patients, comme l’a suggéré Margaux Brûlé6 (A 15), formatrice en communication clientèle, est probablement ce qui fera la différence pour apprivoiser des peurs légitimes et gagner en confiance. Pierre Mathevet (L 85), consultant chez Tirsev, a rappelé que le meilleur investissement n'était pas dans le matériel mais dans les membres de son équipe, qu’il convient de comprendre, accompagner et motiver. Le directeur de l’ENVA a indiqué qu’après la disette d’étudiants (avec un numerus clausus rétabli au niveau de celui de 1920), la fin de la crise démographique était prévue vers 2028, puisqu’il y a actuellement 14 écoles vétérinaires hors de France qui vont diplômer des étudiants français dans les cinq ans à venir. Reste à ce que les cliniques vétérinaires sachent les accueillir et les garder, grâce à cette supervision bienveillante à laquelle aspire la jeune génération, impliquant de la reconnaissance et du respect de la part des générations qui passent la main… ou qui la tendent.

  • 1. Voir notre interview : urlz.fr/oRxw
  • 2. Synthèse de l'enquête : urlz.fr/nCmb
  • 3. Voir La Semaine Vétérinaire n° 1983 du 31/03/2023
  • 5. La santé au travail des vétérinaires : une recherche nationale : urlz.fr/oRxQ