Élevage laitier
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Clothilde Barde Article rédigé d'après la webconférence présentée le 18 avril 2023 par John F. Mee, vétérinaire et chercheur à l'ABRD (Animal and bioscience research department), rattaché au Teagasc (Agriculture and food development authority), en Irlande.
« Actuellement, on connaît les facteurs de risques et les causes des troubles sanitaires rencontrés chez les veaux », a indiqué le professeur John F. Mee pour introduire sa conférence intitulée « Poor dairy calf health - why and what can we do about it ?», qu'il a présentée le 18 avril 2023 dans le cadre du webinaire « De meilleurs veaux dans de meilleurs élevages » organisé par la Fédération européenne de science animale (EAAP). Ainsi, selon lui, « puisque les professionnels de l’élevage disposent de moyens diagnostiques et thérapeutiques avancés, ils ne devraient pas constater de forts taux de mortalité et de morbidité chez les veaux ». Pourtant, plusieurs études récentes montrent que des défauts d’immunité sont régulièrement rencontrés chez les veaux laitiers et qu'ils ont généralement pour origine un défaut de transfert passif d’immunité (DTPI) au veau. Ainsi, dans une étude menée aux États-Unis en 20181, dans 12 % des élevages laitiers, les veaux présentaient des DTPI et, en 2013, au Canada, cela représentait 46,5 % des élevages2. Quant à la morbidité des veaux laitiers, une étude de 20213 a montré que : dans 89 % des élevages, on retrouvait au moins un veau qui présentait de la diarrhée ; dans 42 %, des difficultés respiratoires ; dans 37 %, de l’hyperthermie (>40°C) ; dans tous les élevages un gros nombril ; et dans 53 % d'entre eux, une omphalite. Enfin, dans diverses études menées à travers le monde, on a pu montrer que le taux de mortalité des veaux de moins de 6 mois allait de 3 % en Suisse en 20114 à 30 % au Portugal en 20155.
Pourquoi les problèmes de santé des veaux persistent ?
Selon le conférencier, « la persistance de tous ces troubles sanitaires en élevage s'explique par le fait que les éleveurs ne priorisent pas les populations de veaux dans leurs élevages. Depuis plus de dix ans, ils se concentrent davantage sur les problèmes de fertilité des vaches ». De plus, il n'existe toujours pas de consensus entre les experts quant à l'ordre dans lequel il convient de traiter les différents maux de l'élevage, et les éleveurs ne perçoivent pas forcément, de par leur méconnaissance des normes, l'importance de suivre les recommandations sur les pratiques d’élevage. En effet, les vétérinaires et les éleveurs ne s’accordent pas toujours sur les problèmes de santé des veaux à traiter en premier. Une étude 6 a montré que, pour les diarrhées du veau par exemple, alors que pour les vétérinaires elles devaient être traitées en priorité (rang 1) dans l’élevage, pour les éleveurs elles ne doivent être traitées qu’en 5e position, après d’autres troubles comme des défauts de croissance des veaux. « La perception n’est donc pas la même selon l’intervenant en élevage », a alors résumé John F. Mee.
De mauvaises pratiques d'élevage
En outre, comme l’a indiqué le conférencier, l'apparition de certains troubles sanitaires chez les veaux d’élevage peut s’expliquer par la mise en place de mauvaises pratiques de la part les éleveurs, qui ne mettent pas en place les mesures de prévention recommandées. Ainsi, pour les soins du nombril par exemple, alors qu’il est recommandé de procéder à une désinfection chez le nouveau-né, une étude internationale révèle qu'aucune désinfection n’était réalisée dans 12 % des élevages de Tchéquie, en 2014 7, tandis qu’on atteignait 51 % au Canada en 2018 8, voire jusqu’à 90 % en Inde en 2009 9. De même, pour la mesure de la qualité colostrale, des études montrent que les éleveurs ne le faisaient pas dans 56 % des élevages de Tchéquie en 2014 7, tandis qu'ils étaient 89 % à ne pas le faire au Brésil en 2015 10. Par ailleurs, le fait d’administrer à un veau un mélange de colostrum provenant de plusieurs vaches n’est pas recommandé car il s’agit notamment d’une voie de transmission d’agents pathogènes. Or, comme le révèle une étude mondiale menée en 2016 aux États-Unis 11, 20 % des éleveurs ont recours à cette pratique, alors qu'ils étaient 82 % en Norvège 12. Même constat en ce qui concerne la mesure du TPI colostral, recommandée chez les bovins et non réalisée dans 86 % des élevages canadiens en 2018 13 et dans 98 % des élevages brésiliens en 2015 8. Une réalité confirmée par l'étude clinique récente présentée le conférencier et menée sur 600 élevages de vaches laitières : 15 veaux de 1 à 14 jours ont été retrouvés morts après l’apparition de signes cliniques non spécifiques (hypothermie, arrêt de la tétée, déshydratation…). L’autopsie a révélé, d'une part, que la présence de E. Coli septicaemia et, d'autre part, que les pratiques d’élevages ne correspondaient pas, pour un grand nombre, aux recommandations. Ce qui peut expliquer, selon le conférencier, les forts taux de mortalité retrouvés (pas de mesure du TPI dans plus de 90 % des élevages, pas d’antisepsie du cordon dans 21 % des élevages, notamment).
Des habitudes à changer
Enfin, « la distorsion existante entre la vision de l’éleveur et celle des experts de l’élevage sur les pratiques à mettre en place peut s’expliquer par le fait que les éleveurs ne reconnaissent pas certains problèmes (peu ou pas de données sur les avortements, sous-estimation des mortinatalités, fausse perception des dangers comme la diarrhée), ou qu’ils ne sont pas assez sensibilisés à l’importance de traiter certains problèmes (la boiterie, par exemple) », a noté le conférencier. Selon lui, pour faire face à cette problématique, il faudrait redonner la priorité à la santé des veaux, à leur bien-être, et sensibiliser les éleveurs au risque de développement des antibiorésistances en élevage. Par ailleurs, des programmes nationaux de communication pourraient être mis en place pour enseigner les bonnes pratiques d’élevage, déclencher une prise de conscience chez les éleveurs et leur donner des valeurs de référence. « Il ne s’agit pas de se comparer seulement aux autres élevages laitiers ou aux valeurs de référence mais d’améliorer réellement la santé des veaux en changeant les pratiques d’élevage », a encore indiqué John F. Mee. Selon le conférencier, au-delà de l’identification du trouble sanitaire par les éleveurs, il faut que ces derniers soient prêts à changer leurs habitudes, même s’ils ont « toujours fait autrement ». Les éleveurs pourraient trouver une source de motivation au changement de leurs pratiques en prenant conscience de l'amélioration subséquente de leurs revenus.