Intelligence artificielle : une alliée qui vous veut du bien ? - La Semaine Vétérinaire n° 2011 du 17/11/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2011 du 17/11/2023

Nouvelles technologies

ENTREPRISE

Auteur(s) : Par Amandine Violé

ChatGPT, Midjourney, LaMDA… Quel est le point commun entre ces programmes ? L’intelligence artificielle. Omniprésente dans l’actualité, cette dernière effraie aussi bien qu’elle enthousiasme, fascine autant qu'elle questionne, suscitant indéniablement les polémiques. Qu’en est-il en médecine vétérinaire ?

Le webinaire d'Ergone1 du 20 juin 2023 a soulevé la question de l'intelligence artificielle (IA) et de sa place en médecine vétérinaire. Est-elle existante ou n’est-ce qu’un lointain mirage ? Devons-nous évoluer avec elle pour déployer notre performance diagnostique ? Représente-t-elle un risque indissociable de toute expertise humaine ? Autant de questions auxquelles Grégory Santaner2 et Franck Noël3, vétérinaires et férus de e-santé, ont tenté de répondre. 

Le sujet de l’IA n’est pas neuf. Tout au plus est-ce un sujet sensible, compte tenu des enjeux et de la tourmente médiatique qui l’entourent. Comme le rappelle Franck Noël, l’utilisateur est indissociable de l’IA. Et loin de s’effacer devant ces technologies, il doit agir en qualité de spécialiste averti. « L’intelligence artificielle est monotâche, ou du moins programmée pour des qualifications définies. Elle est loin d’avoir notre fonctionnement généraliste », poursuit Grégory Santaner. Un discours rassurant face à certains scénarios catastrophe, prédisant une automatisation inéluctable de certains emplois dans un avenir proche. « Le vétérinaire a une activité si complexe qu’elle est loin d’être réalisable par les IA conventionnelles ». Sans conteste, la question de la place de l’IA dans nos vies, personnelles ou professionnelles, est loin d’être anodine. Les enjeux sont forts et les dérives possibles, même sous couvert d’une maîtrise rigoureuse et légiférée de ces technologies. Alors, comment s’y fier ? Et qu’en est-il de la fiabilité et de l’efficience des IA appliquées à nos besoins ?

Tous acteurs du changement

Grégory Santaner l’affirme, l’IA fait partie d’une vague évolutive attendue, mais ne doit pas être considérée comme une révolution en soi. « Une révolution est forcément disruptive et subie. Les vétérinaires doivent au contraire faire l’effort de grandir avec ces nouveaux outils et en faire leurs alliés ». S’intéresser et se former aux nouvelles formes d’IA disponibles, les éprouver, s'y confronter : autant de moyens de se prémunir face au boom de « l’IA-anxiété ».

A priori « épatantes » donc, mais pas sans failles : les utilisateurs restent en effet exposés à un certain nombre d’erreurs, plus ou moins graves, du fait d’une fiabilité variable. Une explication tient notamment à leur mode de fonctionnement : ces systèmes exécutent des tâches pour lesquelles ils ont été programmés mais qui, pour ce faire, nécessitent un substrat de données, indispensables à leur évolution. Sans data, pas d’IA adaptative. Or, en médecine humaine, ces données deviennent de plus en plus exhaustives. Celles-ci nourrissent les algorithmes, les rendant dès lors plus pertinents et compétents. D'autant que le nombre de publications scientifiques ciblées ne cesse d’augmenter, perfectionnant là encore le pool de connaissances de chaque domaine concerné. De quoi donc leur accorder un niveau de confiance satisfaisant, sous réserve d’une supervision humaine indissociable.

Des déclinaisons vétérinaires

Quoi qu’il en soit, c’est dans le domaine de la santé que l’IA offre ses perspectives les plus séduisantes. En santé humaine, exit l’idée d’une médecine curative stricte ; place à une médecine émergente, dite des 4P : prédictive, préventive, personnalisée et participative4. Et si le milieu vétérinaire en est encore au tout début de ce sillage novateur, l’IA gagne déjà du terrain au sein de la profession.

PicoxIA vous est-il familier ? À l’instar du secteur de la santé humaine, où les premiers logiciels d’IA ont été promus en imagerie médicale, PicoxIA a mis au point le premier algorithme de lecture de radiographies vétérinaires, accessible à tous. Validé par des radiologues qualifiés, mis à l’épreuve de travaux publiés dans des revues à comité de lecture, PicoxIA atteste ainsi des possibilités qu’offre le deep learning pour la profession. 

De son côté, ScopioVet, basé aux États-Unis, propose un service de cytologie numérique, rapide et aussi fiable qu’en laboratoire spécialisé. RenalTech assure, quant à lui, pouvoir prédire grâce à son algorithme l’occurrence d’une maladie rénale chronique pour chaque félin, dans les deux ans suivant son évaluation, et ce avec une précision supérieure à 95 %. Du fait de données collectées uniquement aux États-Unis, RenalTech n’est pas disponible en France pour le moment, mais pourrait voir le jour à court terme sous le nom de RenalDetect. L’IA à la conquête des défis vétérinaires de demain.

Une conquête qui ne se limite d’ailleurs pas qu’à la médecine canine et féline. En élevage rural, Boehringer Ingelheim s’est emparé du dispositif SoundTalks, spécialement conçu pour l’élevage porcin. Grâce à des micros de haute technologie permettant une surveillance en temps réel des sons émis en stabulation, SoundTalks peut détecter précocement certaines pathologies respiratoires porcines. Un exemple supplémentaire d’outil digital au service des éleveurs et des vétérinaires ruraux.

Un champ d'action à élargie

Enrichir la réflexion des vétérinaires, leur offrir un support de travail performant et permettant un gain de temps, voilà l’intérêt premier des IA. Avec, en ligne de mire, une gestion des patients plus qualitative, tant sur un plan préventif, que diagnostique et thérapeutique. Mais les IA pourraient aussi avoir une réelle utilité hors du spectre spécifique du soin. Grégory Santaner, n’exclut ainsi pas leur arrivée dans le domaine du management ou de la comptabilité d’entreprise. « Utiliser ChatGPT comme aide pour répondre aux avis Google peut être une idée ! », suggère ce dernier, à titre d'exemple. Lequel insiste toutefois sur l’importance de personnaliser le propos, au risque sinon que la « patte » de ChatGPT ne soit démasquée.

In fine, les IA investissent peu à peu la profession, entre engouement et méfiance, incertitudes et convictions fortement opposées. Dans le milieu vétérinaire comme ailleurs, nombre de questionnements subsistent quant à la transparence, la responsabilité, la régulation, l’éthique de ces nouvelles technologies. Autant de défis à relever et de cadres à poser pour que les machines n’apprennent pas, un jour, à contourner l’injonction humaine. À ces seules conditions, les IA ne devraient pas réussir à évoluer sans l’humain. par-delà, se fait désormais jour une autre question : pourrons-nous à l'avenir évoluer sans les IA ?

  • 1. Webinaire du 20 juin 2023 intitulé "Intelligence Artificielle vétérinaire, une alliée qui vous veut du bien ?", réalisé en coproduction avec Vet IN Tech. 
  • 2. Grégory Santaner (N 99) est vétérinaire, fondateur et gérant de VetoNetwork, consultant en e-santé.
  • 3. Franck Noël (L 01) est vétérinaire recherche et développement chez Dômes Pharma.