Quelles protéines pour demain ? - La Semaine Vétérinaire n° 2007 du 20/10/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2007 du 20/10/2023

Conférences

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Le 1er septembre dernier s’est déroulé à Lyon un workshop1 sur l’alimentation du futur, tant pour l’animal que pour l’humain. De nouvelles options de protéines émergent, non sans controverses. Le point avec Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Inrae2 et organisateur de cet événement.

Qu’a-t-on appris sur l’état de développement des différents secteurs de protéines alternatives à la viande ?

Jean-François Hocquette : L’utilisation des protéines d’insectes concerne à ce jour surtout l’alimentation animale et il y a encore des questionnements de l’impact d’une production de masse sur la sécurité sanitaire des aliments. La production d’aliments cellulaires (viande de culture) souffre de nombreux freins technologiques, avec des incertitudes concernant les aspects sanitaires, nutritionnels et environnementaux. Elle nécessite beaucoup d’énergie. Le secteur des protéines végétales déjà sur le marché a eu une forte croissance, mais connaît a minima une stagnation voire une baisse depuis les années 2020 pour les substituts des protéines respectivement laitières ou carnés. Les discussions portent sur le degré de transformation de ces produits et leurs valeurs nutritionnelles. Dans toutes ces comparaisons entre les différentes sources d’aliments, il faut souligner l’importance des métriques : en effet, les conclusions ne sont pas toujours les mêmes quand, par exemple, la production de gaz à effet de serre est exprimée par kilogramme de produit brut, par quantité de calories, de protéines ou encore de micronutriments apportés. Le classement de ces divers aliments varie également en fonction du critère utilisé (utilisation de terres ou d’eau, émission de gaz à effet de serre, potentiel d’acidification ou d’eutrophisation des milieux, etc.). Il est donc nécessaire d’avoir une approche multicritère en se basant notamment sur les principes de l’agroécologie.

Dans quels pays ces nouveaux secteurs se développent-ils particulièrement ? L’Europe, dont la France, est-elle dans la course ?

Le secteur de la viande de culture intéresse surtout les pays ayant de fortes préoccupations de souveraineté alimentaire. C’est le cas par exemple de Singapour et d’Israël, qui disposent de peu d’espace. Mais aussi de la Chine qui, elle, doit gérer avec une population conséquente à nourrir. Des projets se développent aussi dans des pays d’Europe du Nord (Danemark, Pays-Bas), et anglophones (Royaume-Uni, États-Unis), mais cela apparaît plus lié à un aspect culturel. Les pays d’Europe du Sud sont plus réticents, du fait de leur culture gastronomique. Il existe depuis peu des crédits européens qui financent les recherches publiques à ce sujet. En Europe, deux pays freinent particulièrement : l’Italie et la France, cette dernière ayant interdit la viande de culture dans les cantines scolaires à travers sa loi sur le climat.

Au vu du contexte avec des enjeux globaux de durabilité, en lien avec le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, la pollution des sols, etc., une diversification des sources de protéines est-elle apparue comme nécessaire pour l’alimentation animale et humaine ? Un rééquilibrage des protéines n’est-il pas suffisant ?

Un consensus général se dégage : rééquilibrer et diversifier les sources de protéines pour nourrir la population mondiale sont des voies d’avenir. Notamment, dans les pays développés, les protéines animales représentent deux tiers de nos apports totaux en protéines contre un tiers pour les protéines végétales. Atteindre un ratio de 50/50 est souhaité. Par ailleurs, toutes les alternatives ne se valent pas. Certains secteurs sont plus controversés que d’autres. La viande de culture a été la plus critiquée lors du workshop, pour les raisons citées plus haut. À ce jour, ce secteur reste toujours très opaque. C’est d’autant plus vrai que la recherche est majoritairement portée par le privé ; la recherche publique est peu développée, alors que l’alimentation est un enjeu stratégique. La fermentation de précision, qui consiste à faire produire des protéines par des micro-organismes tels que des bactéries, soulève aussi encore des questions d’ordre environnemental, technique ou économique. Tout comme d’acceptation, même si la technologie est différente et que les premiers produits sont commercialisés aux États-Unis depuis 2020. L’élevage des insectes, qui a fait l’objet d’une présentation par une entreprise du secteur, a été moins débattu, mais, dans la littérature scientifique, beaucoup mettent en avant les problématiques d’acceptation.

Du côté de l’élevage, des experts ont souligné le bien-fondé des pratiques agroécologiques dans des systèmes circulaires, permettant de limiter les intrants et donc l’épuisement des ressources.

Quelles conséquences seraient associées au développement des nouveaux secteurs d’activité de production de protéines ?

Il y a deux écoles. Certains pensent que la demande en protéines sera telle qu’il y aura un marché pour tout le monde sans conséquences négatives pour l’élevage dues au développement des substituts de protéines animales. Au contraire, d’autres entrevoient une déstabilisation du marché des produits animaux, avec une concurrence exacerbée des substituts de viande avec l’élevage le plus vertueux qui est aussi le plus fragile d’un point de vue économique. Parallèlement, dans ce scénario, l’élevage dit industriel qui est le plus critiqué, et que les acteurs produisant des substituts de viande disent vouloir combattre, est de nature à mieux résister car il a été optimisé pour faire face aux concurrences économiques et commerciales.

Face à ces nouveaux secteurs, la place de la profession vétérinaire, tant dans le privé que dans le public, a-t-elle été évoquée ? Quelles pourraient être ses nouvelles missions ?

Elle n’a pas été mentionnée directement, mais il est clair que les autorités sanitaires vétérinaires sont garantes de la sécurité sanitaire des nouveaux aliments, tels que définis dans la réglementation européenne Novel Food (règlement (UE) 2015/2283). Mais certains estiment que cette dernière ne va pas assez loin : outre le fait qu’un nouvel aliment doit respecter des normes sanitaires pour être autorisé à la commercialisation, des voix militent pour que d’autres aspects soient aussi pris en compte tels que culturels, environnementaux, éthiques, etc., afin de mieux répondre aux exigences sociétales multiples des populations en fonction de leur histoire, culture et/ou géographie. Si une telle proposition était retenue, cela impliquerait forcément des compétences pas uniquement vétérinaires. 

Un appel pour l’élevage

Le workshop a été l’occasion de présenter la Déclaration de Dublin*, un appel de 1165 scientifiques du monde entier, qui souligne « le rôle essentiel de l’élevage au sein de la société, explique Jean-François Hocquette. En raison d’une forte croissance de la population humaine surtout en zone urbaine, les citoyens connaissent de moins en moins l’élevage et sont sensibles à des arguments simplistes alors que les défis en matière d’alimentation et de durabilité augmentent de façon importante. La Déclaration de Dublin est un appel à des recherches “objectives et sincères” dans ce domaine. L’élevage est en effet une partie de la solution pour répondre à ces enjeux à condition de le rendre plus vertueux en s’appuyant sur les principes de l’agroécologie. »

* dublin-declaration.org/signatures

  • 1. urlz.fr/nZxN. Le workshop a réuni 126 participants (dont les orateurs et organisateurs) de différents pays (Europe, Australie, Nouvelle-Zélande, Israël, Uruguay). La France y était particulièrement représentée.
  • 2. Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
  • 3. L’été dernier, les start-up UPSIDE Foods (anciennement Memphis Meat) et Eat Just (marque GOOD Meat), ont obtenu le feu vert des autorités sanitaires américaines pour commercialiser leur viande cellulaire sur le marché. urlz.fr/nZxU