Les enjeux de la biodiversité dans une approche One Health - La Semaine Vétérinaire n° 2011 du 17/11/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2011 du 17/11/2023

Conférence

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Clothilde Barde

À l’occasion de l’Assemblée générale du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, qui s’est tenue le 19 octobre 2023, Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, et Anne Van de Wiele, responsable de la coordination des actions sanitaires à l’Office français de la biodiversité, ont souhaité sensibiliser les ISPV à ccette question d'avenir cruciale.

« La biodiversité dans une perspective de One Health est un sujet peu abordé auprès des ISPV. Pourtant, il fait partie de leur travail quotidien », a indiqué Benoit Assémat, inspecteur général au ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, pour introduire l’Assemblée générale du Syndicat des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV), qui s’est tenue à Paris le 19 octobre 2023. C'est pourquoi, à cette occasion, Hélène Soubelet (T97), directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), est intervenue pour rappeler l’importance, mais aussi la complexité et l’urgence, de préserver la biodiversité afin de contribuer à la santé de l'humain, de l'animal et de l'environnement. À cet égard, une Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB)1 a été mise en place en France fin juillet 2023, dans le sillage de la COP 15 (Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique), qui s'est tenue en décembre 2022 à Montréal sous l'égide de l'ONU. Une SNB qui a pour objectif de protéger et de restaurer la biodiversité d'ici 2030. Toutefois, cela ne suffit pas, selon les experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Ceux-ci, recommandent en effet de suivre les objectifs du Cadre mondial pour la biodiversité2, adopté en décembre 2022 à Montréal à partir du rapport scientifique de l’IPBES3. Les grands objectifs de ce projet sont de « définir une trajectoire pour que les sociétés humaines puissent vivre en harmonie avec la biodiversité en 2050, en réduisant les pressions sur le vivant, en partageant les avantages issus de la biodiversité afin de répondre aux besoins de l’ensemble de la population et en développant des outils et des solutions pour mettre en œuvre ces mesures ». Car, comme l’a expliqué Hélène Soubelet : « La biodiversité, qui doit être considérée comme une dynamique et non pas comme un état, reste encore largement inconnue. »

L'importance de la conservation

« Même si elles sont souvent déconnectées de ces problématiques, les sociétés humaines dépendent de la biodiversité par les différents services écosystémiques qu'elle rend », a également souligné Hélène Soubelet. Parmi ceux-ci, on peut citer les services dits "de support" ou ceux "de régulation", qui se dégradent progressivement, mais aussi de "provision" ou "culturels". La réduction des services de support représente ainsi une perte économique de 4 à 20 milliards de dollars par an. Le déclin de la biodiversité a donc des conséquences socio-économiques, mais pas seulement ; ses répercussions sont aussi d'ordre sanitaire. Ainsi, comme l’a montré une étude réalisée en 2016 4, la perte de pollinisateurs animaux a des conséquences négatives sur la santé humaine. Il s'avère que, par exemple, les pommes issues de la pollinisation animale ont une teneur plus élevée en calcium. De plus, toujours d’après cette étude, sans les pollinisateurs, environ 5 à 8 % du volume de la production alimentaire mondiale serait perdu chaque année, ce qui conduirait au décès de 86 000 à 691 000 personnes par an. Par ailleurs, comme l'a indiqué Hélène Soubelet, « la perte de biodiversité par homogénéisation biotique5 (écosystèmes agricoles et urbains anthropisés) augmente les risques de prolifération de ravageurs (insectes et pathogènes), de compétiteurs (adventices, espèces exotiques envahissantes) ou de zoonoses. Cet effet a pu être démontré avec plus d’ampleur chez les rongeurs, chauves-souris et passereaux, qui constituent d'ailleurs très souvent des réservoirs zoonotiques ». 

Une urgence à intervenir

« Face à tous ces constats et au vu de la rapidité avec laquelle la biodiversité s’effondre, soit 100 à 1000 fois plus rapidement que lors des grandes extinctions précédentes, il est important de réagir rapidement », a alerté Hélène Soubelet. Selon les estimations, un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction au cours des prochaines décennies et, si l’on considère la redistribution de la biomasse des mammifères depuis 100 000 ans, on constate une diminution drastique de leur diversité génétique et spécifique6. Selon la conférencière : « Protéger et restaurer ne suffira pas. Il est nécessaire de réduire les pressions humaines directes (changement d’utilisation des terres, sources de pollutions, etc.) et indirectes (facteurs démographiques et socioculturels, économiques et technologiques, rôle des institutions et de la gouvernance, conflits et épidémies)3 s'exerçant sur la biodiversité. » « Un changement transformateur de nos sociétés est nécessaire pour que toutes les filières aillent enfin vers une transition », a ajouté Hélène Soubelet. Pour cela, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) propose de faire évoluer le statut des aires protégées mais aussi d’agir sur le système alimentaire mondial car, d’après les éléments issus de la littérature scientifique, en 2017, celui-ci était responsable de la perte de 40 % de la biodiversité mondiale, mais aussi du décès de 11 millions de personnes à cause de leurs régimes alimentaires non sains.

Concilier biodiversité et One Health

À cet égard, selon la conférencière, la meilleure réponse pour combiner la qualité de l’alimentation et la protection de la biodiversité est d'associer la « séparation agriculture-nature » et le partage agroécologique avec la biodiversité 7. Pour cela, des paysages polyvalents, qui allient la protection et la conservation des écosystèmes avec la production, doivent être encouragés. Il faudrait également réinventer la place des nouvelles technologies dans les paysages complexes et réorganiser l’économie et les systèmes de production mondiaux en augmentant les financements en faveur de la biodiversité. Comme l’a conclu la conférencière : « Pour que ces changements soient acceptables, il faut qu’ils soient coconstruits entre tous les acteurs, dans une approche One Health ». Pour cela, comme l'a présenté Anne Van de Wiele, responsable de la coordination des actions sanitaires à l'Office français de la biodiversité (OFB), il convient de mener des actions de police de l’environnement, de police sanitaire de la faune sauvage, de recherche et d’expertise sur les espèces, les milieux et leurs usages, mais aussi sur les risques sanitaires et leur gestion adaptative. Ainsi, par exemple, l'OFB est intervenu lors de la survenue d’un foyer de brucellose chez des bouquetins du massif du Bargy (Haute-Savoie) en octobre 2021, afin de concilier la conservation des bouquetins (une espèce protégée) et la présence des élevages bovins avec la gestion des risques zoonotiques associés. 

  • 1. ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-biodiversite
  • 2. unep.org/fr/resources/cadre-mondial-de-la-biodiversite-de-kunming-montreal
  • 3. Résumé du rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de l'IPBES. urlz.fr/omRY 
  • 4. Potts S.G., Imperatriz-Fonseca V., Ngo H.T., et al. Safeguarding pollinators and their values to human well-being. Nature. 2016;540(7632):220-29. ​​​​​urlz.fr/omSi
  • 5. Remplacement d'espèces natives par des espèces ubiquistes introduites par l'homme, provoquant une homogénéisation des communautés à l'échelle mondiale.
  • 6. Wilting H.C., Schipper A.M., Ivanova O., et al. Subnational greenhouse gas and land-based biodiversity footprints in the European Union. Journal of Industrial Ecology. 2020;25(1):79-94. urlz.fr/omSY
  • 7. Desquilbet M., Dorin B., Couvet D. Land sharing ou land sparing pour la biodiversité : Comment les marchés agricoles font la différence. Innovations Agronomiques. 2013;32: 377-89. urlz.fr/orfr  
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