Élevage et société
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Clothilde BardeClothilde Barde
À l’occasion de la séance de l’Académie vétérinaire de France portant sur « L’élevage et la société », qui s’est tenue le 21 septembre 2023 à l’École nationale vétérinaire d'Alfort, plusieurs conférenciers se sont succédé pour apporter leurs expertises scientifiques en vue d’une transition agroécologique réussie. Parmi eux, le professeur Philippe Jacquiet de l'École nationale vétérinaire de Toulouse, a proposé des mesures à mettre en place en élevage pour que les vétérinaires praticiens s'emparent de cette problématique.
« Bien que l’élevage fasse actuellement polémique en France, il est important de rappeler sa légitimité pour nourrir les populations tout en insistant sur la nécessité de faire une transition vers un élevage durable (environnement, biodiversité, santé publique, bien-être et santé animale, sécurité sanitaire des aliments, rentabilité économique) », a indiqué le président de l'Académie vétérinaire de France, Jean-Roch Gaillet, pour introduire la journée de conférence. À cet égard, comme l’a noté le Pr Jacquiet (Unité mixte technologique Pilotage de la santé des ruminants, École nationale vétérinaire de Toulouse), le praticien vétérinaire se trouve dans une situation complexe, tiraillé entre les conseils à apporter aux éleveurs et les fortes demandes sociétales. En effet, garant de la santé et du bien-être animal ainsi que de la pérennité économique de l’élevage, il doit dans le même temps pouvoir répondre aux demandes sociétales avec des pratiques respectueuses de l’environnement et accompagner les éleveurs vers la transition écologique. De plus, selon le professeur, le vétérinaire doit répondre aux grandes évolutions épidémiologiques (émergences de nouvelles maladies) et à l’apparition de résistances en élevage (aux antibiotiques et aux antiparasitaires).
Un rôle de conseil important
Pour accompagner les éleveurs dans la transition agroécologique de leurs élevages, le vétérinaire peut agir sur cinq piliers : la gestion intégrée de la santé animale (utilisation rationnelle des intrants de synthèse (APE, API), alimentation, mesures de biosécurité…), la diminution du recours aux intrants, la réduction des polluants, la mise en place de systèmes d'élevage multi-espèces et la préservation de la biodiversité. Dans le cadre de la gestion raisonnée de l’utilisation des antiparasitaires (AP) en élevage, le vétérinaire a ainsi un rôle de conseil. Comme l’a noté le Pr Jacquiet, « l’un des gros problèmes auquel doit faire face l’élevage actuellement est l’apparition de résistances aux AP externes de type pyréthrinoïdes par les stomoxis calcitrans ainsi qu'aux AP internes (lactones macrocycliques) par haemonchus contortus ». De plus, ces molécules d’AP ont un effet écotoxique sur la biodiversité des prairies, notamment sur les populations d’insectes coprophages et d'acariens phorétique. Or, ces derniers sont à la base de tout une chaîne alimentaire et ils ont un rôle d’auxiliaires de lutte pour réduire la contamination des prairies par les larves de parasites qu’ils consomment (coléoptères coprophages (bousiers)). "Il est donc essentiel, à double titre, d’utiliser les AP de manière raisonnée", a-t-il ajouté.
De nouvelles pratiques en parasitologie
Pour mettre en place un traitement ciblé sélectif sur les animaux infestés, il faut les identifier dans le troupeau (diagnostic, monitoring du troupeau) et « traiter au bon moment (coprologie de mélange), seules les brebis qui en ont besoin ». L'éleveur doit également laisser une partie des brebis infestées sans les traiter afin de constituer un refuge pour les parasites sensibles, mais aussi de freiner la diffusion des résistances et de diminuer la quantité de matière active éliminée dans l’environnement. Un autre point important, pour le conférencier, est de prohiber l’administration en pour-on car, même si elle est plus pratique pour l’éleveur, elle est beaucoup plus écotoxique (moins bonne biodisponibilité pour les animaux, résistance plus élevée). En effet, pour l’ivermectine injectable, la dose à administrer est de 0,2 mg/kg et pour la voie pour-on elle est de à 0,5 mg/kg (2,5 fois plus concentrée) en injectable. Enfin, pour augmenter la résistance de l’hôte aux strongles digestifs, une sélection génétique est possible dans certaines races ou à l’échelle de l’élevage. Ainsi, par exemple, les béliers du centre ovin Ordiap1 de races Basco-béarnaise et Manech tête rousse ont pu être indexés sur leur résistance. La densité des élevages laitiers étant forte, l’éleveur peut avoir recours à un bélier reproducteur résistant.
Plusieurs leviers d'action
Par ailleurs, le vétérinaire peut donner des conseils à l’éleveur pour qu’il améliore l’efficience alimentaire en apportant des rations qui couvrent les besoins des animaux avec des valeurs alimentaires correctes. En effet, l’alimentation est un levier essentiel pour la gestion intégrée de la santé animale (immunodépression, troubles hépatiques, déséquilibre minéral (fièvre de lait), rétentions placentaires). De plus, comme l'a ajouté le conférencier, il serait intéressant que l’éleveur potentialise l’utilisation des ressources naturelles et des coproduits pour réduire le recours aux intrants nécessaires à la production et ne pas entrer en concurrence avec l’alimentation humaine. Afin de diminuer les pollutions à l’échelle de l’animal, le conférencier préconise de renforcer la diversité dans un même élevage avec, par exemple, la mise en place d’élevages mixtes de chevaux et de bovins pour diminuer la sensibilité des animaux aux strongles digestifs. Comme l’a noté le Pr Jacquiet, si les animaux pâturent dans une même prairie, les chevaux peuvent ingérer les strongles des vaches et inversement pour les larves de strongles de chevaux (cul-de-sac épidémiologique dans les deux cas). De même, une autre étude de 2022 a permis de montrer que les systèmes de pâturage mixtes entre agnelles et vaches permettaient de diminuer l’intensité d’excrétion des œufs de strongles digestifs par les agnelles par rapport aux brebis élevées seules2. Comme l’a conclu le conférencier, « la parole du vétérinaire est importante pour sensibiliser les éleveurs, il est donc important qu’il accompagne l’éleveur dans la transition agroécologique. Le champ d’investigation pour le praticien est énorme. Cette transdisciplinarité permettra au vétérinaire de “sortir de sa bulle” ».